Les pollens ne sont pas seuls en cause dans l’allergie – les polluants aériens émis par les véhicules jouent aussi un rôle clé.
cenczi/Pixabay
Sabine Langie, Hasselt University
Et si cette saison était la pire de tous les temps pour les allergiques de l’hémisphère nord ? Les personnes souffrant du rhume des foins depuis longtemps comme celles qui découvrent tout juste son existence partagent le même sentiment : on voit plus d’allergies et d’allergènes aujourd’hui que jamais. Ainsi, la semaine en cours pourrait se révéler l’une des plus éprouvantes de l’année pour les personnes sensibles aux graminées, avec un niveau de risque « très élevé » – le maximum – dans presque tous les départements français, selon le Réseau national de surveillance aérobiologique.
De fait, les maladies allergiques sont en plein essor. Elles ont gagné en fréquence et en gravité au cours de la dernière décennie et constituent un problème de santé mondial. Selon la Fédération européenne des associations de patients allergiques et victimes de maladies respiratoires (EFA), 20 à 30 % de la population européenne souffrirait d’allergies respiratoires. Ces maladies peuvent se déclarer dès la petite enfance : 65 % des enfants sont touchés avant l’âge de 18 mois.
Le programme de recherche ISAAC, qui étudie l’asthme et les allergies chez l’enfant, rapporte que plus de 20 % des Européens sont allergiques aux allergènes présents dans l’air ou la nourriture avant la puberté. Bien que la prédisposition génétique constitue un facteur de risque important, j’ai étudié la manière dont l’environnement peut influer sur le risque de contracter une allergie respiratoire – ces travaux paraîtront dans un numéro spécial de la revue Mechanisms of Aging and Development consacré à l’épigénétique du vieillissement et du développement.
Les allergies pourraient commencer avant la naissance
Comme presque un Européen sur deux, vous souffrez peut-être d’une maladie allergique, et il se peut que celle-ci se soit déclarée quand vous étiez enfant. Et si son origine remontait plus loin encore ? Les causes de ces maladies sont en partie génétiques, mais les experts savent depuis un certain temps que ce que la future mère mange et respire peut avoir un impact sur son fœtus.
Au cours de la décennie écoulée, les scientifiques ont apporté de nouvelles preuves attestant l’existence d’un lien entre le régime alimentaire, le mode de vie de la femme enceinte et le futur état de santé de ses enfants.
Les conclusions récentes d’une étude de cohorte flamande (financée par les autorités et coordonnée par l’organisme scientifique VITO) ayant suivi des mères et leurs enfants de la grossesse à la naissance établissent une corrélation entre l’exposition prénatale aux polluants aériens émis par les véhicules – surtout du dioxyde d’azote (NO2) et des particules fines (PM10) détectées par des stations mesurant la qualité de l’air – et l’apparition des symptômes de l’asthme infantile ou de difficultés respiratoires chez des enfants de 3 ans. L’exposition prénatale à certaines substances chimiques peut donc avoir un impact sur le risque que court l’enfant de développer des allergies.
Le rôle des modifications « sur » votre ADN
Des études récentes indique qu’un mécanisme épigénétique, la méthylation de l’ADN, causé par certains facteurs environnementaux, explique peut-être ce lien entre les premières phases du développement et un risque accru de maladie plus tard dans la vie.
En quoi consistent ces modifications épigénétiques ? L’ADN, notre programme génétique, détermine notre apparence physique (aussi appelée phénotype). Mais les particularités dépendent de l’épigénétique, qui recouvre l’ensemble des modifications non génétiques intervenant « sur » les gènes, sans toutefois transformer la séquence d’ADN elle-même.
La méthylation de l’ADN désigne le mécanisme par lequel des groupes méthyles (CH3) sont ajoutés à l’ADN, ce qui affecte le comportement des gènes (la manière dont ils « s’expriment ») et donc, indirectement, notre phénotype.
Ainsi, l’adoption par la future maman d’un régime alimentaire néfaste, ou son exposition à certains composés chimiques, en particulier durant les premières phases de la grossesse, peut altérer le processus de méthylation de l’ADN sur le génome du fœtus, activant certains gènes et en désactivant d’autres. Cela peut influer sur son risque de contracter une allergie.
On a montré qu’un régime « moderne », dominé par des aliments transformés faibles en antioxydants mais riches en acides gras saturés, pouvait contribuer à rendre plus sensible aux allergies. En revanche, la consommation fréquente de fruits, de légumes et de poisson est corrélée à une moindre prévalence de l’asthme.
On a également établi qu’un régime intégrant des poissons à haute teneur en oméga 3 pouvait compenser la réaction pro-allergique. De plus, une application rigoureuse du régime méditerranéen dans les premières années de la vie semble protéger les enfants contre le développement d’allergies.
Heureusement, ces modifications épigénétiques sont, dans une certaine mesure, réversibles. Des études ont montré que les altérations se traduisant par un accroissement de la masse corporelle pouvaient être contrebalancées par une supplémentation en nutriments essentiels comme la choline, la bétaïne et l’acide folique.
Cela dit, l’exposition extrême ou chronique à certains facteurs, en particulier durant la grossesse (sous-nutrition, suralimentation, exposition à certaines substances chimiques sur le lieu de travail) semble perturber les processus épigénétiques au point de laisser une « empreinte » sur le génome, susceptible d’être transmise à la génération suivante et donc d’accroître encore davantage les risques. Il est donc extrêmement important de sensibiliser le grand public à ces risques et de conseiller judicieusement les femmes enceintes, pour leur permettre d’offrir un avenir sain à leurs enfants et petits-enfants.
De nouveaux marqueurs épigénétiques pour détecter les allergies respiratoires
L’étude que j’ai réalisée au sein du VITO consistait à vérifier si l’exposition aux substances chimiques durant la grossesse et les premières années altérait les processus de méthylation de l’ADN de l’enfant (les sujets étaient âgés de 5 à 11 ans), affectant par là même son système immunitaire et ses risques allergiques.
Nous avons analysé des questionnaires et des échantillons de salive recueillis auprès de quelque 170 paires mère/enfant issues de deux cohortes de naissance différentes, originaires des Flandres (FLESH1 et FLESH2). En scannant, sur la totalité de leur génome, les processus de méthylation de l’ADN chez les enfants souffrant d’allergies respiratoires (rhume des foins, asthme, allergie aux acariens) et en les comparant à ceux des enfants non allergiques, nous avons mis au jour une liste de 27 gènes présentant un processus de méthylation altéré. Cette liste pourrait ainsi servir à diagnostiquer les allergies respiratoires.
Curieusement, nous avons relevé une corrélation entre l’altération des formes de méthylation au niveau de trois de ces gènes et l’exposition des mères enceintes (et des enfants avant leur onzième année) aux polluants aériens. Cela laisse à penser que ces altérations épigénétiques liées aux allergies pourraient résulter de cette exposition durant les premières années de la vie.
Comme les gènes en question jouent un rôle régulateur lors des crises allergiques, il peut être intéressant de les étudier en vue de mettre au point un système permettant de diagnostiquer à l’avance le risque allergique en scannant le génome. Si l’exposition aux substances chimiques et les altérations qu’elle provoque dans les formes de méthylation de l’ADN peuvent être détectées assez tôt, on peut envisager la mise au point de stratégies à différents niveaux permettant de prévenir cette exposition ou le risque de contracter une allergie, en particulier chez l’enfant. On pourrait alors conseiller le législateur dans le cadre d’une révision des normes encadrant la pollution aérienne, et apporter une meilleure information aux adultes qui souhaitent avoir des enfants.
Traduit de l’anglais par Arnaud Gancel pour Fast for Word.
Découvrez les travaux de Sabine Langie sur la programmation environnementale et nutritionnelle des allergies chez l’enfant dans le cadre de l’Axa Research Fund.
Sabine Langie, Postdoctoral fellow – Flemish Institute for Technological Research (VITO), Hasselt University
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.