Céline Frochot, Université de Lorraine; Muriel Barberi-Heyob, Université de Lorraine, and Serge Mordon, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
Traiter le cancer est un véritable challenge, mais de nouvelles armes apparaissent. Le nombre de patients guéris du cancer augmente tous les ans, grâce aux progrès réalisés en médecine. Le développement de traitements innovants tels que les thérapies ciblées conduisent à une médecine de précision. Parmi l’arsenal thérapeutique, une technique peu connue du grand public et pourtant utilisée cliniquement pour certains types de cancers : la thérapie photodynamique.
Les dermatologues l’utilisent quotidiennement. Des développements récents vont permettre d’étendre les indications à d’autres cancers en particulier celui de la prostate, du poumon, etc..
Molécule photoactivable
De quoi s’agit-il ? La thérapie photodynamique, communément désignée par l’acronyme PDT consiste à mettre en contact un tissu pathologique avec une molécule photoactivable (nommée photosensibilisateur ou agent photosensibilisant), puis à illuminer ce tissu avec une lumière de couleur en adéquation avec les caractéristiques d’activation du photosensibilisateur. Après activation de la molécule par la lumière et réaction avec l’oxygène du tissu, des espèces très toxiques sont produites localement pour induire in fine la destruction de la lésion cancéreuse.
L’avantage majeur de la PDT est sa sélectivité. En effet, la lumière utilisée, seule n’est pas nocive, le photosensibilisateur sans lumière n’est pas toxique. Pour induire la réaction, il faut une action conjointe de la lumière, du photosensibilisateur et de l’oxygène. Ainsi, en optimisant la concentration du photosensibilisateur et la dose de lumière, il est possible de détruire sélectivement des cellules.
C’est en 1978 que Dougherty réalisa les premières applications en cancérologie avec l’Hématoporphyrine Dérivée. La première autorisation mondiale a été accordée pour le photosensibilisateur dénommé Photofrin, en 1993 au Canada, pour le traitement du cancer de la vessie. Aujourd’hui, la PDT est utilisée dans le monde entier pour différentes pathologies même si les sites hospitaliers menant des investigations cliniques demeurent encore trop rares.
En dermatologie, la PDT connait une « success story » : elle est en passe de devenir le traitement de référence des kératoses actiniques (lésions pré-cancéreuses de la peau). Elle est appliquée quotidiennement dans de nombreux pays. En ophtalmologie, dans les années 2000, la PDT a connu un engouement certain pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge, mais depuis l’apparition de nouveaux traitements anti-angiogéniques, elle est moins appliquée. En urologie, la société Stebabiotech a investi énormément d’argent pour le développement d’un nouveau photosensibilisateur, le Tookad, pour le cancer de la prostate. La phase III des essais cliniques est finie en Europe, et ce traitement par PDT est déjà autorisé au Mexique depuis fin 2015.
En gastroentérologie, la PDT a prouvé son efficacité pour des cancers superficiels de l’œsophage après récidive suite à un traitement par radiothérapie. En neurologie, des résultats encourageants montrent que ce traitement pourrait faire partie de l’arsenal thérapeutique, en particulier du glioblastome qui reste un cancer au pronostic très sombre. Il en est de même pour le traitement du mésothéliome (dit cancer de l’amiante). Des études aux USA démontrent que la PDT peut accroître la survie de 9 mois avec les traitements actuels à 51 mois. Des études cliniques humaines sont en cours en France, à Lille. La PDT est également utilisée pour la lutte antimicrobienne dans des pathologies impliquant des virus ou des parasites et également dans la décontamination environnementale.
Esprit critique
Près de 40 ans se sont écoulés, mais il faut constater que si cette technique a suscité beaucoup d’enthousiasme, mais n’a pas bénéficié à l’origine de suffisamment d’esprit critique scientifique. Depuis, de nombreux travaux de recherche, de récents progrès technologiques (en particulier sur les sources de lumière), et la mise sur le marché de nouveaux photosensibilisateurs (ou précurseurs) ainsi que des nanomédicaments de molécules photoactivables ont contribué au regain d’intérêt pour la PDT.
De récents travaux en immunologie semblent démontrer que contrairement à la radiothérapie ou la chimiothérapie, la PDT n’est pas susceptible d’altérer la qualité de la réponse immunitaire contre la tumeur, bien au contraire. En effet, un certain nombre d’études précliniques sur différents modèles animaux, mettent en exergue qu’en plus de l’effet cellulaire direct, la PDT engendre des effets pro-inflammatoires capables d’induire une réponse immunitaire anti-tumorale.
De nouvelles diodes lasers miniatures remplacent maintenant avantageusement les « gigantesques » lasers à colorants des années 1980. Des progrès dans les fibres optiques (embouts diffusants), fibres optiques tissées autorisent des illuminations mieux adaptées aux lésions à traiter.
Imagerie non invasive
Les nouvelles techniques d’imagerie non invasives (IRM, échographiques) sont également utilisées pour le suivi longitudinal, la planification du traitement et la détermination de la dose de lumière optimale. Enfin, les photosensibilisateurs peuvent être maintenant encapsulés dans des nanoparticules multifonctionnelles autorisant des approches thérapeutiques multimodalités (chimiothérapie, radiothérapie). Les améliorations de la thérapie photodynamique pourront aussi être liées à des protocoles thérapeutiques concomitants pouvant combiner l’effet photodynamique aux autres armes thérapeutiques standards comme la chirurgie, l’immunothérapie ou la chimiothérapie.
Céline Frochot, Didier Boucher, Serge Mordon et Muriel Barberi-Heyob sont les principaux organisateurs d’un congrès international en PDT qui se tiendra à Nancy, du 24 octobre au 28 octobre 2016.
Céline Frochot, Directrice de recherche CNRS Laboratoire Réactions et Génie des Procédés, Université de Lorraine; Muriel Barberi-Heyob, Professeur des universités, Biologie cellulaire, Université de Lorraine, and Serge Mordon, Biophysicien, spécialiste des applications du laser en médecine, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.