« La machine à privatiser est bel et bien en route » assure l’ancien secrétaire d’État au Budget qui fait une large analyse de la situation fiscale et économique du monde inquiétant vers lequel Macron nous entraine.
par Christian Eckert
Avec prudence et sans prétention, je souhaite ici informer, expliquer et tenter de convaincre, même si je sais que c’est un sujet difficile, sensible et sur lequel beaucoup ont malheureusement souvent des idées préconçues…
Il faut rappeler le contexte et plusieurs règles.
Le contexte
Nous sommes fin 2012. Le Gouvernement Ayrault a fait face aux urgences budgétaires, pressé par les marchés financiers, Bruxelles et les engagements pris. L’audit financier du pays a confirmé l’ampleur des déficits et des impasses. Nous avons peu mis cet audit en avant pour ne pas affoler davantage les marchés et renchérir les taux d’intérêts. Le déficit public annuel est supérieur à 150 milliards, loin des 3% qui sont la règle dans l’Union. Les archéologues diront un jour si c’est plus la faute à la crise ou plus à la politique Fillon-Sarkozy. Peu importe, c’est un fait… Se souvient-on que l’Euro est alors très fragile, que sa disparition est évoquée et que la France est citée parmi les pays les plus concernés après la Grèce et les pays dits du Sud…
Louis Gallois, un dirigeant d’entreprise reconnu (plutôt de gauche…) remet en novembre 2012 un rapport au gouvernement sur la situation des entreprises et confirme la grave perte de parts de marché des industries françaises. Parmi les causes, il souligne la faiblesse française de la « compétitivité-coût » (le poids excessif de la main d’œuvre essentiellement), face à la concurrence internationale dans un environnement aujourd’hui totalement ouvert. Il préconise un soutien massif aux entreprises, proposant par exemple des réductions de cotisations sociales. Il évoque un besoin de 40 milliards annuels. Or, l’Etat n’a aucune marge, la croissance est atone et le pays est impatient de sentir le changement de majorité !
Aider les entreprises par la subvention ne peut qu’être exceptionnel et limité
Que l’on soit d’accord ou pas, le principe européen de concurrence libre et non faussée existe et s’impose à la France. Il est donc impossible d’envisager (quand bien même on en aurait eu les moyens financiers) de soutenir nos industries comme le rapport Gallois en avait démontré le besoin par des subventions. Les subventions aux entreprises sont très encadrées. Elles doivent être limitées à un montant plafonné. Elles doivent être adossées à des motifs précis (certains investissements, de la formation, de l’innovation…). Elles peuvent dans certains cas concerner des secteurs géographiques précis (zones en conversion, zones fragiles, outre-mer…). Mais en aucun cas l’Europe n’accepte que des aides aux entreprises soient régulières et générales. Le levier qu’utilisent donc tous les pays pour soutenir les entreprises est donc la plupart du temps l’allègement de leurs impôts et/ou la diminution de leurs cotisations sociales.
L’annualité de l’impôt pour les entreprises et pour l’Etat impose le choix
En matière d’impôts, pour les entreprises (comme pour les particuliers avant le Prélèvement à la Source), les impôts dus au titre des bénéfices d’une année N sont payés au Trésor Public l’année N+1. Mais dans les comptes des entreprises, ils sont rattachés à l’année N pour faire le résultat net. Par contre l’Etat comptabilise la recette l’année N+1. Il en va évidemment de même des Crédits d’Impôt.
Par contre, les cotisations sociales appliquées aux salaires sont immédiatement (ou presque) versées. Ce que les entreprises doivent et paient au titre de l’année N est compté la même année N pour l’Etat.
Or, nous voulons décider une mesure rapide (pour 2013) destinée à soutenir les entreprises. Réduire massivement dès 2013 les cotisations sociales « plomberait » lourdement le budget 2013 déjà très difficile à construire.
L’idée vient donc alors assez naturellement de soutenir l’économie par un Crédit d’Impôt accordé dès 2013. Les entreprises l’auront dans leurs comptes dès 2013. L’Etat n’enregistrera cette perte de recettes (assimilée à une dépense) qu’en 2014 ! Ce décalage se reproduisant tous les ans…
L’effet pour les entreprises
D’un point de vue comptable, au niveau du résultat net, une réduction de cotisations ou un crédit d’impôt, cela revient au même, pour peu que le montant tienne compte de la majoration de l’impôt sur les sociétés que la réduction de cotisation peut introduire… Seule la trésorerie est différente. Le crédit d’impôt n’est perçu qu’avec retard. C’est la raison pour laquelle, essentiellement via la Banque Publique d’Investissement, une avance à très faible coût a été mise en place.
Au début, des voix se sont plaintes de la complexité du dispositif. A l’aide des experts comptables et de nos administrations, à l’usage, tout le monde a reconnu que le dispositif était simple. Il suffit de prendre comme assiette les salaires inférieurs à 2.5 SMIC, calculés de la même manière que pour les cotisations sociales. Le montant du CICE est (en 2018) de 6% de cette assiette. Autour de 1 000 Euros par salarié concerné. Un total annuel en année pleine de l’ordre de 20 Milliards.
Le principe d’égalité devant l’impôt
S’agissant d’un crédit d’impôt au titre de l’impôt sur les sociétés, le CICE ne peut évidemment concerner que les entreprises redevables de cet impôt. De fait, en sont donc exclues les associations, les mutuelles, les coopératives, le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS), le secteur public… D’où une première série de difficultés traitées au fil du temps : une clinique (ou un EPAHD) relevant du secteur privé s’est vue gratifiée du CICE. Un hôpital public (ou associatif) ayant la même activité n’y était pas éligible. Le secteur reste pourtant concurrentiel ! Nous avons donc joué sur la tarification des actes pour gommer cette brutale distorsion de concurrence. Nous avons ensuite introduit pour le secteur de l’ESS et associatif, un crédit de taxe sur les salaires du même ordre que le CICE.
Dans le même ordre d’idée, un crédit d’impôt doit, comme la constitution le prévoit pour l’impôt, respecter le principe d’égalité devant la charge publique. Seul un motif d’intérêt général peut introduire des différences de traitement. C’est intangible et heureusement : un impôt sur mesure au gré du contribuable serait la porte ouverte à toutes les compromissions ! Il est vrai que certains pays, y compris dans l’Union, ont pratiqué cela outrageusement pour attirer les multinationales. Mais le Conseil Constitutionnel est inflexible en France sur ce point et c’est légitime.
Pourtant, le respect de ce principe a engendré bien des critiques du CICE : toutes les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés devaient pouvoir en bénéficier. Certains auraient voulu réserver cette aide aux petites, d’autres à celles qui embauchent, d’aucuns à celles soumises à la concurrence internationale (encore aurait-il fallu les définir…). Certains voulaient exclure la grande distribution, La Poste, Les banques, les entreprises qui licenciaient, celles qui versaient des dividendes. Si ces arguments pouvaient se comprendre, tous nos juristes analysaient ces restrictions comme contraires à la constitution ! Le Gouvernement a donc décidé d’assumer ce défaut de ciblage, qui d’ailleurs aurait été parfaitement identique si nous avions choisi l’option diminution de cotisations.
Enfin l’utilisation du CICE par les entreprises a elle aussi fait l’objet de longs débats. Identifier l’emploi de CICE par les entreprises, au milieu de toutes ses activités est illusoire et peut donner lieu à toutes les interprétations.
La pérennité du CICE ou des exonérations de cotisations, la « bascule » envisagée
Que n’a-t-on entendu comme bêtises sur ce sujet ! Le discours du MEDEF affirmait sans arrêt qu’un crédit d’impôt pouvait disparaitre du jour au lendemain, mais pas des exonérations de cotisations sociales (eux disent… allègements de charges). Les impôts et leurs modalités sont fixés tous les ans par le Parlement dans une loi de finances. Les cotisations sociales et leurs caractéristiques sont fixées tous les ans, à la même époque, par le même Parlement, dans une loi de financement de la sécurité sociale qui répond aux mêmes règles !
On peut changer les impôts dans une loi de finances à tout moment. Les cotisations sociales aussi. Ni plus, ni moins…
En vérité, le rêve de certains est d’assécher le financement de la Sécurité Sociale pour mettre le secteur privé des assurances aux commandes d’un budget colossal !
Il est d’ailleurs symptomatique de pointer le projet de ce Gouvernement et ses conséquences pour les finances publiques : Le Gouvernement supprime le Crédit d’impôt en 2019 et le remplace par des exonérations de cotisations en 2019 (qu’il prend soin de préciser « pérennes » dans ses éléments de langage…). On comprend alors que pour l’Etat, en 2019, la dépense est double et s’élève à 40 Milliards au lieu de 20, soit 0,9% du PIB… En effet, en 2019 il faudra payer les crédits d’impôt acquis au titre de 2018 et se priver des cotisations exonérées dès 2019 ! Le choix du crédit d’impôt avait fait gagner un an à l’Etat alors qu’il n’avait pas le moindre argent… La « bascule » lui fait subir une année double et le prive des quelques marges aujourd’hui disponibles…
Et ceci avec une nouveauté incroyable : pour la première fois à ma connaissance, les exonérations de cotisations ne seront pas compensées par l’Etat à la Sécurité Sociale. La machine à privatiser est bel et bien en route !
En conclusion : Même si en économie et en fiscalité les certitudes sont moins fréquentes qu’en Mathématiques, j’ai acquis la conviction qu’il fallait dès la fin 2012 aider les entreprises dont globalement la Santé était très mauvaise. Après avoir eu des doutes que j’ai exprimés d’ailleurs fortement comme rapporteur général à l’époque, j’ai compris que le choix du crédit d’impôt était le bon. Le manque de ciblage était certes un point très faible, mais le gain d’une année budgétaire l’emportait sur le reste. La « bascule » qu’Emmanuel Macron a déjà maintes fois réclamé quand il était Ministre, entraîne un risque énorme pour l’avenir d’une Sécurité Sociale que le monde entier nous envie et que les vautours attendent impatiemment. Il veut la mettre en œuvre en tant que Président. Après l’ISF, la flat-tax, l’exit-tax, cette nouvelle casse terrible d’un outil de justice essentiel lui coutera cher.
Mais n’a-t-il pas été mis en place pour cela ?
Ne pas faire « la bascule du CICE, c’est se donner des moyens pour boucler la Loi de Finances et répondre aux attentes sociales. Et préserver notre modèle social.