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Trop de lois, trop de textes compliqués 1/2

Même les meilleurs juristes ont du mal à s’y retrouver dans le maquis des lois, décrets, règlements et autres directives européennes applicables en France. Voici ce que nous écrivions dans « Les dessous des Affaires judiciaires »*

La réforme de la justice fortement contestée par les acteurs judiciaires (DR)
La réforme de la justice fortement contestée par les acteurs judiciaires (DR)

Avec un « stock » d’environ 400.000 normes administratives en vigueur, la justice est devenue totalement incompréhensible pour la grande majorité des citoyens. À tel point qu’elle est désormais source d’insécurité juridique.
Une anomalie que dénonce, entre autres, Jean-Michel Darrois, avocat d’affaires, spécialiste du droit des marchés financiers, des fusions acquisitions, du contentieux et de l’arbitrage international. « Nous avons de plus en plus de textes, de plus en plus illisibles, de plus en plus longs, de plus en plus complexes, constate le célèbre avocat. Le Pr Soyer a comparé la Déclaration d’Indépendance américaine qui comporte un peu moins de 200 mots et une circulaire des années 80 sur la commercialisation des œufs de cane qui comporte plus de 70.000 mots ! »

« Plus de lois que dans le reste du monde »

Trop de lois, pourtant nul n’est censé ignorer la loi. Il s’agit évidemment d’une fiction juridique, car personne ne peut connaître l’ensemble des textes législatifs et règlementaires (décrets, circulaires, etc.) applicables aujourd’hui en France.
Combien y en a-t-il ? Beaucoup trop. On le sait depuis Montaigne qui, au 16ᵉ siècle déjà, affirmait : « Nous avons en France plus de lois que dans tout le reste du monde et assez de lois pour gouverner ensemble tous les pays du monde » (Essais, Livre III) Montesquieu ajoutait dans L’Esprit des Lois (1758) : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Enfin, Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil, recommandait d’ «être sobre de nouveautés en matière de législation ».
Trop de lois ? Faisons les comptes. Il existe actuellement 64 codes juridiques (le Code civil, le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code de l’urbanisme, le Code de la santé, le Code général des impôts, du patrimoine, de la consommation, des assurances, des collectivités locales, etc.). Ensemble, le nombre d’articles de lois auxquels les Français doivent se conformer est de 22.334. Mais le nombre de décrets qui précise les normes en vigueur est de 137.219. À quoi il convient d’ajouter les centaines de milliers de normes administratives en tous genres qui régissent tous les aspects de notre vie économique et sociale. Au total, « le stock » est d’environ 400.000 normes. Sans oublier les quelque 7.400 traités et 17.000 textes communautaires.

Le droit anglo-saxon

Une autre façon d’évaluer l’accumulation des lois et décrets applicables dans notre pays, c’est de mesurer la longueur moyenne du Journal officiel. Il est passé de 15.000 pages par an dans les années 1980 à 23.000 pages aujourd’hui. Quant au Recueil des lois de l’Assemblée nationale, il est passé de 433 pages au début des années 70 à près de 4.000 pages.
Il est vrai qu’une partie de l’activité législative est liée à la nécessité de transposer dans notre droit national les directives de l’Union européenne.
La France du 21ᵉ siècle bat toujours des records en termes d’inflation normative. D’autant qu’au problème de la surabondance s’ajoute un problème de qualité des textes qui contribue à la confusion.
Ajoutons à cela le fait que le droit doit s’adapter au monde qui l’entoure et aux incessants progrès des techniques et des sciences. Cela induit l’apparition de contraintes nouvelles, parfois complexes.
« On constate une montée en puissance du droit anglo-saxon et des règlementations internationales, observe Me Darrois. Cela représente beaucoup d’inconvénients, car les règlementations internationales sont en général des règlementations de compromis tenant compte de l’histoire juridique de chacun des États membres. Donc, on aboutit à des textes illisibles, longs et complexes. »

 » Un environnement mondialisé »

L’avocat constate que les cabinets anglo-saxons sont les plus puissants, que les États-Unis dominent le monde, et par conséquent leurs pratiques juridiques ont tendance à se développer. « Elles risquent d’aboutir à une situation d’une telle confusion, avec une multiplication des textes, avec une jurisprudence de plus en plus incompréhensible, aléatoire, imprévisible, qu’on peut penser qu’à un moment, il faudra revenir à la détermination de règles simples. Les États ou Unions d’États seront-ils en mesure de le faire ? Si cela continue, on peut prévoir que non. On peut envisager que l’élaboration des normes ne soit plus seulement confiée aux États, mais aussi à des institutions nationales ou internationales, plus expérimentées dans les domaines qu’elles auront à trancher. On assistera à une multiplication des sources de normes qui seront des normes particulières, corporatistes. »

Le droit a dû s’adapter à un environnement mondialisé. Le droit des affaires notamment. La libéralisation de nouveaux secteurs (énergie, transports, télécommunications) a requis l’instauration de nouvelles règlementations. Le développement des biotechnologies a nécessité une refonte des lois sur la bioéthique…

« Des autorités indépendantes »

« On constate l’apparition en France d’autorités administratives indépendantes, poursuit Me Darrois. Ce sont des autorités administratives qui produisent du droit, comme l’Autorité de la concurrence, le Conseil supérieur de l’audiovisuel CSA), l’Autorité des Marchés (AMF) et qui exercent également des fonctions quasi juridictionnelles puisqu’elles peuvent poursuivre des personnes qui enfreignent leurs règles. Par exemple, en matière boursière, on le constate dans tous les pays du monde, elles vont être des autorités de régulation du marché boursier. Elles organisent par la voie du règlement le fonctionnement du marché boursier. Ses règlements doivent être respectés par tous les opérateurs boursiers. S’ils enfreignent ces règlements, ils sont poursuivis par ces autorités administratives indépendantes qui font la loi, l’appliquent et en sanctionnent la violation. Elles sont à la fois législateur et policier, exécutif et législatif et en partie juge. Les trois pouvoirs sont donc confondus sous la tutelle des magistrats. Cela pourrait entraîner de grandes entreprises, en particulier dans le domaine financier, à installer leur siège à l’étranger pour faire dépendre leur droit des pays les moins regardants. »

  • « Les dessous des Affaires judiciaires » Marcel GAY et Frédéric Crotta (Max Milo éditeur) 2014

Prochain article : « Trop de lois de circonstance 2/2 »

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