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Soignants suspendus : des avocats tentent de faire abroger la loi du 5 août 2021

Les avocats vont-ils réussir à faire tomber l’obligation vaccinale pour les soignants et, du même coup, leur suspension sans rémunération ? Pour y parvenir, plusieurs d’entre eux ont déposé des questions prioritaires de constitutionnalité, afin de faire vérifier la conformité de la loi du 5 août 2021.

La Justice (Pixabay)
La Justice (Pixabay)

Ce ne sera pas faute d’avoir essayé. Depuis près d’un, des avocats de soignants suspendus ont déposé un peu partout en France une dizaine de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Leur but : faire vérifier la constitutionnalité de la loi du 5 août 2021 dite de « gestion de la crise sanitaire », notamment ses articles 12 et 14 relatifs à l’obligation vaccinale des soignants.
Pour l’instant, toutes ces questions ont été rejetées par le Conseil d’État (en administratif) ou par la Cour de cassation (en judiciaire), mais les avocats restent déterminés et gardent espoir. Il y en a bien une qui finira par aboutir et sera transmise au Conseil constitutionnel. Leurs regards se tournent actuellement vers la cour d’appel de Montpellier, où une QPC a été plaidée le 4 octobre dernier par Me Alexandra Soulier (lire ci-dessous). Le délibéré est imminent : on saura ce mercredi 30 novembre si la question est validée ou non. Suspense…
Une autre QPC en cours a été déposée auprès de la cour administrative d’appel de Nancy en mai 2022 (lire également ci-dessous), par Me Nancy Risacher du barreau d’Épinal et Me David Guyon, avocat montpelliérain spécialisé dans la défense des libertés fondamentales. Mais pour l’instant, aucune nouvelle.

Des lois pas toujours constitutionnelles

Qu’est-ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité ? Ce dispositif juridique assez récent (il date de 2008) permet de faire vérifier a posteriori la constitutionnalité d’une loi par le Conseil constitutionnel. Il ne faut pas croire, en effet, que toutes les lois promulguées sont conformes à la Constitution. En réalité, beaucoup d’entre elles n’ont pas été vérifiées, car pour l’être, il faut que le Conseil constitutionnel soit saisi dans les 15 jours réglementaires qui séparent l’adoption d’une loi par le Parlement et sa promulgation par le chef d’État. Cette saisine, facultative, ne peut être faite que par le Président de la République, le Premier Ministre, le président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat, ou par les parlementaires, à condition qu’ils soient au moins 60 députés ou 60 sénateurs. Ce sont généralement les députés de l’opposition qui s’y collent. Mais si personne ne réagit, la loi entre en vigueur sans que sa constitutionnalité n’ait été contrôlée.
Par ailleurs, même si le Conseil constitutionnel est saisi, il ne répond qu’aux questions qui lui sont posées. Si la question est mal formulée, on n’aura pas la bonne réponse. Et si certains articles de la loi ne font l’objet d’aucune saisine, leur constitutionnalité ne sera pas vérifiée. Ce dispositif, s’il a le mérite d’exister, reste donc imparfait.

Le droit de contester une loi en vigueur

Heureusement, depuis 2008, la question prioritaire de constitutionnalité permet à tout citoyen de contester la constitutionnalité d’une loi a posteriori, c’est-à-dire après son entrée en vigueur. Pour cela, plusieurs conditions : la QPC doit être déposée à l’occasion d’un procès, elle doit porter sur une loi qui concerne la procédure en cours, elle doit être sérieuse, c’est-à-dire déterminante pour le demandeur, et elle doit être nouvelle, donc ne pas porter sur un aspect de la loi déjà contrôlé auparavant. On comprend vite que tout va dépendre de la pertinence de la question posée, de sa formulation et de la solidité de l’argumentaire qui l’accompagne. Bref, un gros boulot d’avocat.
Concernant la loi du 5 août 2021, le Conseil constitutionnel a bien été saisi avant sa promulgation, à la fois par le Premier Ministre, par plus de 60 députés et par 120 sénateurs. Mais les questions qui lui ont été soumises n’ont jamais porté sur l’obligation vaccinale des soignants assortie, en cas de refus, d’une suspension de contrat sans rémunération. Or, la constitutionnalité de cette disposition est plus que douteuse selon les avocats des soignants suspendus. D’où les QPC déposées.

Peut-on être éternellement suspendu ?

À la cour administrative d’appel de Nancy, la question rédigée par Me Risacher et Me Guyon porte sur l’absence de fixation par la loi d’une durée limitée pour la suspension sans rémunération des soignants non vaccinés. « C’est une histoire sans fin, ils peuvent être ainsi suspendus sans rémunération ad vitam æternam, tout en étant toujours sous contrat, donc dans l’impossibilité de gagner leur vie ailleurs et dans l’impossibilité de bénéficier d’aucune aide sociale », commente Me Risacher, dont l’une des clientes a été acculée à vivre dans sa voiture. « Comment peut-on ainsi mettre des gens à la rue et les laisser indéfiniment croupir sur le trottoir ?! C’est contraire au principe de fraternité inscrit dans la Constitution », s’indigne à bon droit l’avocate spinalienne.
De plus, une sanction qui n’a pas de fin devient forcément disproportionnée, pour ne pas dire cruelle. « Pour moi, le délai raisonnable est largement dépassé et il va falloir sortir de cette situation d’une manière ou d’une autre. Si les soignants non vaccinés sont considérés comme inaptes au travail, que leurs employeurs prennent leurs responsabilités et proposent une solution », martèle de son côté Me Guyon.
Par ailleurs, le temps finit par rendre cette loi caduque, puisqu’il est désormais démontré que le vaccin n’empêche ni la contamination ni la transmission. Dans ce cas, quelle différence y a-t-il sur le plan sanitaire entre un soignant vacciné et un soignant non vacciné ? Aucune, mais on sait bien que tout cela n’a plus rien de sanitaire et n’est qu’une sanction politique envers ceux qui ont refusé d’obéir, la France étant désormais le seul pays au monde à ne pas avoir réintégré ses soignants suspendus.

Peut-on changer les règles en cours de jeu ?

À la cour d’appel de Montpellier, Me Soulier a choisi un autre angle d’attaque pour sa QPC, en plaidant l’atteinte à la liberté contractuelle. En effet, quand on signe un contrat, on en accepte librement les conditions, la forme et le contenu. Toute modification des termes du contrat doit donc logiquement se faire avec l’agrément du contractant. Or, avec la loi du 5 août 2021, les soignants non vaccinés se sont retrouvés avec des règles de contrat qui ont changé en cours de route, sans qu’ils en soient concertés et avec des conséquences importantes, pour ne pas dire vitales pour eux, puisque le non-respect de ces nouvelles règles a entraîné la suspension immédiate de leur contrat, assortie d’une suspension de salaire.
Dans sa QPC, l’avocate soulève également la question de l’atteinte à la sécurité juridique. Me Soulier pointe notamment les nombreuses modifications du décret d’application de la loi et l’incertitude quant à un état d’urgence sanitaire qui a été plusieurs fois reporté jusqu’au 31 juillet 2022. Là encore, c’est comme si les règles du jeu changeaient en permanence avec impossibilité de savoir quand les nouvelles règles prendraient fin.
Enfin, comme ses deux confrères cités plus haut, l’avocate du barreau de Montpellier plaide l’atteinte à la liberté individuelle, à l’intégrité physique, à la liberté d’opinion et à la liberté de conscience.
Malgré toute sa pertinence, cette QPC rejoindra-t-elle le « salon des refusés » du Conseil d’État et de la Cour de cassation ? Réponse ce mercredi.

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