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L’affaire de Rugy : quand le quinquennat macronien rappelle l’époque Pompidou

François de Rugy élu président de l'Assemblée nationale (capture Dailymotion)
François de Rugy élu président de l’Assemblée nationale (capture Dailymotion)

Bryan Muller, Université de Lorraine

Sous le coup des révélations de Mediapart concernant les dîners fastueux entre amis aux frais des contribuables, le logement HLM de sa directrice de cabinet et l’occupation d’un logement à vocation sociale, le ministre de la Transition écologique François de Rugy a annoncé sa démission du gouvernement, le mardi 16 juillet. Au-delà de cette décision, les citoyens peuvent légitimement s’interroger sur l’efficacité de la lutte contre la corruption.

Car depuis le début de ce quinquennat, les « affaires » s’enchaînent, impliquant Laurent Zameczkowski, François Bayrou, Richard Ferrand, Alexandre Benalla, Gérard Colomb, etc. Le Président Macron lui-même avait commencé à pâtir, au début de la campagne présidentielle de 2017, d’une affaire d’usage d’argent public pour des dîners privés lorsqu’il était à Bercy.

Tous ces scandales médiatiques, qui ne sont pas forcément suivis de poursuites judiciaires, nous interrogent : comment cela se passait-il sous d’autres présidents ? Prenons donc l’exemple du mandat inachevé de Georges Pompidou.

Le « scandale de la Villette », premier d’une longue série

L’affaire des abattoirs de la Villette, plus connue sous le nom du « scandale de la Villette », est la première à mettre en cause la majorité gaulliste de l’époque. Les abattoirs, vétustes, bénéficient dès 1957 d’un projet de rénovation. Le député UDR de Paris (Union des Démocrates pour la République) Michel de Grailly dirige alors la société d’économie mixte chargée de ce travail. Ancien résistant, il est considéré comme un « chevalier blanc »… jusqu’à ce que la presse ne commence à l’accuser d’avoir abusé de sa position au sein de la société d’économie mixte pour remplir la « caisse noire » de l’UDR.

Toujours prêt à se rebeller contre la majorité en place, le Sénat – emmené par Pierre Marcilhacy – se saisit de cette question et promet de faire toute la lumière sur le scandale. Les conclusions de l’enquête qui s’en suit mettent en lumière de graves dysfonctionnements dans la gestion de la société d’économie mixte. Pourtant, le gouvernement ordonne, le 6 août 1970, le maintien des activités des abattoirs (toujours à la charge de la société de De Grailly), ignorant ainsi les constatations des sénateurs. Le rapt de Michel de Grailly par des maoïstes, le 26 novembre 1970, inaugure une phase d’accalmie, la presse le plaignant plutôt que de continuer à la conspuer.

Les tentatives pour relancer l’affaire échouent pendant plus d’un an, les médias et la population semblant garder cet élan de sympathie à l’égard du député gaulliste. Mais, le 30 juin 1972, Pierre Marcilhacy, soutenu par les sénateurs socialistes et communistes, parvient finalement à remettre le scandale sur le devant de la scène. Il accuse le gouvernement de faire porter le chapeau aux employés subalternes pour protéger « certains dirigeants politiques » de l’affaire. Peu après, Michel de Grailly est accusé de détournement de fonds privés.

Il sera innocenté en 1973, mais l’UDR le lâchera et s’en servira comme bouc-émissaire, lui faisant porter toute la responsabilité du « scandale de la Villette ».

La « Garantie foncière », mère de toutes les affaires

Si le « scandale de la Villette » n’a finalement fait tomber qu’un homme (plusieurs gaullistes ayant eu peur de poursuites mais s’en sortant finalement plutôt bien), le mandat de Georges Pompidou est marqué par plusieurs autres affaires qui vont nuire à l’image de la majorité politique de l’époque.

Le 9 juillet 1971, Le Monde dévoile un scandale impliquant des élus gaullistes et des promoteurs immobiliers associés pour détourner une partie des revenus et loyers collectés par le biais d’investissements des souscripteurs au sein de la « Garantie foncière ». Cette société promettait à ses investisseurs d’acquérir des logements qui seraient traités et évalués par ses soins. Or, loin d’agir en toute honnêteté, la « Garantie foncière » a en réalité surévalué les biens acquis et détourné une partie des loyers qui devaient être reversés aux investisseurs.

Ce scandale financier et immobilier fait grand bruit car le président de la société incriminée n’est autre qu’André Rives-Henrys, député de Paris, autre figure de la résistance et proche du premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Sentant peut-être les médias se rapprocher dangereusement, Rives-Henrys a la présence d’esprit de quitter la « Garantie foncière » en janvier 1971. Cependant, il ne peut éviter le scandale. Assurant n’avoir été qu’un président de façade, il prétend ne pas avoir été au courant des malversations survenues. Or L’Humanité démontre, le 12 juillet 1971, qu’il avait « offert » une croisière promotionnelle à des investisseurs… aux frais des épargnants !

La presse s’empare du dossier et « s’acharne » sur Rives-Henrys, profitant de l’occasion pour attaquer à travers lui le gouvernement. L’UDR, fort embarrassée, l’oblige à quitter le parti et à renoncer à son mandat l’année suivante. Poursuivi pour escroquerie, abus de confiance et complicité d’abus de biens sociaux (Le Figaro, 18 octobre 1971), il plonge le gouvernement dans une gêne telle que ce dernier décide de mener discrètement une enquête interne afin « d’éviter qu’aucune suspicion ne puisse peser sur l’honnêteté de l’administration en toutes matières et particulièrement dans le domaine de l’urbanisme et des affaires immobilières » (Circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets le 26 octobre 1971).

« Le procès de la Garantie foncière », qui s’ouvre tardivement (septembre 1973), s’achève en mars 1974. André Rives-Henrys, épinglé comme la figure de proue de la manœuvre par la presse mais dont le rôle ne fut probablement pas aussi important qu’elle le prétendait, écopa d’une peine de 4 mois de prison avec sursis, tandis que ses plus richissimes complices – les époux Frankel – étaient condamnés à de la prison ferme pour avoir détourné 32 millions de francs.

L’affaire Dega et les feuilles d’impôts de Jacques Chaban-Delmas

En parallèle du scandale de la « Garantie foncière » éclatent deux autres affaires au fort retentissement médiatique : l’affaire Dega et celle portant sur les feuilles d’impôts de Jacques Chaban-Delmas. La première survient en novembre 1971 et met en scène Édouard Dega, un inspecteur des impôts ayant aidé des contribuables à pratiquer l’évasion fiscale.

En creusant, les journalistes découvrent que son frère, Georges Dega, réalisait « des interventions en faveur de sociétés réclamant des licences d’importation exceptionnelles » en échange d’un financement douteux et discret des fonds de l’UDR.

Comme si tout cela ne suffisait pas éclate, le 19 janvier 1972, le « scandale » des feuilles d’impôts du premier ministre. Le Canard enchaîné montre qu’entre 1966 et 1969, Jacques Chaban-Delmas ne payait pas d’impôt alors qu’il déclarait un revenu imposable de 72 400 francs (ce qui est énorme pour l’époque).

Mettons les choses au clair tout de suite : Jacques Chaban-Delmas n’a rien fait d’illégal. Il bénéficiait en réalité de l’avoir fiscal, une mesure appliquée entre 1965 et 2004. Cependant, le fait qu’un homme public aussi aisé ne paie pas d’impôts a indigné l’opinion publique qui y a vu une forme d’injustice profonde, nuisant gravement à l’image d’un homme soucieux des plus modestes que voulait alors se donner le chef du gouvernement.

Les révélations explosives de « l’Archange »

« Le palmipède » publie un nouvel article, le 13 septembre 1972, intitulé « l’étrange opération Archange ». Derrière ce nom énigmatique se cache le plus retentissant scandale politico-financier sous le mandat de Georges Pompidou.

Gabriel Aranda, qui fut conseiller technique chargé des relations avec la presse du ministre de l’Équipement Albin Chalandon, fournit plus d’une centaine de documents au journal prouvant le financement opaque de l’UDR : le gouvernement et des élus gaullistes ont accordé des permis de construire sur des sites de montagnes dangereux ; ils facilitaient la construction de bâtiments et d’autoroutes à des sociétés, voire « vendaient » des permis et autorisations à des groupes de particuliers contre monnaie sonnante et trébuchante.

De nombreuses personnalités gaullistes sont épinglées par les médias : Claude Labbé, vice-président du groupe UDR à l’Assemblée nationale ; Guy Fric, trésorier adjoint de l’UDR ; Gérard Sibeud, député de la Drôme ; Henri Modiano, député de Paris, etc. Les députés Sibeud et Modiano, très impliqués dans ce type de trafic selon la presse, sont contraints à la démission. Les autres se défendent de toute responsabilité.

Accusé d’agir dans le seul but d’atteindre l’intégrité du gouvernement, Gabriel Aranda répond tranquillement à la presse qu’il ne vise aucun parti ni aucun homme politique, mais qu’il se bat « pour restaurer la vérité ». Fait surprenant, pourtant : seuls les gaullistes sont visés par ses révélations, alors que ceux-ci ne sont pas seuls au sein de la majorité (les centristes et les libéraux en font partie). Aranda aurait très bien pu obtenir des informations contre ces mouvements-là, mais il ne l’a pas fait – ce qui a de quoi rendre sceptique sur sa sincérité.

Georges Pompidou (ici en 1965) : un mandat marqué par de multiples affaires.
Egon Steiner/Wikimedia, CC BY-SA

Georges Pompidou, qui se sent attaqué dans cette affaire, doit répondre à la presse en faisant feu de tout bois sur Aranda, un homme – dit-il – qui s’en prendrait au gouvernement l’ayant « chassé » en volant des documents et en en fabriquant des faux dans le seul but de se venger de son ancien employeur.

Au même moment, le juge Galmiche décide de poursuivre Gabriel Aranda pour vol de documents. Le tribunal, clément, prononce un non-lieu ainsi qu’une amende de 2 000 francs pour diffamation contre le ministère de l’Équipement – une amende réduite à 300 francs en appel. Au final, plusieurs personnalités gaullistes ont souffert de ce scandale, tout comme la réputation de l’UDR.

Une réelle amélioration de la lutte anti-corruption

À travers ces quelques exemples, il est intéressant de noter que les scandales politiques sont souvent déclenchés par les journalistes. Autrement dit, parce que des journalistes sérieux mènent des enquêtes efficaces, ils peuvent mettre au jour des informations importantes pour les citoyennes et citoyens que nous sommes. Les affaires qui touchent la macronie sont toutes dues à des enquêtes journalistiques, comme ce fut bien souvent le cas par le passé. On se souvient de l’affaire Cahuzac, de l’affaire Bismuth, de l’affaire Bygmalion, ou encore des Panama Papers, etc.

Si les « affaires », des plus graves aux plus douteuses et rocambolesques, semblent prospérer dans notre pays, il faut relever une amélioration de la lutte contre la corruption dans le milieu politique français. Certes, des progrès restent encore à faire, mais tout n’est pas sombre dans ce tableau.

Ainsi, contrairement au temps de Pompidou, le pouvoir actuel à cherché à se doter de nouveaux outils pour faire face à ces risques. Des dispositions qui ne demandent qu’à être renforcées pour améliorer la répression face aux quelques élus qui ternissent l’image de leurs pairs par leurs attitudes et leurs choix – le « tous pourris », auquel nous n’adhérons pas à titre personnel, leur incombe grandement.

Cependant, avant de parvenir à un modèle semblable à la Suède, il paraît évident que les journalistes resteront les lanceurs d’alerte les plus efficaces dans la lutte contre toute forme d’abus de la part de nos élus. Or, le projet de réforme de la loi de 1881 porté actuellement par l’État pourrait, sous couvert de bonnes intentions, nuire grandement à la liberté de la presse et donc, à terme, au journalisme d’enquête qui s’est révélé si efficace sous la Ve République.The Conversation

Bryan Muller, Doctorant contractuel chargé d’enseignement en Histoire contemporaine, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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