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Le monde discret et fabuleux des makers et des fablabs

Maître de conférences à l’ENS Paris-Saclay, Volny Fages et plusieurs de ses étudiants et collègues ont mené une enquête sur le rôle de ces super bricoleurs équipés d’imprimantes 3D dans la crise du Covid.

Fabrication de visières de protection dans un fablab (photo Quentin Chevrier)
Fabrication de visières de protection dans un fablab (photo Quentin Chevrier)
Volny Fages, maître de conférence à l'ENS Paris-Saclay (photo V. Fages)
Volny Fages, maître de conférence à l’ENS Paris-Saclay (photo V. Fages)

Les makers ? « C’est un mouvement issu de la culture Do It Yourself (DIY) ou ‘’Faites-le vous-même’’ tournée vers la technologie, le partage de connaissances, et la création de collectifs » explique Volny Fages, enseignant-chercheur à l’Ecole Normale Supérieure de Paris-Saclay. « Ils fréquentent les fablabs ces espaces partagés, ces tiers-lieux où l’on partage des machines et des connaissances, participant à un mouvement de portée mondiale. En France, depuis une dizaine d’années, les makers partagent des machines, dont les imprimantes 3D avec lesquelles ils fabriquent toute sorte d’objets. »

Au jour le jour

Voilà donc le monde talentueux et imaginatif qu’a voulu étudier Volny Fages au début de la crise du coronavirus, dès le mois de mars 2020. « Les makers s’exprimaient beaucoup sur les réseaux sociaux dit-il, j’ai voulu suivre ce mouvement au jour le jour. »
Rapidement, le chercheur et ses étudiants normaliens constatent que les makers prennent deux directions. Les uns effectuent des recherches sur des dispositifs médicaux complexes, dont les respirateurs artificiels dont manquent cruellement les hôpitaux en pleine crise du Covid. Ils font des travaux de R&D souvent en collaboration avec les médecins. D’autres se lancent dans la fabrication et la distribution de visières de protection faciale puisqu’à cette époque la France manque de masques.
C’est vers cette deuxième catégorie de makers que va porter l’étude de Volny Fages. Des heures de recherche, une cinquantaine d’entretiens, le dépouillement de 400 questionnaires. Et, au bout, une image assez nette de ce monde de l’ombre, méconnu du grand public.

Dans tous les territoires

« C’est une communauté d’au moins 10.000 personnes en France, souligne Volny Fages. Ils sont autant en Belgique, en Espagne, en Allemagne… le mouvement est international. Le mouvement des makers s’est déployé sur tous les territoires, dans les villes comme dans les petits villages. On peut identifier en fait quatre types de producteurs de visières : les individus isolés ou indépendants ; ceux qui sont habitués à travailler en groupe dans les fablabs. Ils peuvent répondre rapidement à des demandes ; il y a aussi les TPE-PME disposant d’imprimante 3D haut de gamme en liaison avec ce monde (architectes, petites entreprises de plasturgie, etc.) ; enfin, il y a les grandes entreprises (Renault, Thalès et autres) très organisés et indépendants. Nous nous sommes intéressés aux deux premières catégories, qui appartiennent plus spécifiquement au monde des makers. »

Au moins 300.000 visières

Le sociologue et son équipe ont constaté « une forme d’auto-organisation » des makers au niveau municipal, département ou régional, avec une capacité d’adaptation extraordinaire pour faire le lien entre l’offre et la demande.
« Dès le mois de mars, ils ont fabriqué 300.000 visières, peut-être beaucoup plus, ajoute Volny Fages. C’étaient surtout des dons au personnel médical parce que les masques tissu ne protègent pas les yeux ». Dans certains hôpitaux et EPHAD, ces dons de visières ont changé la vie des soignants. Puis ils ont fabriqué des visières pour les commerçants qui continuaient à faire marcher l’économie au cœur de la crise.
Mais il y a eu un débat sur l’efficacité des visières par rapport aux masques. « Aujourd’hui, le masque a gagné, constate l’universitaire. Les makers ne sont autorisés qu’à donner des visières, pour un usage en complément des masques. Des incertitudes autour des questions de normes, de légalité, on conduit les makers à arrêter la production avant l’été. Mais le réseau est là. Il peut être réactivé à tout moment. »

A bas-bruit

Le monde des makers et des fab labs, c’est « le prolongement du bricolage. » Ils fabriquent de tout : des pièces pour les voitures, pour les vélos, les tracteurs, mais aussi des lampes, des vêtements…. Ils font de l’innovation à bas-bruit, pour une production à faible extension géographique. Le DIY (Do It Yourself) rassemble plusieurs millions de personnes dans le monde.
« La communauté des makers préfigure sans doute le monde d’après, explique Volny Fages. Avec des formes de production nouvelles, sur de petits territoires, une vision politique sur le partage, la coopération. Le levier des fablabs peut transformer la société. »

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