Didier Courbet, Aix-Marseille Université et Marie-Pierre Fourquet-Courbet, Aix-Marseille Université
Si le smartphone fait partie de notre quotidien et rend de nombreux services, de récentes recherches montrent qu’il présente des risques dont ses utilisateurs doivent se méfier. Les personnes qui l’utilisent très fréquemment, adolescents comme adultes, seraient davantage anxieuses et déprimées. Il peut également rendre « addict ».
Le smartphone est aujourd’hui omniprésent dans nos vies : 58 % des Français déclarent avoir leur mobile 24 h sur 24 h avec eux ; 41 % le consultent même au milieu de la nuit et 7 % vont jusqu’à répondre à leurs messages dans leur lit.
Dans une récente synthèse des recherches menées sur les grands usagers des smartphones et des réseaux sociaux, les chercheurs ont mis en évidence une plus grande probabilité de souffrir de certains problèmes psychologiques : anxiété, dépression et addiction.
Les réseaux sociaux sont l’objet d’un étonnant paradoxe. Ils sont censés apporter divertissements et satisfaction. Les consulter est le premier geste du matin pour 48 % des 18-34 ans. Pourtant, plus les gens sont actifs sur Facebook ou Instagram, et plus leur humeur est négative après y être allés.
Plus grave, un lien a été mis en évidence entre ces usages et des symptômes de dépression. Les préadolescents et adolescents semblent particulièrement sensibles. En particulier, chez les adolescents qui perçoivent leur réseau amical dans la vie réelle comme étant de faible qualité, les longues durées passées sur Facebook sont associées à davantage de troubles dépressifs et d’anxiété sociale.
La peur de louper quelque chose
Qu’est-ce qui contribue à ces troubles ? Premièrement, comme les réseaux sociaux sont devenus de véritables espaces de comparaison sociale, notamment par les photos postées, on est souvent enclin à penser que les autres sont plus heureux et ont une vie bien plus agréable que la nôtre. Regarder la vie « heureuse » des autres sur les réseaux sociaux fait penser que sa propre existence est moins plaisante.
Deuxièmement, il y a souvent la crainte, lorsqu’on n’est pas sur les réseaux sociaux, de « louper quelque chose ». Ce phénomène est appelé en anglais : FOMO (fear of missing out). Par exemple, on craint que les autres aient des expériences enrichissantes sans nous. Cette peur conduit l’internaute à vouloir prendre connaissance au plus tôt des nouvelles informations qui y circulent. Quand elle est élevée, la FOMO est souvent associée à une humeur très fréquemment négative, une faible satisfaction de sa vie en général et à plus de symptômes dépressifs.
Ces deux problèmes psychologiques sont souvent ressentis par des personnes qui utilisent Internet pour satisfaire un fort besoin de popularité et de reconnaissance sociale qu’elles n’arrivent souvent pas à réaliser dans leur vie « réelle ».
Ainsi, les likes, tweets, partages et autres messages sont, pour elles, autant de signes de reconnaissance sociale et deviennent une véritable monnaie d’échange affectif.
Coupable de perdre son temps
Les effets négatifs ne se font pas ressentir uniquement chez les « gros » utilisateurs. En effet beaucoup de personnes ont parfois l’impression de ne rien faire de significatif et de perdre du temps inutilement sur les réseaux sociaux.. Si les individus les trouvent divertissants à court terme, ils sont susceptibles d’éprouver, au final, de la culpabilité liée, soit au fait qu’ils ont négligé d’autres tâches plus importantes à effectuer, soit à des sentiments négatifs proches de ceux ressentis lors de comportements de procrastination.
Si certains internautes continuent à fréquenter activement les réseaux sociaux, c’est d’ailleurs parce qu’ils ont tendance à faire une « erreur de prévision affective » : ils espèrent toujours se sentir mieux après y être allés alors que, c’est souvent l’inverse qui se produit.
Hallucinations sonores
Plus de la moitié des personnes déclarent éprouver de l’anxiété en cas de perte de leur smartphone, quand elles sont contraintes de l’éteindre ou si elles ne peuvent pas l’utiliser, soit à cause d’une mauvaise couverture réseau ou d’une batterie faible, soit parce que le mobile n’est pas à portée de main. Par ailleurs, 42 % des adolescents déclarent qu’ils seraient « dévastés » s’ils devaient quitter leur foyer plusieurs jours sans leur téléphone. Cette anxiété est à l’origine de l’apparition d’un nouveau trouble, spécifique aux smartphones : la nomophobie. Née de la contraction anglaise de « no-mobile phobia », la nomophobie est, en simplifiant, une crainte obsédante et continuelle, de ne pas avoir son smartphone en état de marche avec soi.
En outre, une utilisation excessive du smartphone est souvent associée à des « hallucinations » sonores et à des perceptions de « signaux fantômes » en provenance du téléphone. Les individus pensent avoir perçu un signal indiquant un appel entrant, un message ou une notification, alors qu’en fait, rien n’a été émis. Ce phénomène, source de stress, est répandu puisque la moitié des personnes étudiées perçoivent des signaux fantômes au moins une fois par semaine. Il est particulièrement observé chez les personnes ayant un besoin de popularité développé, qui considèrent dès lors le moindre signal du smartphone comme un possible indicateur de leur degré de popularité.
Réguler nos conduites
L’apparition de ces problématiques est trop récente pour qu’elles soient explicitement répertoriées parmi les troubles psychiatriques. On manque de recul et d’études sur l’ampleur et la « gravité » des phénomènes. Cependant, pour ne pas tomber dans le piège de l’« addiction » et des anxiétés générées par le smartphone et les réseaux sociaux, il s’agit d’abord d’en prendre conscience pour réguler ses propres conduites et celles des adolescents. Ces pratiques de bon sens ne nous épargneront pas une analyse plus approfondie des raisons pour lesquelles les usagers sont si fortement attachés à Internet, aux réseaux sociaux et au smartphone et pourquoi ils ont une telle crainte de ne plus pouvoir les utiliser.
La communication numérique offre la possibilité de combler de nombreux besoins existentiels, narcissiques et sociaux, difficiles à satisfaire dans la « vie réelle ». Ces derniers sont souvent générés ou amplifiés par une société toujours plus individualiste et ambivalente. D’un côté, elle génère de nouveaux besoins alimentant toujours plus le narcissisme, auxquels adolescents et jeunes adultes sont si sensibles (comme le besoin de popularité) et, de l’autre côté, elle provoque nombre de frustrations.
Comme l’enfant séparé de sa mère trouve dans son « doudou » un moyen de se rassurer, le smartphone, objet transitionnel, ne permettrait-il pas de lutter contre les frustrations et affects négatifs provoqués par le monde social ? En étant connecté en permanence à ses amis et en pouvant « se raccrocher » à des environnements en ligne familiers, comme sa page Facebook, son compte Twitter ou sa story Snapchat, la personne, éloignée de son environnement familier, ne se sentirait-elle pas alors davantage en sécurité affective, comme dans son foyer où elle a ses repères et habitudes rassurants ? La connexion permanente, notamment aux réseaux sociaux la rassurerait quant à son insertion et lui donnerait alors l’impression qu’elle est un acteur socialement central et important.
La communication numérique permettrait également d’acquérir instantanément, par les likes, retweets et autres notifications, des signes de reconnaissance d’autrui contribuant à satisfaire des besoins personnels et sociaux liés à la construction d’une image de soi valorisante. Chez les gros utilisateurs, cette communication comblerait un « vide existentiel » et contrecarrerait une vie sociale « réelle » insatisfaisante. Par exemple, une connexion permanente offre aux personnes s’ennuyant dans la vie, stimulations et divertissements, mais uniquement à très court terme.
Autrement dit, avoir une « vraie » vie sociale satisfaisante conduirait à passer moins de temps sur les réseaux sociaux. Et moins de temps passé sur les réseaux, c’est bien sûr plus de temps pour développer une « meilleure » vie sociale dans la réalité.
Didier Courbet, Professeur des Universités et Chercheur en Sciences de la Communication, Aix-Marseille Université et Marie-Pierre Fourquet-Courbet, Professeure des Universités en Sciences de la Communication, Aix-Marseille Université
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.