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Sexting, revenge porn : une cyberviolence sexiste et sexuelle

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Campagne de sensibilisation sur les dangers du « sexting » en Allemagne (en 2013).
Pro Juventute/Flickr, CC BY

Bérengère Stassin, Université de Lorraine

Le terme « sexting » est apparu dans les années 2000 pour désigner le fait d’envoyer un texto à caractère érotique ou sexuel : un sexto. Par extension, le terme désigne aujourd’hui le fait de réaliser une photo « intime » avec son téléphone portable ou son smartphone et de l’envoyer à son-sa partenaire afin de le-la séduire ou bien le fait de réaliser avec lui-elle une vidéo (sextape) afin de garder un « souvenir » d’un moment d’intimité.

Comme le souligne la chroniqueuse Maïa Mazaurette : « Le “sexting” combine sexe et texto… mais, ironiquement, le terme est mal choisi. D’abord parce qu’il y a bien longtemps que les applications de messagerie, comme celle de Facebook, ont détrôné le texto, mais surtout parce que le sexting s’est émancipé du pur textuel. On se sexte massivement par photos interposées. »

Une pratique qui entre dans les mœurs

En 2013, 29 % des adultes interrogés dans le cadre d’un sondage IFOP affirmaient avoir déjà été destinataires de sextos et-ou de sextapes, 19 % avaient déjà envoyé des images les représentant nus ou dénudés et 10 % s’étaient déjà filmés avec leur partenaire en pleine action.

La pratique semblait tout de même plus répandue chez les moins de 25 ans : 35 % avaient déjà reçu des « contenus », 26 % avaient déjà sollicité autrui pour qu’il en envoie, 26 % avaient déjà été sollicités pour en envoyer, et 25 % en avaient déjà envoyé.

Concernant les adolescents (12-15 ans), ils étaient, en 2016, 7 % à avoir déjà réalisé des selfies intimes, généralement à destination de leur petit·e ami·e.

Un jeu de séduction

Le sexting est avant tout un jeu de séduction, fondé sur une relation de confiance : les contenus envoyés à autrui sont supposés « confidentiels », relèvent du « préliminaire », ont une valeur « programmatique ». On peut « sexter » à destination d’un·e partenaire actuel·le ou d’un·e partenaire à venir (via, par exemple, une application de « rencontre » comme Tinder ou Grindr).

Bien évidemment, les « échanges érotiques » n’ont pas attendu les médias sociaux pour voir le jour et, comme l’explique la philosophe Elsa Godart, il ne s’agit pas d’« un changement de la sexualité sur le fond, mais sur la forme. C’est une nouvelle manière de faire la cour ! Aujourd’hui l’effeuillage est devenu sextape. »

Et en s’adonnant au sexting, les « adolescents ne font d’ailleurs en cela rien d’autre qu’imiter les adultes. » (Bellon, Gardette, 2014)

Une forme possible de cyberviolence

Le sexting devient cyberviolence dès lors que les photos ou les vidéos sont réalisées sous la contrainte : 4 % des adolescentes ayant déjà réalisé des selfies intimes se sont senties obligées de le faire, sous pression, notamment, de leur petit ami.

Le sexting devient cyberviolence dès lors que son-sa destinataire est dérangé·e ou choqué·e à la vue des images. Le sexting devient cyberviolence dès lors que les photos ou les vidéos sont réalisées sans le consentement de la personne qu’elles représentent, sans que cette dernière ait connaissance du fait qu’on soit en train de la photographier ou de la filmer.

Enfin, il devient cyberviolence dès lors que les photos ou vidéos, réalisées avec ou sans consentement, sont diffusées afin de nuire à la personne. On parle alors dans ce cas de « revenge porn » ou de « porno-vengeance ».

Une histoire d’ex, mais pas que…

Le revenge porn est d’abord pratiqué à des fins de vengeance par des ex-petit·e·s ami·e·s vivant mal la rupture. Si des garçons se vengent de filles et si des filles se vengent de garçons, des garçons se vengent aussi de garçons et des filles se vengent aussi de filles. Hétéros ou homos, les porno-vengeurs et vengeresses cherchent, avant tout, à nuire à l’image et à la réputation de leur ex.

Mais dans le monde adolescent, il arrive aussi que des jeunes filles voient leurs photos diffusées par leur « actuel » petit ami qui souhaite montrer à ses copains qu’il a « une vie sexuelle », qu’il est un homme, un vrai. Les images peuvent aussi être diffusées par un·e ami·e de la victime (qui se venge suite à une dispute, un différend ou par jalousie) ; par un voyeur discret qui vole des images lors d’une soirée arrosée et se rit de les mettre en ligne ; par un « pirate anonyme » qui nuit juste gratuitement.

Citons aussi le cas de l’« extorqueur » qui s’adonne à la sextorsion : il convainc une jeune fille de se déshabiller devant sa webcam et la menace de « diffusion » si elle ne verse pas une somme d’argent ou ne lui accorde pas d’autres faveurs sexuelles. On pense ici à la tragique histoire d’Amanda Todd ou à une affaire, plus récente, jugée par le tribunal d’Ajaccio.

Les filles, principale cible

Lorsqu’on se « porno-venge », on cherche généralement à nuire à l’image ou à la réputation de sa cible, ou à révéler des éléments secrets de sa vie privée. Ainsi, le revenge porn peut-il relever du body shaming (on se moque des rondeurs ou de la maigreur d’une fille, de la taille des parties génitales d’un garçon), du slut shaming (on fait honte à la « salope » qui a osé poser nue devant un objectif ou une caméra) ou encore de l’outing (on révèle l’infidélité d’une personne, son homo- ou sa bisexualité, ses goûts en matière de sexe, etc.).

Campagne anti-sexting en Allemagne (en 2012).
Pro Juventute/Flickr, CC BY

Comme toute forme de cyberviolence, le revenge porn reste donc principalement ancré dans le sexisme, l’homophobie et les stéréotypes de genre. Si personne n’en est à l’abri, les filles risquent tout de même plus d’en être victimes que les garçons. Les différents cas ayant d’ailleurs fait l’actualité ces dernières années ciblaient principalement des femmes – célèbres ou non – et des adolescentes.

Et si des garçons voient aussi leurs photos diffusées à leur insu, cela reste bien souvent sans conséquence (sauf quand la diffusion est motivée par un désir de moquerie ou d’outing), ce qui est rarement le cas pour les jeunes filles et les femmes. En plus de voir leur intimité exposée publiquement, elles reçoivent parfois des salves d’insultes qui tournent au lynchage et au harcèlement.

Une forme de violence sexuelle

Bien qu’il ne soit pas juridiquement considéré comme tel, en France et dans d’autres pays, le revenge porn constitue bien une violence sexuelle. Plus qu’une atteinte à la vie privée, il en constitue un viol. Les militant·e·s de la Cyber Civil Right Initiative préconisent d’ailleurs l’emploi du terme « cyber-viol » plutôt que celui de « revenge porn ».

Et ses conséquences sont aussi terribles que celle d’une agression sexuelle : sensation d’être salie, souillée, sentiment de honte et d’humiliation, démultiplié par l’effroyable chambre d’écho que constituent les médias sociaux : « Je me suis sentie violée, en danger et confuse », a ainsi déclaré Gina Martin, une jeune Anglaise victime d’upskirting (autre variante du revenge porn qui consiste à voler des photos sous la jupe des filles). À cela s’ajoute un fort sentiment de culpabilité : « pourquoi ai-je posé nue ? », « pourquoi ai-je envoyé cette photo ? », « pourquoi n’ai-je pas vu qu’on me filmait ? », « pourquoi ai-je accepté qu’on me filme ? »

The ConversationEnfin, le revenge porn est une violence sexuelle dont la possible réitération pèse sur les victimes comme une épée de Damoclès : la pérennité intrinsèque aux contenus numériques fait qu’ils peuvent ressurgir à tout moment, même de longues années plus tard.

Bérengère Stassin, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, membre du CREM, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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