Intitulé « chronique d’un avion fantôme », le documentaire réalisé par Dominique Hennequin (Nomades TV) revient sur ce scandale politico-aéronautique qui a défrayé la chronique entre 2008 et 2013 en Lorraine. Diffusion dans la nuit du lundi 30 novembre au mardi 1er décembre 2020 à 0 h 20.
En 2008, le Conseil régional de Lorraine alors présidé par le socialiste Jean-Pierre Masseret se prend à rêver de la création ex-nihilo d’une filière aéronautique dans cette région lourdement sinistrée par la crise de la sidérurgie. Le projet, porté par Serge Bitboul, un industriel recommandé par Gérard Longuet (ex-président de région) et une société d’intelligence stratégique (CEIS), devait créer un millier d’emplois sur la base aérienne de Chambley (54) et redorer l’image un peu trop grise et triste de la Lorraine.
Rien ne fut trop beau dès lors pour accueillir Serge Bitboul, le PDG de GECI et son ambitieux Skylander, un avion bi-turbo propulseur de 19 places qui devait révolutionner l’aviation avec cet aéronef rustique capable de décoller et d’atterrir sur des pistes courtes. La base de Chambley fut réaménagée à grands frais (comprenant, entre autres, la création d’un restaurant gastronomique); les subventions et avances de trésorerie (21 M€ au total) ont été votées sans difficultés par les élus régionaux, de gauche comme de droite; Oséo, l’ancêtre de la BPI a débloqué 7 M€ de subventions. L’État soutient lui aussi ce projet en versant une prime de 2,5 M€ au titre de l’Aménagement du Territoire, une autre de 2,5 M€ au titre des Aides à finalité régionale (AFR) puis un crédit impôt-recherche (CIR) de 11 M€. Il promet encore 60 M€ supplémentaires si le projet est adossé à un grand industriel du secteur (ce qui ne se fera pas).
6 milliards de dollars!
Pourquoi autant d’argent public pour ce projet d’avion ? Parce que Serge Bitboul annonce urbi et orbi que son avion est unique, révolutionnaire. Il affirme qu’il a engrangé des promesses de vente par centaines aux quatre coins du monde. Le marché est« immense », dit-il. « Notre production future est de 1.000 avions, notre chiffre d’affaires prévisionnel de six milliards de dollars !»
Et on le croit. Tout le monde le croit. Et à chaque annonce tonitruante, il réalise des levées de fonds sur le marché Alternext où les petits actionnaires se font plumer : L’action grimpe de 25% le 23 Mai avant de s’effondrer quelques jours plus tard.
Car si l’avion se »vend » bien sur les communiqués de presse de Serge Bitboul, dans les ateliers de Chambley, l’avion a du mal à prendre forme. Le 27 avril 2010 Serge Bitboul organise une cérémonie appelée la découpe des premiers copeaux (il s’agit de l’usinage de la première pièce de l’avion par Baccarat Précision) et annonce que la production industrielle peut commencer.
C’est impossible. Totalement impossible.
Une procédure incontournable
Pourquoi ? Parce qu’à cette date (27 avril 2010) c’est à dire deux ans après s’être installé en Lorraine, l’entreprise GECI-Aviation n’a toujours pas déposé sa demande d’agrément, comme constructeur d’avions, au seul organisme européen (depuis 2003) chargé de la procédure de certification des aéronefs, l’Agence européenne de sécurité aérienne (EASA) basée à Cologne en Allemagne. Or, la procédure visant à obtenir la certification d’un avion, petit ou gros, est longue, coûteuse et incontournable. Le processus est le suivant :
1- demande d’agrément visant à valider les compétences humaines et organisationnelles de la partie conception de l’avion. On l’appelle Design Organisation Approval (DOA). Il faut plusieurs mois sinon plusieurs années (pour un industriel qui n’a jamais construit d’avion, comme c’est le cas de Serge Bitboul) pour obtenir cet agrément. Et après avoir payé environ 450.000 € pour l’ouverture du dossier.
2- Le POA, c’est à dire de la partie production de l’avion fait appel à des équipes de spécialistes pour vérifier que l’avion est conforme en tous points au règlement européen CS 23 (Certification Spécification) applicable aux avions de moins de 19.000 livres (8.620 kg) comme le SK-105. « Il faut généralement entre 3 et 5 ans » précise un spécialiste de l’EASA en ajoutant « même les grands constructeurs n’échappent pas à un glissement des délais de 2 ou 3 ans. »
Or, à la date du 27 avril 2010, la demande d’agrément n’avait toujours pas été déposée à l’EASA (elle le sera trois mois plus tard après la publication des premiers articles dans l’Est Républicain). Serge Bitboul a donc bluffé en annonçant le début de l’industrialisation de l’avion. Aucun des 73 élus élu du conseil régional de Lorraine n’a vérifié cette histoire de certification. Au contraire, ils ont continué à verser des subventions. Ils ont été, pour le moins, très légers.
Dix ans plus tard
Ce qui devait arriver, arriva. La société Sky Aircraft, filiale de Geci-Aviation, filiale de Geci-International, dépose le bilan le 4 octobre 2012 au tribunal de commerce de Briey (54). Elle est mise en liquidation judiciaire le 13 avril 2013. Le passif de l’entreprise s’élève à 120 M€ dont 11 M€ de dettes fiscales. Près de 200 salariés sont licenciés. Certains ne retrouveront pas de travail dans leur domaine de compétence.
Dix ans plus tard, on constate que le Skylander, tant attendu par le marché, n’a réalisé aucune commande ferme. Qu’aucun brevet innovant n’a été déposé pour cet avion qui se voulait révolutionnaire. Que la concurrence ne s’est pas engouffrée dans ce marché si prometteur, en dehors de quelques avions vendus à de grosses entreprises de transport aérien.
Enfin, le conseil régional de Lorraine finira par déposer une plainte au pénal pour escroquerie ! Elle est toujours pendante devant diverses juridictions. Et son président, Jean-Pierre Masseret viendra dire à la fin du film documentaire de France 3 « Je suis le con de l’affaire ».
Si c’est lui qui le dit….