Jean Louis Vigneresse, Université de Lorraine
Le shutdown bouleverse… jusqu’aux champs magnétiques de la planète. L’arrêt de l’activité de la fonction publique aux États-Unis, résultat du bras de fer entre Donald Trump et la Chambre démocrate a eu, entre autres conséquences, le report d’une réunion prévue pour le 9 janvier et la publication du modèle magnétique global (World Magnetic Model). Vous pensez : quelle importance ? Hormis un peu de temps perdu pour les géophysiciens… Et bien, pas du tout ! Tout le monde est concerné. Chacun est susceptible d’être gêné dans ses déplacements, en raison de la géolocalisation par les téléphones portables. De là à justifier votre retard au déjeuner dominical par une volonté délibérée du Président des États-Unis, ce sera à vous d’argumenter.
Explication. Notre terre possède quatre pôles : deux pôles géographiques, le nord et le sud, qui définissent sa rotation ; et deux pôles magnétiques, indépendants des premiers. L’aiguille aimantée de la boussole a du mal à les déterminer car ils se déplacent avec le temps. C’est une chose connue par tout scout ou randonneur au moment de s’orienter sur une carte géographique avec sa boussole. L’histoire de James Clark Ross, un farouche Canadien qui a organisé une expédition en 1831 dans l’Arctique, et ce qui a suivi, en témoigne.
Changement d’hémisphère
À l’époque, on pouvait y aller à pied sec, ou presque. Le pôle magnétique était alors situé dans la presqu’île de Taloyoak, à 2 degrés environ, soit 200 km, au Sud de Fort Ross, dans le territoire du Nunavut (soit (70.70, -95.82)). Le pôle se déplace, lentement, vers le Nord. En 1960, déplacement d’environ 500 km en 130 ans : il est proche de Resolute Bay (soit aux alentours de 75.20, -99.23). Et le mouvement continue. Au début des années 2000, le pôle est en plein Océan Arctique. Et surtout, tout s’accélère. En 2001, il est à 81° 18’ N, 110° 48’O, qui deviennent 86°05’N, 172°06’O en 2017. Le déplacement qui était d’environ 15 km/an, passe à 55 km/an. Il se rapproche du pôle géographique. Ce qui fait qu’il passe la ligne internationale de changement de jour en 2018, passant dans l’hémisphère est.
Et le pôle Sud ? Bien entendu, il se déplace aussi. En 1841, James Ross avait monté une expédition sur place avec deux navires, l’Erebus et le Terror. Il découvrit la mer de Ross, le volcan Erebus et la grande barrière de glace. Hélas l’obstacle représentée par cette dernière lui interdit d’aller plus au sud, à terre. Il abandonna alors son ambition d’avoir planté son drapeau sur les deux pôles. Lors de ce premier voyage, la position du pôle est estimée à 75° 05’, 154° 08’. Il faut attendre l’expédition de Dumont D’Urville en 1840 pour atteindre la Terra Adélie, baptisée ainsi en l’honneur de sa femme, et une nouvelle estimation de la position du pôle Sud : 73° 20’ et 146°.
En 1957 le pôle est encore en Terre Adélie. C’est l’année géophysique internationale. Trois hommes séjournent pendant un an à la base Charcot, à 2 400 m d’altitude et 340 km de la côte. Parmi eux Claude Lorius, Roland Schlich et Jacques Dubois. Ils passent une année compète dans un espace de 24 m2, avec des pannes diverses, de chauffage, d’anémomètre et de l’éolienne qui fournit l’électricité. Il faut voir le film qu’en a tiré Djamel Tahi, reprenant des extraits tirés de la bande originale tournée sur place et le livre qui en découle « 365 jours sous les glaces de l’antarctique ».
Les pérégrinations du pôle Sud
Plus tard, Claude Lorius est devenu un des experts mondiaux en climatologie. Roland Schlich a dirigé l’EOST, école et observatoire des sciences de la terre à Strasbourg. À la sortie du film, je l’avais invité à Nancy, où se tenait une réunion de géologues. Présentation du film, et standing ovation à la fin, de la part de ces professionnels. Un grand moment d’émotion. C’est après qu’il m’a avoué avoir réalisé à quel point son séjour avait été un exploit une cinquantaine d’années après. Un très grand bonhomme. Il fallait l’entendre conter la venue d’une mission de secours depuis la base Dumont d’Urville, qui les croyaient en grande difficulté (plus de radio). Et qui avait amené un jambon. Ce dernier n’a pas fait long feu, mais personne n’y avait officiellement touché.
Pour en revenir au pôle Sud, il passe en mer en 1960, et est maintenant à environ 300 km des côtes. Il est donc sorti de nos eaux territoriales. On l’a perdu, nous les Français ! Sa dérive est actuellement estimée à 8-10 km/an. À comparer aux 55 km/an pour le pôle Nord.
Retour au shutdown. Alors, quelle importance de déterminer exactement les deux pôles ? Elle est fondamentale pour les géolocalisations par GPS, ou par Galileo, le système européen. Et ce domaine reste un sujet de recherche actif car la cause de ces mouvements est encore mal connue. Ce sont des mouvements internes au noyau et à la graine de la Terre. Sans entrer dans le détail, le noyau, plus ou moins visqueux est le siège de courants de matière qui induisent des champs magnétiques plus complexes que le dipôle de base. Ces champs induisent des quadrupoles et des octupoles, qui créent des champs magnétiques secondaires, variant avec le temps. Les combinaisons de ces champs multipolaires pourraient être à l’origine des inversions du champ magnétique total.
Jean Louis Vigneresse, Géophysicien, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.