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Enrayer l’abstention, un travail de fond…

Point-de-vue. Le taux historique d’abstention aux élections du 20 juin 2021 interroge les politiques de tous bords. L’ancien secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert, avance plusieurs explications et propose quelques mesures pour y remédier.

Christian Eckert, ancien secrétaire d'Etat au Budget (DR)
Christian Eckert, ancien secrétaire d’État au Budget (DR)

Par Christian Eckert

L’énorme taux d’abstention constaté au premier tour des élections départementales et régionales interpelle. Il doit nous faire réfléchir et plus encore agir. Ceux qui pensent qu’autoriser le vote par correspondance ou instaurer le vote électronique suffira à régler le problème commettent une grave erreur. C’est comme ceux qui cassent le thermomètre en espérant faire ainsi baisser la fièvre !

L’énorme taux d’abstention mesuré le 20 janvier est en fait le signe indiscutable d’un malaise bien plus profond : la distance, le fossé pour ne pas dire l’abîme entre les citoyens et les élus, quand ce n’est pas entre le peuple et les élites …

Osons plusieurs explications :

1- Les élus seraient « tous pourris », corrompus et profiteraient de leurs situations pour eux-mêmes ou leurs proches. Je pourrais remplir un livre pour citer exemples et contrexemples, faire de multiples comparaisons, calculer des ratios… Ce serait vain… Ce qui est sûr, c’est que, à tort ou à raison, ce sentiment existe très majoritairement chez les gens. Il faut donc prendre quelques mesures simples et fortes. J’en avance trois, même si d’autres peuvent y concourir :

  • Rendre inéligibles les personnes n’ayant pas un casier judiciaire vierge.
  • Plafonner le cumul des indemnités de chaque élu au montant de l’indemnité parlementaire.
  • Raccourcir la durée des procédures judiciaires visant des élus à une durée qui évite de faire croire à leur impunité.

2- Les élus auraient tous échoué, quel que soit leur bord politique, et seraient pour le moins des incapables ou au pire, des traitres à leurs propres engagements. Là aussi, on pourrait argumenter et en discuter des heures avec peu de chance de convaincre ce jugement fortement ancré dans l’opinion. Là encore, risquons trois suggestions souvent faciles à énoncer, mais pas toujours aisées à mettre en œuvre :

  • Il faut faire de la pédagogie, développer les contacts entre les élus et les citoyens, par des réunions de quartiers, des comptes-rendus de mandat quitte à les rendre obligatoires et périodiques. Elles pourraient permettre d’expliquer les « changements de pied » ou les impossibilités à faire, souvent découlant de facteurs externes.
  • On doit simplifier le mille-feuilles territorial, par un mouvement de décentralisation audacieux qui rapproche la décision des citoyens-électeurs-usagers-contribuables.
  • Les conventions citoyennes ne doivent pas remplacer les assemblées délibérantes, quitte à ouvrir régulièrement ces dernières à des sessions élargies qui acceptent l’écoute réciproque, mais laissent aux élus la décision et la responsabilité.

3- Le Parlement serait peu représentatif et son pouvoir trop limité. Alors pourquoi choisir des députés dont on ne voit pas le travail et que l’on trouve inutiles. Ayant fréquenté l’Assemblée Nationale tantôt comme député, tantôt comme membre du Gouvernement, je confesse ici partager à regret cette analyse, même si j’ai beaucoup apprécié la richesse intellectuelle de cette assemblée. Par symétrie, trois idées non exhaustives pour améliorer les choses :

  • Il faut fluidifier le travail législatif et, même si je sais l’idée peu partagée, supprimer le Sénat qui n’influe en fait que très peu dans l’élaboration des lois et dont les travaux font perdre un temps fou à la décision et nuisent à sa clarté.
  • Sans rentrer dans le détail des procédures ici, les pouvoirs du Parlement doivent lui permettre de fixer lui-même son ordre du jour, de mettre fin aux injonctions gouvernementales et lui donner un vrai pouvoir d’initiative législatif.
  • Le scrutin proportionnel pourrait sans doute obliger à plus de raison et susciter plus de constructions communes et partagées, dans le sens de l’intérêt général trop souvent oublié.

Bien d’autres sujets pourraient ici être mis en réflexion comme le quinquennat, les compétences multiples de chaque assemblée locale, l’obtention à 16 ans du droit de vote, la limitation du nombre de mandats consécutifs, le vote obligatoire et même l’existence d’un Premier Ministre…

Toujours est-il que le soupçon et la défiance du pays envers ses élus commande de se ressaisir. Comment croire que la démocratie n’est pas le seul moyen de donner au peuple le formidable pouvoir d’organiser lui-même sa vie collective ?

Le dégagisme ambiant trouve des explications, mais j’ai beaucoup aimé la métaphore suivante que je livre à notre réflexion :

« Les fourmis, par haine pour le cafard, votèrent pour l’insecticide : ils moururent tous ! Même le grillon qui s’était abstenu… »

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