C’est une analyse longue et sans concession à laquelle se livre ici Bernard Aubin, secrétaire général du syndicat des cheminots First. Il décortique les tenants et les aboutissants de la réforme de la SNCF.
Si la première ambition qui guide nos décideurs n’est pas ferroviaire, quelle est-elle ?
Un bref regard dans le rétroviseur permet de mieux apprécier les enjeux réels des bouleversements qui se profilent. Quels furent les premiers chantiers de Nicolas Sarkozy et pourquoi ? Son programme de 2007 prévoyait notamment l’« instauration du service minimum dans les services publics » et l’ « alignement des régimes spéciaux des retraites sur le régime général ». Deux points qui, à l’époque, impactaient déjà les cheminots et qui ont été mis en œuvre en priorité absolue.
En fait, l’instauration du « service minimum », devenu entre-temps « service garanti » avait pour but de limiter l’ampleur des mobilisations face aux réformes à venir. Après avoir fragilisé « l’ennemi », le chef de l’Etat avait toute latitude pour empiler les réformes impopulaires sans créer de tumulte majeur. Au passage, soulignons qu’une une victoire contre les cheminots offre à un chef d’Etat, outre un régal pour l’ego, un encouragement à étendre les réformes anti-sociales…
Chef de guerre
Cette stratégie était et reste cousue de fil blanc. Cela n’a pas empêché une partie de la population de condamner l’action des cheminots au lieu de la soutenir… et de se tirer au passage une rafale de mitraillette dans le pied.
Le premier objectif d’Emmanuel Macron est de se cultiver une image de chef de guerre, puis de soigner l’ego de Jupiter et enfin de limiter les résistances aux réformes à venir. Pour ce faire, le Président instrumentalise la problématique ferroviaire plutôt qu’il ne la sert.
Gagner un combat contre le dernier bastion social français lui permettrait de renforcer son autorité, selon la technique éprouvée par Nicolas Sarkozy dix ans plus tôt !
En 2009, ce dernier promulguait également, avec la complicité de deux syndicats, une loi modifiant les conditions de leur représentativité. Bilan : les tensions bien prévisibles qui en découlèrent mirent fin à toute perspective de démarche unitaire. Les syndicats de la SNCF ne se sont plus réunis en totalité depuis cette période, certains préférant l’exclusion à l’indispensable rassemblement des forces. Tant pis pour les salariés !
Les cars Macron
Pour fragiliser ses « ennemis », Emmanuel Macron a engagé une démarche de sabordage complémentaire. Pour sa part, il a pris le parti de couper les vivres aux organisations syndicales en limitant drastiquement le nombre d’Instances de Représentation du Personnel. Autre temps, autre mœurs, mais finalité et stratégies identiques….
Le second objectif de cette réforme ferroviaire est plus terre à terre… Et, tout simplement, financier. A qui bénéficie la mise en circulation des « cars Macrons », première étape de fragilisation menée à l’encontre du ferroviaire par celui qui n’était encore que ministre de l’économie ? Qui sont donc tous ces lobbyistes qui ont fait le pied de grue devant le bureau de Jean-Cyril Spinetta et ont guidé sa plume ? L’ouverture des marchés, si elle représente une menace certaine pour la SNCF et ses cheminots, constitue une véritable aubaine pour d’autres entreprises… Pas forcément françaises d’ailleurs !
Des petites lignes fermées, des dessertes rurales confiées à des start-up, des créneaux plus intéressants confiés à des boites plus importantes… Cela rappelle étrangement les dégâts occasionnés par l’arrivée de la concurrence fret sur le réseau… Une concurrence qui au final a mis tout le monde en difficulté, opérateurs privés compris.
L’on comprend mieux pourquoi, lors des Assises Nationales sur les Mobilités, le train et la SNCF ont été écartés de tous débats !
Stratégie… à la machette
Comment gagner la guerre sociale ? Il est facile de comprendre, même si l’on ne possède que quelques neurones, qu’il est tout à fait impossible de repenser en quelques mois seulement la problématique technique, financière et sociale d’un chemin fer dont les règles ont été peaufinées durant plus d’une centaine d’années.
Tailler à la machette dans un mécanisme d’horlogerie, ce n’est forcément pas une solution viable pour faire circuler les trains à l’heure. Mais, faut-il le répéter, là n’est pas l’objectif prioritaire du gouvernement. Que l’on avance ou que l’on recule, l’important, c’est visiblement de le faire vite, quitte à faire mal.
Avant même que le Gouvernement ne sauve l’ex-député Duron d’une inscription à Pôle emploi en contrepartie d’un rapport incendiaire sur les petites lignes, avant qu’il ne confie à l’ex-PDG d’Air France le soin de rédiger ses préconisations sur le rail, celui-ci avait déjà arrêté les principales lignes de la future Loi d’Orientation sur les Mobilités.
Ceci fait, il ne restait plus qu’à construire un alibi aux orientations retenues, question de sauver les apparences. C’est là l’unique rôle des deux rapports et, au passage, de la grand-messe sur les transports en commun de demain…
Second étage de la fusée
Il s’agit d’obtenir l’adhésion de l’opinion publique. Rien de plus simple, abandonnée à elle-même, la SNCF a offert un service de plus en plus dégradé, prêtant ainsi le flanc aux critiques. S’ensuivent les réactions bien compréhensibles de la clientèle.
Ainsi préparé, le terrain devient favorable à toute idée de réforme, même si à terme, les remèdes proposés sont pires que les maux.
C’est donc sans trop forcer que le gouvernement convaincra les usagers qu’il est urgent de changer : le train c’est cher et ce n’est pas fiable, et puis on est tous contribuables, et puis, vous verrez, ça marchera mieux avec le privé et il y aura moins de grèves… On connait la rengaine !
(A suivre)