Bertrand Bryche, INRA
Pour bien démarrer la journée, on conseille parfois de respirer à pleins poumons un grand bol d’air frais. Mais est-ce si anodin ? Faites attention, vous pourriez bien respirer des pathogènes néfastes pour votre cerveau… Le nez, organe sensoriel capable de détecter des odeurs, est une porte d’entrée pour de nombreux micro-organismes (chacun d’entre nous, se souvenant de son dernier rhume, le sait bien). En revanche, ce que l’on sait moins est que certains pathogènes peuvent atteindre le cerveau en passant par le nez.
En temps normal, le cerveau est bien protégé des agents pathogènes par des barrières physiques relativement étanches comme la barrière hémato-encéphalique (BHE). Cette BHE située à l’interface sang – tissu cérébral, est constituée par divers types cellulaires. Notamment par les cellules endothéliales qui, reliées les unes aux autres par des « jonctions serrées » assurent l’étanchéité de la barrière (figure ci-dessous). La BHE joue un rôle crucial dans le fonctionnement cérébral.
Mais cette fameuse barrière n’existe pas sur le trajet de nerfs qui ont leur origine dans la cavité nasale : le nerf olfactif et une partie du nerf trijumeau.
Comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous, le nerf olfactif s’organise à partir des axones des neurones olfactifs, traverse une paroi osseuse poreuse (que l’on appelle la lame criblée de l’ethmoïde) et rejoint le bulbe olfactif, première structure cérébrale centrale impliquée dans la collecte et le « tri » des informations olfactives. Le bulbe est lui-même en interaction avec d’autres structures cérébrales. L’autre nerf, branche du nerf trijumeau, se projette de la même façon vers le bulbe et d’autres régions cérébrales.
En conséquence, la voie nasale peut constituer une voie d’entrée directe vers le cerveau pour des micro-organismes et des xénobiotiques utilisant ces nerfs comme des « rails d’acheminement ». De nombreux travaux menés dernièrement s’interrogent d’ailleurs sur l’éventuelle toxicité cérébrale de polluants atmosphériques que nous inhalons, et leur implication éventuelle dans des pathologies telles que la maladie d’Alzheimer.
Un système de défense local pour lutter contre les pathogènes
La cavité nasale est constamment exposée à des poussières et des germes en suspension dans l’air mais la plupart du temps des mécanismes locaux de défense, notamment la sécrétion de mucus, permettent de limiter l’impact de ces indésirables. Normalement sécrété à hauteur de 1 à 2 litres par jour, le mucus permet « d’enrober » les microbes et de les acheminer vers la gorge grâce à des cils vibratiles présents dans la muqueuse et le tractus respiratoire. Ces microbes finissent leur course dans l’estomac où ils sont éliminés.
On retrouve par ailleurs dans le mucus des composés antimicrobiens comme les défensines. Une idée émergente est que le microbiote résidant dans le nez pourrait également participer à la protection via une occupation « physique » de la muqueuse nasale (empêchant ainsi les pathogènes de s’y installer). Bien que d’autres systèmes de défense soient présents, l’immunité autour du nerf olfactif reste à ce jour peu caractérisée.
Une amibe « mangeuse de cerveau » dans la voie olfactive
Parmi les pathogènes empruntant la voie olfactive, Naegleria fowleri constitue une véritable menace. Cette amibe (un être vivant unicellulaire) présente dans les sources chaudes, les lacs, et parfois même les réseaux d’eau et les piscines mal entretenues, est capable de pénétrer dans le nez de la victime lorsque celle-ci nage dans de l’eau contaminée. L’amibe se déplace le long du nerf olfactif, jusqu’à atteindre le cerveau où elle provoque des lésions et une importante inflammation.
Les mécanismes d’invasion du cerveau ne sont pas encore très bien compris mais des travaux suggèrent que l’amibe serait « attirée » par l’acétylcholine, un neurotransmetteur important pour le fonctionnement cérébral et qu’elle déstabiliserait les barrières en désorganisant les jonctions serrées. Dans 95 % des cas, la mort survient en moins de deux semaines, précédées de violents maux de tête et d’un état comateux. L’arsenal thérapeutique est limité et aléatoirement efficace, d’autant qu’il est parfois difficile d’identifier le pathogène.
Fort heureusement, ces infections sont très rares du fait des traitements des eaux et du tropisme de l’amibe (qui se développe essentiellement sous des climats tropicaux). Le réchauffement climatique fait toutefois craindre aux experts une recrudescence des cas.
La voie intranasale pour traiter les maladies cérébrales ?
Peu invasive et contraignante, l’utilisation de la voie nasale pour diffuser des médicaments dans l’organisme est utilisée depuis de nombreuses années (certains vaccins contre la grippe aux États-Unis se présentent sous forme de spray nasal). La riche vascularisation du nez assure en effet une diffusion rapide des principes actifs dans l’organisme tout en court-circuitant le foie dont le métabolisme limite les effets des médicaments ingérés. Par la voie nasale, toutefois, on ne peut pas délivrer un volume important ni répéter les instillations qui finiraient par irriter la muqueuse. Par ailleurs, les enzymes du mucus peuvent également altérer l’efficacité des médicaments.
Au-delà des problématiques liées aux pathogènes, le « rail olfactif » constitue néanmoins une aubaine pour les chercheurs travaillant sur le traitement des maladies neurodégénératives. L’idée d’utiliser ce « portail vers le cerveau » pour acheminer les médicaments aux zones cérébrales lésées remonte à une vingtaine d’années mais de récentes avancées technologiques permettent d’entrevoir des thérapeutiques innovantes.
Les enjeux actuels se focalisent sur la meilleure façon de cibler diverses zones cérébrales et sur le mode d’administration (poudre, liquide, gel). À ce sujet, de récents travaux mettent en évidence l’utilisation de liposomes, sortes de petites vésicules dans lesquelles il est possible « d’enfermer » un médicament. Menée chez des rats modèles pour la maladie d’Alzheimer, l’instillation intranasale de ces liposomes-médicaments a permis d’améliorer leur mémoire spatiale et de de limiter l’expansion des plaques amyloïdes, impliquées dans la pathologie.
Une autre approche thérapeutique envisagée consiste à injecter des cellules souches par voie nasale afin de remplacer les neurones défaillants ou de limiter l’impact de l’inflammation cérébrale. Chez des souris modèles de la maladie de Parkinson, il a par exemple été démontré que l’injection de telles cellules conduisait à une amélioration de la motricité ainsi qu’à une diminution de l’inflammation cérébrale. Ces premiers résultats sont prometteurs mais comme souvent, beaucoup reste à faire pour adapter ces stratégies à l’Homme.
Bertrand Bryche, Doctorant ABIES – Professeur agrégé de Biochimie – Génie Biologique, INRA
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.