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Lyme : le grand bazar des tests de dépistage

Muriel Vayssier-Taussat, INRA

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La morsure de la tique à l’origine de la maladie de Lyme (capture Youtube)

C’est devant la justice, actuellement, que se discute la fiabilité des tests de dépistage pour Lyme, cette maladie transmise par les tiques. Une situation inédite et assez déroutante pour les scientifiques qui, comme moi, travaillent sur le sujet dans leur laboratoire de recherche. Entre les tests homologués peu fiables, les tests non officiels peut-être plus fiables mais non évalués et les tests complètement fantaisistes défendus par des malades dans le désarroi, c’est… le grand bazar. Aiguillonnée par la demande légitime des patients, la communauté des chercheurs met désormais les bouchées doubles pour faire le tri parmi toutes ces méthodes et proposer le plus vite possible des tests efficaces.

La Cour d’appel de Colmar a rendu aujourd’hui, le 14 décembre, son arrêt dans le procès des « rebelles » de Lyme. L’un des prévenus, pharmacienne, pratiquait dans son laboratoire d’analyses à Strasbourg une méthode de dépistage alternative dans cette maladie transmise par les tiques. Elle a vu confirmée la peine infligée en première instance, 9 mois de prison avec sursis pour « escroquerie » et l’obligation de rembourser 280 000 euros à l’assurance maladie. Son avocat a annoncé son intention de se pourvoir en cassation. De leur côté, 130 patients regroupés dans un collectif baptisé Lymaction ont déposé plainte, au mois d’octobre, contre les laboratoires fabriquant les tests officiels auxquels ils reprochent leur manque de fiabilité. Autant dire que la question des tests, en France, suscite plus que des empoignades.

Derrière ces batailles très médiatisées, il y a de nombreuses personnes diagnostiquées négatives par les tests officiels, mais persuadées d’avoir contracté la maladie de Lyme. Des gens cherchant désespérément des méthodes alternatives qui pourraient confirmer leur maladie, ou pas. En tout cas, mettre fin à l’incertitude.

Un jeu de piste pour trouver où se loge la bactérie

Le défi, avec cette maladie encore en grande partie mystérieuse, est de trouver où, dans l’organisme, se loge la bactérie incriminée. Ou alors de repérer les traces qu’elle laisse durant sa migration depuis le point de piqûre vers d’autres parties du corps. Dans ce jeu de pistes, la bactérie semble être plus forte que les chercheurs. Pour le moment du moins.

La première voie, celle qui a été choisie pour les tests réglementaires, consiste à chercher dans le sang les anticorps déclenchés contre la bactérie par le système immunitaire du malade. Il s’agit des tests Elisa et Western Blot, validés par une conférence de consensus qui s’est tenu il y a dix ans, désormais très discutée. Ils sont proposés aux patients en cas de suspicion d’une maladie de Lyme et réalisés dans un laboratoire d’analyses. Ce sont des tests sérologiques, c’est à dire qui étudient le sérum, un constituant du sang.

Plusieurs bactéries pour une même maladie

Test Elisa, ici pour le virus HIV.
Lab Science Career/Flickr, CC BY-NC-SA

Les tests sérologiques se heurtent à plusieurs difficultés. En France et ailleurs en Europe, la maladie de Lyme n’est pas due à une seule bactérie mais à plusieurs appartenant à cinq espèces différentes au moins, toutes du genre Borrelia. Pour mettre en évidence les anticorps produits par l’organisme au contact de ces bactéries, il faut donc utiliser des antigènes (les protéines de la bactérie reconnues par ces anticorps) qui puissent être reconnus quelles que soient les espèces bactériennes à l’origine de la maladie. Soit des antigènes communs à toutes ces bactéries, soit une combinaison d’antigènes qui couvre toutes les espèces de bactéries. Sauf que les fabricants de la vingtaine de tests sérologiques autorisés en France n’indiquent pas toujours les réactifs utilisés… Parfois leurs tests ne permettent de reconnaître que certaines bactéries, et on le sait. D’autres fois, on n’a pas cette information.

Par ailleurs, les Borrelia disposent d’une astuce pour passer relativement inaperçues des défenses de l’organisme. Avec une conséquence problématique pour les tests Elisa et Western Blot : elles induisent moins d’anticorps que d’autres bactéries. En effet, au moment où Borrelia se trouve dans les glandes salivaires de la tique, celle-ci se recouvre d’une sorte de manteau fait de constituants du parasite. Quand la tique nous pique, Borrelia pénètre dans notre corps et voyage ensuite « incognito », comme l’ont montré des chercheurs américains de l’université de Yale. Sous ce « déguisement », la bactérie se trouve à l’abri de notre système immunitaire, qui réagit tardivement et faiblement à l’infection. Une infection à Borrelia est dite peu immunogène, c’est-à-dire qu’elle active peu le système immunitaire de la personne infectée. Les tests peuvent donc donner, à tort, un résultat négatif.

Que penser de la vingtaine de tests autorisés en France ? Si la fiabilité de certains a été établie, elle reste discutable pour d’autres, pour lesquels peu de données sont disponibles. Le Haut conseil de la santé publique a d’ailleurs recommandé dès 2014 que la sensibilité et la spécificité de l’ensemble de ces tests puissent être vérifiées.

Le test de la « goutte épaisse »

Une autre voie, non reconnue officiellement, consiste à tenter de repérer Borrelia à l’œil nu, sous un microscope, à partir d’un peu de sang. En France ou à l’étranger (en particulier en Allemagne), des laboratoires d’analyses proposent cette technique très simple, appelée test « de la goutte épaisse ». Elle consiste à observer une goutte de sang déposée sur une lame à l’aide d’un microscope à fond noir. Ce test est déjà utilisé pour repérer l’agent pathogène du paludisme, Plasmodium falciparum, transmis, lui, par un moustique.

La bactérie Borrelia Burgdorferi, agent de la maladie de Lyme, observée en microscopie à fond noir – ici à partir d’une culture in vitro.
CDC — National Center for Infectious Diseases via Lenny Flank/Flickr, CC BY-NC-SA

Avertie par une association de patients que certains utilisaient cette technique à la maison, notre équipe a souhaité l’évaluer. En effet, si cette technique extrêmement simple à mettre en œuvre pouvait faire ses preuves, cela révolutionnerait, ni plus ni moins, le diagnostic de la maladie de Lyme. Nous avons ainsi réalisé un essai, avec nos collègues médecins de l’équipe du Pr Christian Perronne à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), sur deux groupes de sujets : des malades qui avaient obtenu un résultat positif en utilisant cette technique chez eux (témoins positifs de notre étude), et des personnes en bonne santé (témoins négatifs de notre étude).

Résultat : toutes ces personnes, malades ou non, se sont révélées positives au test de la goutte épaisse ! On voyait bien des bâtonnets en forme de petits serpents, ressemblant à s’y méprendre à la forme typique de Borrelia, sortir des cellules de malades… mais aussi de celles des personnes en bonne santé. Nous avons conclu que cette technique ne pouvait pas être utilisée comme moyen de diagnostic, puisqu’elle déclarait positifs des individus malades, mais aussi des individus en bonne santé.

Rechercher la bactérie par son ADN

Troisième piste : traquer l’ADN de Borrelia dans tous les fluides du corps et les tissus biologiques où elle pourrait se loger, voire seulement transiter, comme le sang ou l’urine. La PCR (pour Polymerase Chain reaction), une méthode d’amplification de l’ADN utilisée pour trouver le virus du Sida ou des traces d’OGM dans les aliments, apparaît comme une méthode de choix, car très sensible. Elle est aussi très spécifique (c’est-à-dire que le risque de confondre une autre cible avec une Borrelia est faible), à condition d’être utilisée selon des normes strictes, avec de nombreux contrôles, pour éviter le risque de contaminations par d’autres matériels génétiques. Encore faut-il que la bactérie soit présente dans le liquide ou le tissu analysé…

Or Borrelia ne circule dans le sang que de manière transitoire et n’y persiste pas. C’est pourquoi la technique de la PCR ne peut être considérée comme fiable quand elle est utilisée sur des prélèvements de sang, comme c’est le cas en Allemagne par exemple. Par contre elle peut s’avérer utile dans des formes particulières de la maladie, notamment en cas de symptômes articulaires. On peut alors prélever le liquide synovial contenu dans les articulations pour l’analyser. De même, en présence de symptômes neurologiques, on peut détecter les Borrelia par PCR dans le liquide céphalo-rachidien prélevé par ponction lombaire.

Un test utilisé habituellement pour la tuberculose

Une quatrième voie consiste à mettre en évidence des cellules du système immunitaire du patient qui auraient été en contact avec Borrelia. Ce test, l’Elispot, est proposé par certains laboratoires d’analyse médicales qui l’utilisent, habituellement, pour le diagnostic de la tuberculose. Mais comme le test de la goutte épaisse, il produit un nombre très élevé de résultats positifs. En dépit de mes recherches dans la littérature scientifique, je n’ai trouvé aucune donnée permettant d’affirmer que ce test a une spécificité et une sensibilité acceptable pour être employé dans le diagnostic de la maladie de Lyme. Les résultats de l’Elispot sont donc à prendre avec une grande précaution. D’autant qu’ils coûtent très cher (environ 300 euros) et que dans leur désarroi, certains malades se retrouvent à débourser des sommes importantes pour un résultat non probant.

Peut-on espérer disposer un jour d’un test efficace contre la maladie de Lyme ? La réponse est oui. Sous la pression des associations de malades et de certains médecins, les autorités sanitaires ont pris conscience de ce problème de diagnostic. Ainsi le plan national contre la maladie de Lyme annoncé fin septembre prévoit l’évaluation de la performance des tests existants – y compris les tests sérologiques, qui sont pourtant présentés comme la référence aujourd’hui. Il inclut aussi le soutien de la recherche pour le développement de tests innovants tenant compte des caractéristiques si particulières des Borrelia. À titre d’exemple, l’Agence nationale de la recherche (ANR) finance des essais avec des tests cutanés, qui donnent déjà de bons résultats chez les animaux. Reste à passer aux essais chez l’homme. Dans tous les cas, il faut compter au moins trois ans avant qu’un tel test arrive dans les pharmacies.

The Conversation

Muriel Vayssier-Taussat, Microbiologiste, INRA

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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