Romain Briandet, INRA et Caroline Pandin, INRA
Cet article est publié dans le cadre du séminaire « Agro-écologie et systèmes alimentaires durables en Ile-de-France : Quels acquis et quels besoins pour la recherche ? », organisé par la Région IdF, l’INRA, l’Irstea et AgroParisTech et dont The Conversation France est partenaire. Cet événement aura lieu le mercredi 10 octobre 2018 à Paris.
L’agriculture intensive a recours aux pesticides chimiques et médicaments synthétiques pour protéger les cultures ; or ces substances représentent autant de facteurs de pollution environnementale. Les conséquences de cette pollution peuvent contribuer, entre autres, à l’émergence de nouvelles maladies ou à l’extinction de certaines espèces animales.
Une des alternatives aux traitements chimiques des cultures pourrait consister à utiliser des micro-organismes anti-pathogènes organisés sous forme de « biofilms », indique notre étude publiée en 2017 dans la revue Microbial Biotechnology.
Qu’ils soient bénéfiques ou non, les biofilms sont présents partout dans la nature. D’après l’Institut national de la santé (NIH), ils seraient responsables de 80 % des infections chez l’être humain. Dans ce cas, l’infection est d’ailleurs plus difficile à traiter, cette organisation étant tolérante aux anti-microbiens.
Les biofilms agissent en effet comme une bulle de protection pour les micro-organismes, les préservant de la sécheresse, des composants toxiques et polluants, leur permettant ainsi de se diversifier et de se développer. Une propriété qui les rend très intéressants pour la protection des champs.
Un biofilm, quèsaco ?
Un biofilm consiste en une communauté de micro-organismes spatialement organisée, évoluant dans une matrice principalement composée d’eau et de biopolymères (polysaccharides, protéines, ADN et lipides), vivant sur une surface vivante (plante ou animale) ou inerte (roche).
Dans cette collectivité cohabitent différents types de micro-organismes, comme les bactéries, les champignons. Certains disposent de particularités pouvant être utiles contre les pathogènes. Ces micro-organismes deviennent alors ce que les scientifiques appellent des « agents de biocontrôle », utiles pour la préservation des cultures.
Les biomolécules de la matrice extracellulaire, qui maintiennent l’intégrité de la structure du biofilm, empêchent la dilution des molécules anti-pathogènes produites par les agents de biocontrôle. Cette cohésion rend l’action des agents de biocontrôle plus efficace et plus virulente contre les maladies attaquant les plantes agricoles que s’ils étaient dispersés.
Certains agents de biocontrôle sont déjà présents sur les marchés agricoles, en Europe et en Amérique du nord principalement. Des biofongicides, biobactéricides et biofertiliseurs sont ainsi produits à partir de bactéries comme Bacillus velezensis ou Bacillus subtilis, sécrétant des substances comme la surfactine, la fengycine ou l’iturine, qui peuvent être utilisés sur nombre de cultures (blés, champignons de Paris, avocats, fleurs, arbres fruitiers, vignes) pour les protéger des maladies.
Rediriger les mécanismes naturels
Chaque année, c’est environ 30 % des cultures qui sont perdues à cause des maladies dues à des parasites, adventices (mauvaises herbes) et autres micro-organismes pathogènes. Face à ces menaces, le biofilm pourrait offrir une protection des récoltes, tout en garantissant un impact minimum sur l’environnement – la technique du biofilm redirigeant et concentrant les mécanismes anti-pathogènes des agents de biocontrôle.
Malgré ce potentiel considérable, cette organisation particulière des micro-organismes en biofilms a été jusqu’à présent plutôt ignorée dans le domaine du biocontrôle agricole.
En outre, les biofilms, à travers les bactéries qui les peuplent, produisent des phytohormones et des stimuli qui vivifient la croissance des plantes et donc le rendement des terres agricoles. Une étude de 2006 a ainsi montré que la surface des feuilles de tabac a augmenté (de 36 % environ) lorsque les plantes étaient exposées au 2,3-butanediol, substance produite par la bactérie Pseudomonas chlororaphis.
Sur les champignons de Paris
Nous avons identifié de nombreuses études démontrant l’action favorable des biofilms sur l’expression de certains gènes utiles de bactéries : chez Bacillus (déjà commercialisé comme agent de biocontrôle), par exemple, les chercheurs ont démontré une surexpression du gène responsable de la production de bacilysine (un antibiotique).
Il est maintenant nécessaire de prendre en compte la capacité des agents de biocontrôle à vivre sous forme de biofilms pour augmenter l’efficacité de ce système de protection des récoltes. Pour les chercheurs, il s’agit aussi de mettre en évidence les gènes responsables de cette organisation complexe ainsi que l’effet de biocontrôle mis en jeu par ces micro-organismes.
Comme dans n’importe quelle société, certains organismes collaborent ensemble plus facilement que d’autres. Il nous faut ainsi identifier les souches microbiennes travaillant plus volontairement en synergie pour mettre au point les cocktails microbiologiques les plus efficaces. Notre équipe de recherche s’essaie actuellement, avec des résultats prometteurs, à l’étude de la formation de biofilms par un agent de biocontrôle utilisé pour protéger les cultures des champignons de Paris.
Romain Briandet, Directeur de recherche, spécialiste des biofilms microbiens, INRA et Caroline Pandin, Doctorante en microbiologie, INRA
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.