Marion Le Tyrant, Aix-Marseille Université
Depuis une dizaine d’années, une nouvelle espèce de moustique s’implante dans le Sud de l’Europe et en France métropolitaine.
Il s’agit d’Aedes albopictus, le « moustique tigre ». Il est appelé ainsi du fait des zébrures noires et blanches qui ornent son abdomen et ses pattes. Reconnu comme l’une des cent espèces les plus invasives au monde, il prolifère dans les espaces (péri)urbains où il génère parfois de très fortes nuisances.
Contrairement aux autres moustiques urbains – comme les Culex pipiens molestus, présents dans toutes les agglomérations –, le moustique tigre pique au début du jour et en fin d’après-midi. Aux nuisances nocturnes que l’on subissait déjà s’ajoute ainsi une nuisance diurne dont on se serait bien passé.
Mais ce n’est pas tout ! Aedes albopictus est une espèce potentiellement vectrice de virus tels que la dengue, le chikungunya ou le zika. Ces virus ne circulent pas dans nos zones tempérées mais peuvent être importés par les voyageurs en provenance des zones tropicales. Entre 2010 et 2017, 39 personnes ont ainsi contracté les virus de la dengue ou du chikungunya sur le territoire métropolitain.
« Monsieur le maire, démoustiquez ! »
Le sentiment de subir une nuisance excessive ajouté aux compétences vectorielles du moustique tigre, responsables d’épidémies d’ampleur à l’échelle internationale ces dernières années, entraînent des réactions d’inquiétude et de mécontentement auprès d’une partie de la population.
L’été dernier, un habitant de Toulouse interpellait ainsi à l’aide d’une pétition en ligne le maire de la ville.
Cette pétition, signée par plus de 7 500 personnes et relayée par les médias locaux et nationaux, a créé un véritable buzz. Cet élan traduisait le ras-le-bol d’habitants excédés par une nuisance jugée « envahissante » et face à laquelle une réaction des autorités locales était espérée. Appuyée par des arguments sanitaires (« insalubrité », « problème de santé publique »), la plainte des Toulousains se doublait d’une demande explicite de démoustication mettant en œuvre des « solutions écoresponsables ».
L’exemple toulousain illustre bien les représentations collectives ambivalentes qui existent autour du principe de démoustication.
Quand démoustiquer = pulvériser
Pensée comme une solution réflexe, la démoustication est souvent perçue comme un moyen radical de venir à bout des moustiques. En France, les politiques d’aménagement du territoire ont contribué à inscrire cette idée dans l’imaginaire collectif.
Dans les années 1960, le développement du littoral méditerranéen et la création des stations balnéaires du Languedoc-Roussillon ont appelé à d’importants travaux d’infrastructures et les opérations de démoustication de ces espaces infestés sont apparues comme un prérequis à l’accueil du tourisme de masse qui caractériserait bientôt les lieux.
À cette époque, la démoustication participait d’une logique d’embellissement. Avec elle s’érigeait la promesse de domestiquer des zones humides et lacustres pour offrir des espaces urbanisés dédiés aux loisirs ; autant de valeurs positives auxquelles se rapportait le principe de démoustication.
Jusqu’aux années 2000, qui marquent l’arrivée du moustique tigre sur le territoire métropolitain, les efforts à entreprendre pour lutter contre les moustiques sont relégués à la puissance publique. La démoustication par pulvérisation constitue alors aux yeux de la population une démonstration visible de la réactivité des autorités.
Ce procédé est ancré dans la mémoire collective, au point parfois de résumer à lui seul le principe de démoustication. Les épandages aériens ont, par exemple, particulièrement marqué les esprits des populations d’outre-mer et du sud de la France.
Jusqu’en 2006, en périodes épidémiques, des pulvérisations aériennes d’adulticide étaient systématiquement réalisées dans les îles outre-marines. Autour du bassin méditerranéen, l’EID Méditerranée recourt à l’épandage aérien pour 70 % des traitements réalisés sur sa zone d’action (de l’étang de Berre dans les Bouches-du-Rhône à Cerbère dans les Pyrénées-Orientales). En Camargue, une démoustication expérimentale est menée sur une petite partie du territoire, par voie aérienne et terrestre.
Enfin, de nombreuses villes mandatent des entreprises prestataires pour réaliser des traitements insecticides par pulvérisation terrestre. Aussi, ces traitements laisseraient-ils penser que la démoustication est l’affaire de grands moyens…
Des collectivités locales en retrait
L’introduction du moustique tigre en France métropolitaine bouscule cette vision de la démoustication. Elle invite à se défaire de l’association « démoustication = pulvérisation » et à réintégrer l’individu à l’effort de lutte contre cette nuisance.
Toute surface d’eau stagnante située dans l’environnement de l’Homme (espaces verts, voiries, jardins, terrasses et balcons arborés) constitue un possible habitat pour le moustique tigre. Ses lieux de ponte sont donc essentiellement urbains, multiples, diverses, souvent temporaires et difficiles d’accès. Des traitements de démoustication systématiques s’avéreraient peu efficaces et non soutenables. Ils accentueraient le risque de résistance de l’espèce aux insecticides et impacteraient l’écosystème du fait de la non-sélectivité des substances utilisées dans les traitements.
De plus, avec la visibilité croissante des préoccupations environnementales dans le débat public, l’acceptabilité sociale de telles mesures serait probablement de plus en plus discutée par l’opinion. Enfin, le coût financier des produits et matériels nécessaires à de telles mesures explique, entre autres raisons, l’absence d’actions « visibles » initiées par les collectivités locales dont les dotations globales de financement ont régulièrement baissé depuis 2013.
L’implantation du moustique tigre a achevé d’instituer une distinction nette entre la démoustication de confort et la lutte antivectorielle. Si cette différence est depuis longtemps admise par les experts et autorités publiques, elle semble moins évidente aux yeux de la population.
Des solutions à portée de main
L’efficacité limitée à très court terme de la démoustication classique (basée sur des pulvérisations d’adulticide) contre le moustique tigre a été mise en évidence dans le cadre de la lutte de confort. Elle demeure toutefois le principal recours en cas de suspicion de cas de dengue, chikungunya ou zika.
Depuis 2006, un plan national prévoit que face à une suspicion de cas, et si des moustiques tigres (larves ou adultes) sont repérés autour de la personne malade, des mesures antivectorielles, au premier rang desquelles des traitements de démoustication par pulvérisations d’insecticides, soient mis en œuvre pour éviter toute transmission locale du virus. En clair, les traitements chimiques contre le moustique tigre sont réservés à des situations sanitaires exceptionnelles.
Cela signifie-t-il qu’une démoustication de confort est impossible à l’encontre du moustique tigre ? Aucunement.
Des moyens de lutte existent, 100 % « écoresponsables ». La traque des eaux stagnantes, lieux de reproduction du moustique, constitue en effet le meilleur moyen de contrôler leur présence et de limiter son exposition à leurs piqûres. Cela suppose de rompre avec les représentations de la démoustication qui ont longtemps prévalu et de reconsidérer la participation individuelle comme un moyen de démoustication.
Cela doit-il dédouaner les institutions locales d’engager des mesures ? Pas davantage !
L’exemple toulousain illustre bien l’importance pour les autorités locales, souvent interpellées par la population, de diffuser une information claire sur les enjeux (sanitaires, environnementaux, de démoustication) liés à la présence du moustique tigre… sachant que les gîtes larvaires ne concernent pas uniquement les environnements privés des personnes. La lutte intégrée apparaît ainsi comme l’élément central de la redéfinition du principe de démoustication à l’égard du moustique tigre.
Marion Le Tyrant, Doctorante en anthropologie, Aix-Marseille Université
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.