Julien Gingembre, Université de Lorraine
La révolution territoriale qui agite le pays vient d’atteindre la Lorraine : le Grand Nancy est devenu, depuis le 1er juillet, la quinzième métropole créée en France. En rejoignant ce cercle fermé, dont le seul représentant dans le Grand Est était jusqu’alors Strasbourg, Nancy souhaite se donner un nouvel élan métropolitain. Cet événement a même fait l’objet d’une campagne d’affichage dans les rues de l’agglomération nancéienne.
Associée depuis 2011 à Metz, Thionville et Épinal au sein du pôle métropolitain du Sillon Lorrain, Nancy change la donne et pourrait remettre en cause l’unité affichée, notamment dans le contexte de la récente fusion régionale.
Un bouleversement institutionnel
Issues des lois MAPTAM (27 janvier 2014) et NOTRe (7 août 2015), ces métropoles de deuxième génération renforcent celles créées par la Réforme des collectivités territoriales de 2010. Elles vont ainsi constituer de nouvelles structures intercommunales très intégrées. Le transfert de compétences depuis le département, la région et l’État constitue leur principal atout.
Les métropoles tenteront de donner aux élus des grandes villes un outil efficace pour répondre aux enjeux de la métropolisation et de la concurrence urbaine européenne. Leur champ d’action se situe donc dans les projets et infrastructures métropolitains, c’est-à-dire dont l’échelle dépasse le seul périmètre des agglomérations.
Le Sillon Lorrain : « exister entre Paris et Strasbourg »
En Lorraine, le contexte des années 1990 (désindustrialisation et démilitarisation de la région, ouverture européenne) a conduit les élus des quatre principales villes à entamer un rapprochement. La première étape fut l’intégration d’un « contrat métropolitain » au Contrat de plan État-Région de troisième génération (1994-1999). Épinal et Thionville s’allièrent ensuite à cette initiative concrétisée par la création de l’association du Sillon Lorrain en 2005.
Fort d’une volonté métropolitaine portée sur deux décennies par les élus locaux, l’expérience du Sillon Lorrain a conduit le législateur à intégrer dans la réforme des collectivités territoriales de 2010 le volet « pôle métropolitain ». Car, à l’origine, le « comité Balladur » qui préparait la réforme s’était désintéressé des deux villes lorraines au moment de la désignation des onze métropoles. Nancy et Metz ne pesaient pas suffisamment lourd dans la balance. Une solution « à la carte » avait donc été mise sur pied pour les réseaux de villes.
Né en décembre 2011, le Sillon Lorrain constituait la première expérience conduite en France. Regroupant plus du quart de la population lorraine, le Sillon Lorrain est parcouru de flux domicile-travail très structurants. Ses franges septentrionales sont marquées par la progression du travail frontalier : en 2011, 9,7 % des actifs lorrains travaillaient à l’étranger, contre 8,6 % en 2006.
Très actif dans les années qui ont suivi sa création (conférences métropolitaines, présence commune dans les salons, soutien à la fusion de l’Université de Lorraine), le Sillon Lorrain a récemment obtenu le renouvellement du label « Métropole French Tech ».
Des succès précoces mais une réalité somme toute peu concrète, notamment aux yeux des citoyens. Le Sillon Lorrain a du mal à dépasser son simple rôle d’interlocuteur auprès du Conseil régional, de l’État et des voisins de la Grande Région. Mais la disparition du Conseil régional de Lorraine pourrait changer le rapport de force.
Une unité remise en cause avec l’émergence de la métropole nancéienne ?
À Nancy, l’intercommunalité est une histoire ancienne. En effet, dès 1959, Nancy et sa banlieue s’érigent en district urbain. En 1996, suite aux lois sur l’intercommunalité, la Communauté Urbaine du Grand Nancy est créée, regroupant 20 communes. Deux décennies plus tard, elle devient donc métropole grâce à un intense travail de lobbying porté par André Rossinot, son premier président. Comme Brest, elle a dû obtenir une dérogation car le regroupement communal n’atteignait pas le seuil requis des 400 000 habitants. Cette procédure d’exception a justement été permise grâce à sa longue histoire intercommunale et à son fort degré d’intégration fiscale.
Cette création constitue une première étape à la définition d’une véritable structure métropolitaine à Nancy. Elle permettra d’abord un élargissement des compétences (notamment l’économie et la gestion du réseau de routes départementales). Elle propose aussi une gouvernance renouvelée avec quatre postes de vice-présidents offerts à l’opposition.
Mais l’ambition métropolitaine est ici incomplète. En effet, il aurait fallu que la création de la métropole s’accompagne d’un agrandissement du périmètre de la structure. Les communes périurbaines et rurales du sud de la Meurthe-et-Moselle font partie intégrante du système métropolitain nancéien. Pourtant, la métropole du Grand Nancy va conserver la même constitution avec ses vingt communes. Et le syndicat mixte du SCoT Sud 54 envisage, quant à lui, de se transformer en pôle métropolitain, brouillant un peu plus la lisibilité institutionnelle du territoire.
Le statut de métropole acquis par le Grand Nancy rebat les cartes dans la nouvelle région. En se plaçant de fait au niveau de Strasbourg (bien que la cité alsacienne demeure la véritable locomotive du Grand Est), Nancy change la manière dont elle va peser dans le débat régional. Le Sillon Lorrain semble ici court-circuité, d’autant que Metz se mêle également la « course à la métropole ».
Sans remettre en cause l’utilité du passage à la métropole, l’affirmation plus forte du Sillon Lorrain aurait pu être une option pour les quatre villes. Pourtant, c’est bien en solitaire que Nancy se présente désormais comme une « métropole d’équilibre » entre Paris et Strasbourg. Cela pose la question du leadership futur dans le Sillon Lorrain.
Metz et Thionville : vers une fusion des intercommunalités
De leur côté, Metz – dépossédée de son statut de capitale régionale – et Thionville – résolument tournée vers le Luxembourg – ont réactivé l’ambition d’une fusion de leurs intercommunalités respectives.
Mais pour parvenir à cette ambition, il faudra d’abord que Metz passe par la case communauté urbaine. Cette première étape sera réalisée en 2018, lorsque la communauté d’agglomération de Metz, qui répond au nom de… Metz Métropole, deviendra communauté urbaine. Cette transformation, pourtant réservée aux agglomérations de plus de 250 000 habitants, a été proposée en compensation aux villes ayant perdu le siège du Conseil régional. Cela permettra déjà de maintenir voire de gagner des dotations de l’État, puis d’envisager une fusion avec Thionville, créant ainsi un ensemble approchant le demi-million d’habitants.
Quid d’Épinal et des Vosges ?
Dans cette course derrière Strasbourg, Épinal semble écartée. Pourtant, la préfecture des Vosges demeure un fervent artisan du Sillon Lorrain, notamment par l’intermédiaire de son député-maire Michel Heinrich qui a présidé la structure en 2015. C’est que l’agglomération d’Épinal apparaît à l’écart des dynamiques métropolitaines qui agitent la Lorraine.
Pourtant, le sud du Sillon Lorrain constitue un espace stratégique pour le développement de la Lorraine, avec l’ambition d’une ouverture vers l’axe rhodanien. Pour renforcer son poids, Épinal intégrera en 2017 un espace urbain de 78 communes et de 112 000 habitants, conséquence de la réforme intercommunale. Et Épinal compte bien se maintenir comme un acteur actif du pôle métropolitain.
Pour une nouvelle solidarité territoriale
Ces bouleversements initiés en 2010 constituent un enjeu majeur du point de vue de la solidarité territoriale. Souvent mal compris par le citoyen qui ne voit là qu’une « couche » supplémentaire dans le « millefeuille » territorial français, cette ambition métropolitaine risque pourtant d’être galvaudée si les enjeux de pouvoir ne sont pas dépassés.
En effet, le cas de Nancy illustre bien la difficulté de rompre avec les fiefs politiques et d’inventer une gouvernance métropolitaine. Le concept de métropole, pour les chercheurs en géographie, ne se limite pas au seul statut institutionnel. Il constitue un nouveau paradigme pour penser et aménager les villes dans le contexte du XXIe siècle : poursuite de la périurbanisation, mobilité croissante des individus, concentration des emplois qualifiés dans les agglomérations principales, solidarité entre territoires urbains et ruraux.
L’émergence de métropoles dans le Grand Est ne doit pas se faire contre les périphéries rurales. La solidarité entre les villes et les espaces relégués passe par la redéfinition des périmètres métropolitains, par des redistributions de richesse et par le maintien des services de proximité. Il est vital de prévenir la poursuite de la « désertification » des campagnes.
Ainsi, la métropole de Nancy ne pourra se faire que si elle tend le bras aux communes périphériques qui n’intègrent encore pas la structure. Le Sillon Lorrain, quant à lui, devra trouver sa place comme créateur et coordinateur de politiques métropolitaines, prenant d’une certaine manière le relais de l’ancien Conseil régional.
Julien Gingembre, Doctorant en géographie, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.