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Israël : le blues des réservistes de Tsahal

Deux ans après le début de la guerre à Gaza, l’armée israélienne traverse une crise inédite : des dizaines de milliers de réservistes refusent désormais de répondre à l’appel. Tsahal est aujourd’hui confrontée à une contestation massive qui combine fatigue, désaccords stratégiques et rejet politique.

Frappe sur un hôpital de Gaza, des centaines de morts (images Tsahal)
Frappe sur un hôpital de Gaza, des centaines de morts (images Tsahal)

Une mobilisation en déclin brutal

La guerre avait commencé par une mobilisation sans précédent : 360 000 réservistes appelés dès octobre 2023, soit la plus grande depuis 1973. Mais la dynamique s’est effondrée. En mars 2025, seuls 60 % des réservistes convoqués se sont présentés, contre plus de 100 % au début du conflit, lorsque beaucoup s’étaient portés volontaires. Dans certaines unités, la participation n’atteint même pas 50 %. Au total, plus de 100 000 réservistes auraient cessé de servir.
Ce décrochage met en danger l’efficacité opérationnelle d’une armée qui repose largement sur ses 350 000 réservistes pour compenser la taille réduite de ses forces actives.

Des lettres ouvertes au retentissement inédit

Le mouvement s’organise aussi sur le plan symbolique. Des centaines de lettres ouvertes, publiées dans la presse israélienne, réclament l’arrêt de la guerre et une priorité donnée aux négociations pour libérer les otages toujours détenus par le Hamas.

  • En avril 2025, environ 1 000 pilotes et anciens aviateurs dénonçaient une guerre « qui a perdu tout sens ».
  • Plus de 1 500 vétérans d’unités blindées, de parachutistes et même des agents du Mossad et du Shin Bet ont rejoint ce front de la contestation.
  • Des figures de poids, comme l’ex-Premier ministre Ehud Barak, ont apporté leur soutien, donnant au mouvement une légitimité nouvelle.

Historiquement marginal, le refus de servir devient ainsi un phénomène de masse, en rupture avec la tradition israélienne d’une armée perçue comme l’expression du « peuple en armes ».

 Entre éthique, épuisement et rejet politique

La révolte des réservistes repose sur un faisceau de raisons :

  • Épuisement et burn-out : le service de réserve peut atteindre 135 jours par an pour un soldat, 168 pour un officier.
  • Deux ans de guerre ont laissé des traces : pertes économiques, tensions familiales, usure psychologique.
  • Doutes éthiques : des témoins comme Yuval Green, étudiant en médecine, racontent avoir vu des destructions « inutiles » ou des bombardements massifs dans des zones civiles. Beaucoup estiment que ces actions violent les principes de proportionnalité du droit international humanitaire.
  • Otages en danger : une conviction se renforce que l’escalade militaire compromet la sécurité des captifs du Hamas. Plusieurs otages ont trouvé la mort sous les frappes israéliennes.
  • Rejet du gouvernement Netanyahu : les protestataires accusent le Premier ministre de prolonger la guerre pour des raisons politiques, notamment pour préserver sa coalition et retarder ses procès.
  • Inégalités sociales : la colère s’exacerbe face à l’exemption persistante des ultra-orthodoxes, perçue comme un fardeau injuste imposé aux réservistes laïcs.

Réponses fragiles de l’État et de Tsahal

Le gouvernement Netanyahu dénonce une action « impardonnable » qui « affaiblit Israël face au Hamas ». L’armée a sanctionné certains signataires de lettres de protestation, mais évite une répression massive qui transformerait les réfractaires en martyrs.
Pour pallier la pénurie, Tsahal envisage de prolonger l’âge du service de réserve et d’affecter davantage de conscrits aux zones de combat. Des mesures qui restent insuffisantes face à l’ampleur de la démobilisation.

Une contestation enracinée dans l’histoire

Le refus de servir n’est pas inédit en Israël. En 2002, durant la seconde Intifada, des réservistes avaient déjà dénoncé l’occupation. En 2023, avant la guerre, plus de 1 000 pilotes menaçaient de boycotter l’armée en protestation contre la réforme judiciaire.  Mais jamais le phénomène n’avait atteint une telle ampleur, ni bénéficié d’un soutien aussi large dans la société civile et parmi les élites militaires.

Conséquences sociales et politiques

Au-delà du champ militaire, la crise des réservistes reflète une fracture nationale. Des manifestations massives à Tel-Aviv rassemblent désormais des milliers de citoyens réclamant la fin de la guerre et la démission de Netanyahu. En parallèle, l’émigration connaît une poussée inquiétante : 500 000 Israéliens seraient partis en 2024, et 40 % envisageraient de quitter le pays.

Vers une rupture du pacte social ?

Ce mouvement reste minoritaire au regard du nombre total de réservistes, mais son impact symbolique est majeur. Il ébranle la légitimité de Tsahal comme « armée populaire », remet en question l’unité nationale et alimente le débat sur la moralité de la guerre à Gaza.
En exposant ses fractures internes, Israël révèle une société traversée par le doute : faut-il continuer une guerre perçue comme une impasse, au prix d’une usure militaire et morale sans précédent ?

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