Point-de-vue. La dette de l’État ne se rembourse pas, elle se prolonge et augmente nécessitant de nouveaux emprunts explique l’ancien secrétaire d’État au Budget. Du fait de la pandémie, l’Europe serait bien inspirée de mutualiser le portage des emprunts nécessaires à réparer les dégâts. Explications.
par Christian Eckert
En janvier 2017, j’écrivais un article intitulé « La dette publique… pour les nuls ». Notre pays traverse des circonstances exceptionnelles qui conduisent à l’explosion de la dette française. Certains évoquent alors l’idée de créer une dette perpétuelle. Une dette qu’on ne rembourse jamais, et pour laquelle on sert à vie des intérêts aux créanciers. Une lecture attentive de mon post (un peu réactualisé) ci-dessous permettra de mieux comprendre que le concept existe déjà. L’essentiel des prêts de l’État est constitué de prêts remboursables in fine. A leur échéance, nous les remboursons en fait en réempruntant le même montant. Par itération, on a en fait une dette quasi-perpétuelle !
De quoi est constituée la dette publique ?
De plusieurs composantes. La dette de l’État, la dette de la sécurité sociale, le dette des collectivités locales, la dette d’autres organismes (Unédic, retraites complémentaires, organismes publics ou parapublics….). C’est déjà une première source de débat : chacune des catégories se renvoie la balle.
– Ainsi, par exemple, lorsque l’État décidait d’exonérer les entreprises de cotisations sociales, les règles budgétaires (et les votes du Parlement) contraignaient l’État à compenser ces pertes de recettes de la Sécurité Sociale. L’équilibre et la dette de la Sécurité sociale n’étaient donc pas affectés. Les nombreux allègements de cotisations sociales étaient dans le passé entièrement supportés par le budget de l’État. Cette règle a cessé d’être appliquée depuis 2 ans par le gouvernement d’Emmanuel Macron.
– De même, les collectivités locales affirment à juste titre que l’emprunt leur est interdit pour équilibrer leur section de fonctionnement et que leur endettement doit être systématiquement considéré comme vertueux puisque lié à leurs seuls investissements. C’est là aussi un peu discutable, sachant que l’État, par ses dotations, alimente leurs recettes de fonctionnement et que, faute d’économies de dépenses, c’est l’État qui s’endette pour elles.
– L’endettement public englobe aussi des emprunts que l’État garantit, certains emprunts souscrits par des organismes contrôlés par l’État, dans des considérations si complexes que seuls les énarques (et pas les nuls) font semblant de comprendre. Par exemple il y a régulièrement débat pour savoir si la dette de la SNCF doit être ou non considérée comme de la dette publique, en totalité ou en partie. Les mêmes questions se posent sur les dettes des hôpitaux publics.
Il n’empêche que la dette publique se regarde de façon agglomérée, et que renflouer un des secteurs par un autre ne change rien au total : ainsi, transférer de la dette d’un bloc à un autre (le cas État/Sécu étant régulièrement évoqué) ne change rien à la fin.
A combien s’élève la dette publique ?
Il y a en fait plusieurs façons de l’évaluer, qui donnent lieu à des interprétations différentes.
Naturellement, le premier réflexe est de regarder le volume brut de la dette : fin 2015, l’ensemble de la dette publique s’élevait à 2.100 milliards d’Euros. L’essentiel (79% soit 1 660 Milliards) était constitué de la dette de l’État. Les diverses administrations de Sécurité Sociale en représentaient 10,5% (soit 220 milliards). Les collectivités locales en portaient 9% soit 200 milliards.
Remarquons au passage que la dette sociale est 8 fois moins élevée que la dette de l’État.
Il est aussi d’usage de rapporter la dette à la richesse nationale, c’est-à-dire au Produit Intérieur Brut (le fameux PIB), censé représenter la richesse produite en un an dans un pays. C’est légitime : un grand pays ayant évidemment en masse une dette plus importante qu’un petit pays, de même que la « richesse » d’un pays autorise une dette plus importante en volume. En France, fin 2015, la dette (2.100 milliards) représentait 96,2% du PIB (2180 milliards).
D’autre indicateurs enfin sont possibles et pertinents : certains expriment la dette par habitant (en 2015, en France, cela représente 32.500 euros par habitant). D’autres l’expriment en comparaison du salaire moyen. On peut multiplier les critères, sachant que la parité des taux de change complexifie encore un peu plus les comparaisons entre nations.
Fin 2019, la dette publique française s’élevait à 2.415 milliards, c’est dire que les années Macron n’ont en rien freiné son augmentation.
Comment se rembourse la dette publique ?
C’est là le point clef qu’il faut bien avoir en tête. Les emprunts traditionnels utilisés généralement par les particuliers et les entreprises se remboursent au fil du temps. Périodiquement, l’emprunteur rembourse les intérêts et une partie du capital. Année après année, le capital restant dû baisse et la dette s’éteint après la durée convenue.
C’est complètement différent pour les emprunts de l’État. Pour l’essentiel de la dette publique (notamment la part de l’État), les emprunts sont remboursables in-fine : Par exemple, si l’État emprunte 100 millions sur dix ans à un taux de 1%, il paiera 1 million par an (les intérêts), et devra rembourser le capital de 100 millions en une seule fois dix ans plus tard.
Dans les faits, au bout des dix ans, l’État (étant toujours déficitaire), réemprunte 100 millions pour tenir son échéance ! Dans les faits, la dette de l’État ne se rembourse pas. Elle se prolonge et augmente en volume d’autant que tous les ans le déficit nécessite de nouveaux emprunts. Le seul chiffre qui peut baisser c’est la part de la dette dans le PIB, à la condition que le PIB augmente plus vite que la dette !
Ceci n’est pas particulier à la France et beaucoup de pays du monde fonctionnent ainsi. Il est vrai que si le budget redevient excédentaire, on peut voir la dette baisser en volume en profitant du solde pour rembourser du capital.
Combien coute la dette publique ?
Beaucoup des emprunteurs publics ne paient tous les ans que les intérêts et remboursent le capital avec un nouvel emprunt lorsqu’il vient à échéance.
Ainsi, en France, le stock de dette publique, autrement dit l’ensemble des capitaux empruntés par le pays, est passé entre fin 2007 et fin 2019, de 1.252,9 milliards d’euros à 2.415,1 milliards d’euros. Mais, parallèlement, la « charge de la dette », ce que coûte la dette française au budget chaque année est resté relativement stable passant de 43 à 42 milliards d’euros par an sur la même période. Grâce au taux bas, on a donc pu s’endetter sans que son coût n’augmente.
Pour comparer, le budget de la Défense est de l’ordre de 37.5 milliards et celui de l’Éducation dépasse les 50 milliards
Qui sont nos créanciers ?
Ils sont difficiles à connaître précisément, car les titres de créances s’achètent et se vendent à tout moment et se mélangent dans des fonds mixant divers produits financiers !
On estime néanmoins qu’entre 50 et 60 % de nos créanciers sont étrangers et que les solde est détenu dans de l’assurance-vie et dans des OPCVM français.
Comment a évolué la dette publique ces dernières années ?
Entre 207 et 2012 (Présidence Sarkozy), la dette publique a augmenté de 25 points de PIB, soit 616 milliards.
Entre 2012 et 2017 (Présidence Hollande), elle devait augmenter de 6 points de PIB, c’est-à-dire 4 fois moins vite ! C’est essentiellement parce que les déficits de l’État et de la Sécurité Sociale se sont réduits.
La dette de la Sécurité Sociale a commencé à diminuer et devait (avant la crise du Covid 19), s’éteindre en 2024.
Les événements actuels laissent présager une augmentation brutale de plus de 200 milliards en 2020 en France ! L’Europe serait bien inspirée de se décider enfin à mutualiser le portage des emprunts nécessaires à réparer les dégâts que tous ont subi pour cause de pandémie. L’Europe a là une opportunité de donner (enfin) un sens au mot solidarité. Le Président Macron, que je n’ai pas l’habitude d’encenser, a raison de demander un financement solidaire du plan de relance massif en cours d’élaboration.