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Le procès « Charlie Hebdo », une épreuve aussi pour l’État de droit

Hommage à CHarlie Hebdo (wikimedia commons)
Hommage à CHarlie Hebdo (wikimedia commons)

Jean-Claude Planque, Université de Lille

Ce 2 septembre s’ouvre le procès des attentats de janvier 2015.

Les frères Chérif et Saïd Kouachi et Amédy Coulibaly ne seront pas jugés lors de ce procès puisqu’ils ont été abattus par les forces de l’ordre, ce qui éteint l’action publique.

Tous trois ont été les auteurs directs des attentats sur la rédaction de Charlie Hebdo à Paris, à Montrouge et dans le supermarché Hypercacher de la porte de Vincennes qui ont fait 17 morts et plusieurs blessés entre le 7 et le 9 janvier 2015.

En revanche, 11 personnes seront dans le box des accusés pour avoir facilité les actes terroristes en question et trois autres, actuellement en fuite, seront jugées en leur absence.

Les qualifications retenues à leur encontre seront celles de complicité et d’association de malfaiteurs terroriste.

À bien des égards ce procès est unique, non seulement par son fort impact médiatique, sa durée, mais aussi en raison des débats sociétaux qu’il relance, comme celui sur les limites de l’état de droit.

Un procès devant une Cour d’Assises sans jurés

Ce n’est que depuis une loi de 1986 que les actes terroristes font l’objet d’un traitement particulier en droit français.

Outre l’aggravation des peines encourues par les auteurs d’infractions commises avec un but terroriste, ce texte est venu soumettre ces faits à une Cour d’Assises spéciale créée en 1982 pour, à l’origine, juger certains crimes militaires, suite à la suppression des juridictions militaires en temps de paix et de la Cour de sûreté de l’État.

Si le principe selon lequel les crimes, infractions les plus graves, sont jugés par une juridiction comprenant trois magistrats professionnels et des jurés populaires tirés au sort est parfois critiqué, il n’en reste pas moins très solide comme en témoignent les critiques face à l’expérimentation des Cours criminelles.

C’est avant tout pour éviter les risques de pressions et de menaces sur les jurés, telles que celles exercées par un des accusés lors d’un procès contre les membres du groupe Action Directe, que le législateur a prévu de soumettre les crimes qualifiés de terroristes à la Cour d’Assises spéciale composée uniquement de magistrats professionnels. Il est à noter que hormis sa composition, la procédure suivie est semblable à celle appliquée devant les Cours d’Assises ordinaires et assure tout autant les droits des parties.

Jusqu’en janvier 2017, cette cour d’Assises spéciale était composée de sept magistrats dont un Président (neuf en appel), mais afin de pouvoir augmenter le volume d’affaires jugées ce nombre a été réduit à cinq en première instance (sept en appel). Cette juridiction a une compétence nationale ce qui signifie qu’elle juge l’ensemble des crimes terroristes commis sur le territoire français. Elle siège, en principe, au Palais de justice de Paris sur l’île de la Cité.

Aujourd’hui, pour des raisons logistiques, tenant au nombre de participants (200 parties civiles) et aux exigences sanitaires, le procès Charlie Hebdo se tiendra au sein du nouveau Tribunal de Paris.

Un procès filmé pour l’histoire : une première en matière terroriste

Le principe est qu’il est interdit de filmer, de photographier ou d’enregistrer lors des audiences. Cette interdiction remonte à une loi de 1954 et sa violation peut entraîner une amende de 4500 euros et la confiscation du matériel. En 1985, cette interdiction a été très légèrement assouplie par une loi qui permet la captation d’un procès lorsque ce dernier présente un intérêt pour les archives judiciaires.

Peu de procès ont pu bénéficier de cette autorisation. Ont été essentiellement filmés les procès relatifs aux crimes contre l’Humanité commis en France pendant la Seconde Guerre mondiale (Barbie, Papon, Touvier), le procès du sang contaminé et le procès AZF.

Procès Maurice Papon, INA.

Aucun procès lié au terrorisme n’avait encore fait l’objet d’une captation vidéo. Malgré la demande faite par trois familles de victimes, le procès d’Abdelkader Merah, condamné en appel à 30 ans de réclusion criminelle, pour complicité d’assassinats et de tentatives d’assassinats commis par son frère Mohamed en 2012 à Toulouse et Montauban, n’a pas fait l’objet d’une autorisation d’enregistrement par la Cour d’appel de Paris.

En revanche, le procès Charlie Hebdo fera l’objet d’un enregistrement. Le parquet antiterroriste en avait fait l’annonce avant même le report de la date du procès.

Tout sera mis en œuvre pour éviter au maximum de troubler la sérénité de l’audience et assurer au mieux le respect des droits de la défense. Le nombre de caméras sera restreint et ces caméras seront fixes et discrètes en respect des prescriptions légales. Il s’agit d’une captation « brute » de l’audience (pas de montage et encore moins de scénarisation).

Pendant 20 ans les images ne pourront être consultées qu’à des fins historiques ou scientifiques. La reproduction et la diffusion de ces images ne seront libres que 50 ans après la fin du procès.

Un procès pour apporter des réponses

Les familles des victimes et les survivants des attentats voient dans le procès un moment unique pour s’exprimer, extérioriser leurs douleurs et angoisses mais également un moyen d’obtenir des réponses à des questions telles celles de savoir quelles étaient les motivations profondes des auteurs, quels mécanismes ont pu les amener à cette extrémité meurtrière…

Des réponses qu’attend aussi l’ensemble de la société. Or, les questions sont nombreuses et les protagonistes ne seront pas forcément enclins à se montrer diserts. Ainsi, Salah Abdeslam, auteur des attentats du Bataclan et seul rescapé parmi les attaquants refuse de collaborer avec la justice.

En tout état de cause, il reviendra à la Cour, et spécialement à son Président, Régis De Jorna, magistrat expérimenté, de mener les trois mois de débats de manière à satisfaire aux mieux les différentes attentes sans dénaturer le procès.

Quel rôle pour la défense ?

L’avocat est un auxiliaire de justice, ce qui signifie qu’il participe au bon fonctionnement du service public de la justice. En particulier, son rôle est fondamental pour assurer le caractère équitable du procès. Les avocats de la défense sont aussi les derniers et souvent les seuls à faire entendre la voix des personnes poursuivies face à la machine judiciaire et à l’opinion publique dans les domaines sensibles comme la pédocriminalité ou le terrorisme.

C’est là l’essence même de l’avocat de la défense.

Sur un plan plus technique, et dans le procès « Charlie Hebdo », il s’agit ici de personnes qui sont poursuivies pour avoir apporté une aide que l’on peut qualifier de logistique dans la préparation et la réalisation des actes terroristes.

Il faudra donc que la défense tente de distendre les liens entre les accusés et les auteurs des attentats ce qui concrètement reviendra à mettre en doute la réalité des actes d’aide et aussi l’insuffisance de l’élément moral chez les accusés, autrement dit leur connaissance des objectifs terroristes des auteurs principaux.

La démonstration de l’existence de ces éléments est délicate, comme en témoigne l’affaire Abdelkader Merah dans laquelle la première Cour d’assises n’avait pas retenu la complicité au profit de l’association de malfaiteurs terroriste au motif que la preuve de la connaissance des objectifs criminels de son frère n’était pas rapportée alors qu’en appel les juges ont considérés que la complicité était établie.

De la même manière, dans l’affaire Jawad Bendaoud, la connaissance du caractère terroriste des activités des personnes à qui il avait fourni un hébergement est fondamentale et son appréciation avait amené à une relaxe en première instance et à une condamnation en appel.

Ces éléments sont de nature psychologique et donc, par essence, difficile à prouver. La juridiction est contrainte d’en présumer l’existence à partir des éléments factuels du dossier.

La loi définit précisément les conditions légales d’existence de la complicité comme de l’association de malfaiteurs et ce n’est que si la Cour est intimement convaincue de l’existence de ces éléments qu’elle pourra entrer en voie de condamnation. Il s’agit de l’application concrète du principe de la légalité criminelle qui est à la base de notre système pénal et sur lequel repose la notion d’état de droit.

Juger les absents

Trois des accusés renvoyés devant la Cour d’assises spéciale ne seront pas dans le box des accusés et ne pourront donc pas répondre aux nombreuses questions qu’auraient eu à leur poser les magistrats.

Il s’agit d’Hayat Boumedienne, l’épouse religieuse d’Amédy Coulibaly, et de Mehdi et Mohamed Belhoucine qui sont en fuite, peut être en Syrie, ou qui auraient trouvé la mort sur les théâtres d’opérations. En l’absence de preuve formelle de leur décès, ils sont renvoyés devant la Cour d’assises.

Leur absence est d’autant plus regrettable qu’ils sont soupçonnés d’avoir eu des rôles cruciaux dans la préparation des attentats. En particulier Mohamed Belhoucine qui aurait fortement incité Amedy Coulibaly a passer à l’acte (il est parfois désigné comme le « mentor ») ainsi que Hayat Boumedienne qui aurait fourni une aide logistique importante pour la commission des attentats.

Malgré cette absence la Cour d’assises se prononcera sur la culpabilité et l’éventuelle peine de ces trois protagonistes en application de la procédure de défaut criminel. Cette procédure a remplacé, en 2004, la procédure de contumace jugée contraire à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

Lorsque l’accusé et en fuite ou n’est pas présent à l’ouverture de l’audience sans excuse valable il peut être jugé dans des conditions très similaires à ce qui se passe en présence de l’accusé.

Si au terme du procès la culpabilité est retenue et une peine prononcée, la Cour décerne un mandat d’arrêt. Si le condamné est arrêté ou se constitue prisonnier avant la fin du délai de prescription de la peine qui est de trente en matière de crime terroriste, il y aura purge du défaut criminel ce qui entraînera un nouveau procès, cette fois en présence de l’accusé, mais ce dernier peut aussi acquiescer c’est-à-dire renoncer à un nouveau procès et purger la peine prononcée.

Le débat sur les limites de l’état de droit relancé

Les affaires de terrorisme alimentent un débat relatif au bien-fondé, en la matière, du respect des grands principes qui fondent l’état de droit tels que le droit à un avocat, le droit de garder le silence, le principe de la légalité criminelle, le droit de faire appel ou le droit à l’aide juridictionnelle.

L’idée majeure consiste à dire qu’il est schizophrénique de vouloir appliquer les garanties liées à l’état de droit, à des criminels dont le but est la destruction de ce modèle social.

Dans cette théorie la protection du citoyen prime sur tout, y compris les garanties fondamentales.

Il est aisé de constater de tels développements sur les réseaux sociaux, en particulier concernant l’aide juridictionnelle dont peuvent bénéficier les personnes poursuivies pour terrorisme, comme toute autre personne qui n’a pas les moyens financiers d’acquitter les frais liés à sa défense en justice.

Peut être, est-il plus inquiétant de constater que cette même idée prospère chez certains élus de la République et débouche même sur une proposition de loi non retenue, mais qui visait à supprimer cette aide juridictionnelle pour les auteurs d’actes terroristes.

Mais l’état de droit est ou n’est pas. Il ne souffre d’aucune exception. C’est cet absolutisme qui est le rempart à l’autoritarisme et à l’abolition des libertés. Certes, il y a un prix à payer pour cette garantie, c’est une relative vulnérabilité de notre société. Mais pour reprendre et étendre les propos de l’avocate Laure Heinich à propos de Salah Abdeslah : que gagne notre société à respecter ces principes ?

Le fait d’être une démocratie ! Gageons que le procès Charlie Hebdo et ceux qui suivront le démontreront.The Conversation

Jean-Claude Planque, Docteur en droit privé et sciences criminelles, Maître de Conférences Habilité à Diriger des recherches à l’Université de Lille, Codirecteur de l’Institut de criminologie de Lille, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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