Kevin Alleno, Université Rennes 1
Jupiter gronde et c’est finalement Mars qui tremble. C’est ainsi que l’on pourrait résumer les derniers arbitrages budgétaires en défaveur de la Défense. En effet, en réaction au « dérapage budgétaire » constaté par la Cour des comptes, le nouveau gouvernement a imposé des économies à tous les ministères, y compris celui de la Défense nationale censée être sanctuarisée. Mais voilà, le ministère des Armées – c’est sa nouvelle appellation – représente 1,7 % de la dépense publique et on lui impose 20 % des efforts budgétaires. Un effort d’autant plus lourd qu’il a déjà réalisé des économies conséquentes depuis une vingtaine d’années.
Devant ce constat, le chef d’état-major, le général Pierre de Villiers, a préféré démissionner estimant ne plus être « en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel (il) croit ». Le président de la République avait répondu auparavant de manière cinglante à sa menace de démission, en confirmant les efforts budgétaires pour l’année 2017 et en le rabrouant, au passage, d’un « Je suis votre chef » péremptoire qui a interpellé toute une communauté.
Alors que le ministère de la Défense remportait tous ses arbitrages depuis quelques années, il semble aujourd’hui sans défense face à un Président qui se veut jupitérien. Comment en est-on arrivé là ?
Le départ de Jean‑Yves Le Drian
Le premier élément de réponse est sans doute le fait qu’en dépit de ses promesses, Emmanuel Macron demeure sensible aux vues de Bercy. Inspecteur des Finances de formation, il a été un ministre de l’Économie de François Hollande qui a peu goûté les arbitrages remportés par son collègue de la Défense.
Le second élément est l’identité du titulaire de la fonction. Jean‑Yves Le Drian était en effet devenu un pilier du gouvernement, indéboulonnable au point de cumuler l’hôtel de Brienne et la présidence de la région Bretagne. Devenu président de la République, Emmanuel Macron a maintenu Le Drian à ses côtés mais a bien pris soin de l’éloigner de la Défense. Il a tenu à s’affirmer comme l’unique chef des armées sans prendre le risque d’apparaître sous la tutelle du ministre breton. C’est ainsi que Jean‑Yves Le Drian a émigré au Quai d’Orsay.
Emmanuel Macron a tenu également à éloigner Cédric Lewandowski, le directeur de cabinet de Le Drian, qui fit tant de mal aux locataires de Bercy durant le dernier quinquennat. Lui qui était un temps pressenti pour prendre la tête de la DGSE a dû se contenter d’un retour chez EDF.
Après avoir éloigné les personnes qui pouvaient lui faire de l’ombre, Emmanuel Macron a placé des personnalités peu au fait des questions militaires à Brienne. C’est ainsi qu’il a nommé Sylvie Goulard dont les questions de défense étaient loin de constituer la priorité intellectuelle jusqu’ici. Un mois après, celle-ci démissionnant, c’est une ministre avec aussi peu d’expérience dans ces dossiers qui la remplace en la personne de Florence Parly.
La communauté de la défense reste dubitative, les plus optimistes mettant en avant ses compétences budgétaires qui la rendrait à même de contrer les velléités du ministère des Finances. Vœu pieux pour ceux qui savent très bien que c’est le poids politique d’un ministre qui importe avant tout. Florence Parly est au mieux une sorte de super DRH des armées. Un statut que confirme le nouvel intitulé du ministère qui induit clairement qu’Emmanuel Macron se pose comme l’unique responsable de la défense nationale.
Le manque de poids politique de la ministre se fait si cruellement sentir que le chef d’état-major des armées est monté au créneau, sans succès pour le moment. Le recadrage public dont il a fait l’objet et sa démission illustrent l’impuissance de l’institution militaire à se défendre sur le plan politique.
Un début de fronde ?
La Commission de la Défense, quant à elle, ne semble pas beaucoup mieux armée. Si Jean‑Jacques Bridey connaît bien le fonctionnement de la Commission pour y avoir siégé pendant cinq ans, il n’est pas à proprement parler un poids lourd de la majorité. Les postes du bureau de la Commission ont été, en outre, attribués à des personnalités politiques novices au détriment des figures plus aguerries comme Philippe Foliot ou Gwendal Rouillard.
Ce dernier, proche de Jean‑Yves Le Drian, fait d’ailleurs partie des trois députés qui se sont élevés contre les sacrifices budgétaires imposés à l’armée. Il a même qualifié ces propositions de « carrément inacceptables », suivis en cela – quoique de manière plus nuancée – par le député de Brest Jean‑Charles Larsonneur et le président de la Commission de la Défense Jean‑Jacques Bridey.
Serait-ce le début d’une fronde ? Les trois députés semblent un peu esseulés pour le moment et s’ils veulent que leur entreprise ait quelque réussite, il leur faudra des soutiens, notamment au sein du gouvernement.
Si le président de la République a été ferme pour cette année, il a affirmé, toutefois, que l’armée verrait ses crédits augmenter en 2018. Une annonce qui a de quoi interpeller, d’autant qu’est annoncée la mise en place d’un service national dont le caractère stratégique ne saute pas aux yeux. Pourquoi rogner dans une telle proportion le budget d’un ministère que l’on avait annoncé sanctuarisé, pour l’augmenter de manière conséquente dans les années suivantes ? Y aurait-il une pause de quelques mois dans les menaces ou les engagements de l’armée française ? À regarder les différents théâtres d’opération c’est loin d’être le cas.
Rappelons, au passage, que la décision du gouvernement de faire payer le surcoût des « Opex » (opérations extérieures) par Brienne contrevient à l’article 4 de la Loi de programmation militaire (LPM) qui prévoit expressément qu’au-delà de 450 millions d’euros, les coûts sont supportés par de l’interministériel. La promesse d’augmentation du budget de la Défense dans les prochaines années est donc à prendre avec des pincettes car comme aimait à le répéter Charles Pasqua : « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ».
Kevin Alleno, Doctorant en Science politique, Université Rennes 1
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.