La journée de mobilisation massive des Gilets jaunes montre une fracture entre deux France, celle des nantis et celle des gagne-petit.
Un mort, 227 blessés, 117 personnes interpellées, 73 gardes à vue : le bilan de la journée de mobilisation des Gilets jaunes s’achève sur un bilan très contrasté. Il est vrai qu’en de nombreux endroits de blocage des routes et autoroutes les choses se sont plutôt bien passées. Mais dans certaines régions les barrages ont donné lieu à des incidents avec les automobilistes qui forçaient les barrages. Une personne est morte en Savoie. D’autres ont été blessées. Quelques échauffourées avec les forces de l’ordre ont émaillé cette journée singulière marquée par plus de 2.000 points de blocage. Du nord au sud, de l’est à l’ouest, la France a été paralysée. Pari gagné.
A Paris, les Gilets jaunes se sont regroupés dans le secteur de la place de la Concorde, puis de la place Beauvau et de l’Elysée. Mais les gendarmes mobiles qui avaient placé le Palais de l’Elysée en état de siège, ont repoussé les manifestants.
Le diable par la queue
Les Gilets jaunes ? Ce sont ces Français qui n’en peuvent plus. Ces gagne-petit, ces sans-grades, ces retraités et ces travailleurs qui gagnent moins de 1.000 € par mois et qui ont du mal à boucler les fins de mois, à payer le carburant toujours plus cher, les loyers toujours plus élevés, les assurances et tout le reste qui augmente inexorablement pendant que les salaires restent misérables.
Ils sont près de 10 millions, peut-être plus, à tirer le diable par la queue, à ne pas pouvoir nourrir correctement leurs enfants quand, dans le même temps, comme dirait quelqu’un, d’autres à leurs côtés, vivent confortablement, se paient de belles voitures, vivent dans les beaux quartiers, vont en vacances régulièrement sous les cocotiers. Ce sont les bobos. Ils vivent la belle vie. Ils ne comprennent même pas que d’autres puissent vivre de façon précaire.
Et que dire des grands patrons qui ’accordent des salaires insolents, inacceptables, de plusieurs millions d’euros par an, qui s’ajoutent aux stocks-options et aux retraites chapeaux ? Et ces politiques qui profitent du système et tournent le dos à leurs électeurs dès qu’ils ont quitté leur circonscription ?
La France est vraiment coupe en deux.
« Macron, démission »
La fracture sociale était là, sous nos yeux, ce samedi 17 novembre 2018. La France des gueux qui bloque la France des nantis. Cette France des Gilets jaunes qui ne veut plus subir, qui crie « Macron démission » ou « Macron dégage ».
Parce que le président de la République cristallise désormais toutes les injustices, toutes les rancœurs depuis trop longtemps cumulées. Ce président jupitérien qui règne en despote sur le pays depuis 18 mois a commis de nombreuses erreurs. D’abord, en juillet 2018, avec l’affaire Benalla, ce garde-du-corps et homme à tout faire de l’Elysée. Macron n’a pas su gérer. Pire, il s’est lui-même discrédité en menaçant ses adversaires et ses contradicteurs. On se souvient de son coup de gueule : « qu’ils viennent me chercher » !
Puis, il y a eu la piscine du fort de Brégançon, puis la vaisselle de l’Élysée, puis les 80 km/heures sur les nationales et les PV qui pleuvent comme à Gravelotte. Puis il y a eu la hausse des carburants qui s’ajoute à toutes autres. Ça fait beaucoup. Ca fait trop.
Et maintenant ?
La journée du 17-novembre fut incontestablement un succès pour les organisateurs de ce blocage inédit en dépit des incidents et, malheureusement, de ce décès en Savoie.
Mais désormais plus rien ne sera comme avant. Les Gilets jaunes n’en resteront pas là. Ils ont pris conscience de leur nombre, de leur détermination, de leur façon de faire qui a dérouté l’exécutif. Quel que soit le discours des politiques, quel que soit le prix des carburants, ils continueront.
Si Macron a décidé de poursuivre sa politique et maintenir des prix élevés à pompe comme il s’y est publiquement engagé, les Gilets jaunes sont bien décidés, eux aussi, à continuer à se battre. Ils n’ont pas grand-chose à perdre. Et tout à gagner.
Emilien Lacombe