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Ces animaux venimeux qui nous veulent du bien

Le monstre de Gila, un lézard d'Amérique du nord dont le venin permet de traiter le diabète (Piaxabay)
Le monstre de Gila, un lézard d’Amérique du nord dont un composant du venin permet de traiter le diabète (Piaxabay)

Le venin de serpents, de scorpions, d’anémones de mer, de cônes marins, d’insectes hyménoptères (abeilles, frelons…), d’araignées, d’amphibiens (grenouilles) etc. recèlent des trésors de molécules aux potentialités thérapeutiques. Jean-Marc Sabatier, directeur de recherche au CNRS à l’Institut de neuro-physiopathologie (INP) de l’Université d’Aix-Marseille, en a fait sa spécialité.

Jean-Marc Sabatier
Jean-Marc Sabatier (DR)

Le venin est une arme de défense ou d’attaque de certains animaux dont les toxines peuvent paralyser des proies, coaguler le sang ou provoquer d’autres effets délétères. Ce véritable poison est parfois mortel pour l’homme. On dénombre entre 100.000 et 150.000 décès par an dans le monde, essentiellement dans les pays tropicaux, à la suite de morsures de serpents ou de piqûres de scorpions.
Les scientifiques s’intéressent de plus en plus à ces venins animaux dont on découvre depuis peu les immenses potentialités thérapeutiques. Directeur de recherche au CNRS (Institut de neuro-physiopathologie à l’Université d’Aix-Marseille), Jean-Marc Sabatier est l’un des meilleurs spécialistes des venins animaux. Depuis plus de trente ans, ce toxinologue déchiffre la structure des molécules dont certaines soigneront nos maladies et publie ses travaux dans des revues scientifiques spécialisées. Il est également éditeur-en-chef de la revue  Venoms and Toxins (Bentham Science Publishers). Il aime raconter l’histoire de cette femme souffrant de sclérose-en-plaques qui, après avoir été piquée par un scorpion, a vu ses symptômes disparaître transitoirement.

Cinq molécules issues de venins animaux sur le marché

Il existe actuellement cinq médicaments dérivés de venins animaux utilisés chez l’homme, rappelle le scientifique.
1– Le premier, prescrit depuis 1980, est le Captopril, issu d’un serpent brésilien (Bothrops Jararaca), inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 1; celui-ci a une activité anti-hypertensive.
2– Le Prialt (Ziconotide), une autre molécule utilisée dans les hôpitaux comme anti-douleur puissant. Cet analgésique provient d’un cône marin (Conus magus).
3– Le Tirofiban est un anti-thrombotique, médicament anti-agrégant plaquettaire utilisé dans le traitement de l’infarctus du myocarde. Cette molécule provient du venin d’une vipère indienne (Echis carinatus).
4– L’Integriline (Eptifibatide) est un autre anti-thrombotique, provenant d’un crotale d’Amérique du nord (Sistrurus miliarius).
5– Le Byetta (Exénatide) est un anti-diabétique régulateur de la glycémie. Il provient d’un lézard d’Amérique du nord appelé ‘’le monstre de Gila’’. Cette molécule mime l’action de l’insuline.

Plusieurs molécules en cours de développement

« Il existe aussi des molécules en cours de développement pour traiter diverses maladies dont les maladies auto-immunes (comme la sclérose-en-plaques, la poly-arthrite rhumatoïde etc.), précise Jean-Marc Sabatier. Dont trois en particulier font l’objet de recherches intenses ».

  • Une molécule dérivée de la toxine ShK d’une anémone de mer (Stichodactyla hélianthus) aux propriétés immuno-suppressives dues à son activité de blocage des canaux potassium (canaux Kv1.3) laissant présager un traitement efficace des maladies liées à l’auto-immunité.
  • Une molécule dérivée de la toxine OsK1 provenant d’un scorpion (Orthochirus scrobiculosus) bloque les mêmes canaux potassium (Kv1.3).
  • Une molécule dérivée de la maurotoxine provenant d’un autre scorpion (Scorpio maurus) dont la spécificité est de bloquer un autre canal potassium activé par le calcium (canaux IKCa1).

Ces trois molécules ayant une activité immuno-suppressive (inhibition de l’activation du système immunitaire).

Soigner de nombreuses pathologies

Les venins proviennent : des serpents, des scorpions, des insectes (abeilles, frelons…), des anémones de mer, des vers marins, des cônes marins, des araignées, des amphibiens et des lézards. « Ces venins contiennent des molécules présentant (avec ou sans modification chimique) un fort potentiel pour traiter les maladies auto-immunes mais aussi les maladies nerveuses (Alzheimer, schizophrénie, etc.), les maladies cardio-vasculaires (hypertension, thromboses, etc). Des molécules issues de venins animaux peuvent également agir contre les infections microbiennes (bactéries, virus, parasites, champignons). Le champ des applications est immense.
« Il existe des centaines pour ne pas dire des milliers de molécules différentes dans ces venins, ajoute Jean-Marc Sabatier. Ce sont des trésors encore largement inexploités pour les futurs médicaments. Auparavant, des quantités importantes de venin étaient nécessaires pour avancer dans les recherches. De nos jours, il est possible d’avancer très rapidement sur ces molécules grâce aux méthodes d’analyse plus fines et plus sensibles disponibles en laboratoire. Le criblage des venins animaux permet d’isoler des molécules actives sur des récepteurs dont on connaît l’implication dans les maladies humaines. Il est possible de caractériser ces molécules pour en déterminer leur structure chimique. L’étape suivante est la fabrication de ces produits par synthèse chimique ou génie génétique. »
Les laboratoires pharmaceutiques ont bien compris les énormes potentiels thérapeutiques de ces venins. Ils misent sur ces animaux venimeux qui nous effraient et qui, sans le vouloir vraiment, peuvent nous faire beaucoup de bien.

 Vertebrados, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Bothrops Jararaca, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
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