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Le secret de l’enquête et de l’instruction : l’impossible réforme ?

La presse publie régulièrement les PV des affaires couvertes par le secret de l’instruction. Faut-il le réformer ? Me Dominique Inchauspé* avocat à la Cour répond dans l’Actualité du droit.

la presse et la justice
La presse et le secret de l’instruction (Photo DR)

Me Dominique Inchauspé a été auditionné par la Mission d’information de l’Assemblée nationale sur le secret de l’enquête et de l’instruction. La Mission a rendu son rapport en décembre 2019. Elle propose 19 recommandations pour le réformer. La matière est ardue car la première des recommandations consiste justement à maintenir le secret de l’instruction, constate Me Inchauspé.
L’article 11 du Code de procédure pénale est ainsi libellé : « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ». Le texte poursuit : « Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal ». Puis il précise que toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, « rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ». Il faut comprendre que l’article 11 pose non seulement le principe du secret de l’instruction (conduite par un magistrat instructeur), mais aussi celui du secret de l’enquête. Il s’agit de l’enquête préliminaire, celle conduite d’initiative par des officiers de police judiciaire ou à l’instigation du ministère public. Et cette enquête est souvent oubliée dans les débats.

Quel est, à ce jour, le « droit vivant » de ces deux secrets ?

L’essentiel tient à ceci : n’y sont tenus de manière absolue que les enquêteurs, les magistrats du siège (juge d’instruction, JLD et conseillers de la chambre de l’instruction et de la chambre criminelle de la Cour de cassation). Tous les autres acteurs de la « chaîne pénale » en sont exonérés : les personnes gardées-à-vue, celles mises en examen, les simples témoins, les témoins assistés. Quant au ministère public, comme on l’a vu, il peut publier des communiqués sous certaines conditions. Oublions les avocats, pour le moment… »

Qu’est-ce que cela signifie en pratique ?

Me Inchauspé examine ensuite plusieurs cas de figure de la violation du secret de l’enquête ou de l’instruction. Avec des exemples concrets. Le secret de l’instruction se heurte parfois à l’article 10 de la Convention européenne relatif à la liberté d’expression. Les journalistes sont particulièrement concernés.
Quant aux avocats « l’article 11 précité, introduit dans le nouveau Code de procédure pénale de 1958, pose pourtant deux règles, dont l’application conduit à exclure les avocats de l’obligation du secret
-d’une part, ce secret s’applique « sans préjudice des droits de la défense », donc du rôle nécessaire de l’avocat ;
-d’autre part, il ne s’applique qu’aux personnes « qui concourent à l’instruction ».
L’avocat ne porte que la parole subjective des parties. Elles ne prêtent pas serment de dire la vérité. Et, comme déjà vu, aucune d’elles n’est tenue audit secret.

Lanceur d’alerte

Me Dominique Inchauspé fait ensuite un certain nombre de « libres observations » sur les recommandations de la Mission d’information qui, « tendent de manière singulière à lever le secret, en partie au moins, alors que la première d’entre elles consiste justement en le maintenir. »
Exemple. La recommandation n° 4 consiste à « transposer en droit interne la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte (Dir. (UE) 2019/1937, 23 oct. 2019, JOUE L 305/17, 26 nov.). Il s’agit de « réfléchir aux conditions dans lesquelles le secret professionnel pourra être levé pour les lanceurs d’alerte ayant connaissance des éléments d’une enquête ou d’une instruction en cours ». On n’en voit pas l’opportunité : d’une part, ledit lanceur d’alerte n’est pas tenu au secret des enquêtes ; d’autre part, si une enquête judiciaire est en cours, alors la justice est déjà saisie de l’affaire : l’alerte peut rester dans son silo. »

Mention spéciale

« La recommandation n° 17 mérite une mention spéciale : « Réviser la circulaire du 27 avril 2017 pour faciliter l’accès des médias à l’acte de justice dans des démarches pédagogiques ».
Le contexte est le suivant. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé en 2017 que la violation du secret de l’instruction ou l’enquête concomitante à une perquisition (un journaliste y avait assisté avec prises de son et d’images) porte « nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne ».
Le ministère de la Justice a alors publié une circulaire invitant « à la plus grande prudence dans le traitement de ces demandes » les magistrats sollicités pour des autorisations de tournage pendant les gardes-à-vue, les confrontations, les séances d’identification, les interpellations…
De telles occurrences laissent perplexes. Et la Mission de noter : « Selon les journalistes auditionnés, cette circulaire leur est régulièrement opposée et a eu pour effet de limiter drastiquement l’accès des journalistes au travail de la justice et des forces de l’ordre ». Or, selon la Mission, « (…) le manque de confiance de nos concitoyens dans la justice peut aussi trouver son origine dans son ignorance du monde judiciaire et de l’effectivité de son travail ». Certes, mais quid des exigences d’un secret de l’enquête et de l’instruction, en particulier vis-à-vis des médias ? »
(…) Le rapport cite la charte des devoirs professionnels des journalistes français datant de 1918. On y lit en particulier : « Un journaliste digne de ce nom (…) : (…) – tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ; – ne confond pas son rôle avec celui d’un policier ; (…) ».

Témoignages recueillis par la presse

Dans ces conditions, les recommandations nos 8, 9 et 10 interpellent. Elles prônent l’aggravation de la répression : augmenter la peine encourue pour la violation de l’article 11 du Code de procédure pénale à 3 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende (n° 8) ; transférer cette répression dans le livre IV du Code pénal relatif aux infractions contre la chose publique (n° 9) ; augmenter la peine encourue, en cas de transmission de pièces du dossier par des parties à des tiers ou de publication illégale, au niveau des peines proposées pour la violation du secret (n° 10).
Or, comme vu ci-dessus, d’une part, les autres recommandations prônent au contraire l’accès au dossier par des tiers, dont les journalistes, et sa communication à l’extérieur par différents organes judiciaires. D’autre part, l’état du droit à ce jour va déjà dans le sens d’une « déperdition » légale dudit secret. Enfin, si des violations restent bien entendu à craindre, elles ne sont absolues et sans échappatoire que pour les enquêteurs et les magistrats du siège. En effet, en enquête préliminaire ou en cas d’information judiciaire avant qu’il n’y ait des parties civiles ou des mis en examen ou des témoins assistés, toute déperdition du secret désigne enquêteurs ou juges (ou bien les personnes gardées-à-vue ou entendues en audition libre, mais elles ne sont tenues à aucun secret). Ce sont donc les personnels judiciaires qui seraient d’abord impactés par l’aggravation des peines proposée. »

 

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Me Dominique Inchauspé, avocat à la Cour (photo Dominique Inchauspé)

*Maître Dominique Inchauspé est Avocat à la Cour, Docteur en droit et ancien Secrétaire de la Conférence. Directeur scientifique du Formulaire ProActa procédure pénale, il est l’auteur de plusieurs monographies, études et articles. Il assure aussi des enseignements auprès des élèves-officiers de la Gendarmerie Nationale, dont il est officier de réserve.

 

 

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