Michaël Girardin, Université de Lorraine
Après la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, beaucoup d’articles ont fleuri sur le net. Mais remontons plus loin dans le temps, car la situation actuelle remonte en partie à l’Antiquité. Jérusalem, plus qu’une ville, est un symbole extrêmement fort pour le judaïsme.
La centralité de Jérusalem
Jusqu’au IIe siècle av. J.-C., Jérusalem n’est pas le seul centre d’un culte juif. À l’époque où le royaume s’est scindé en deux après la mort du roi Salomon, les rois de Juda (au sud) exploitent le temple comme l’instrument de leur légitimité, tandis que les rois d’Israël (au nord) fondent de nouveaux sanctuaires. Dès le VIe siècle, le temple d’Éléphantine, puis celui de Léontopolis, permettent à la diaspora de célébrer un culte à Yahvé en Égypte. La communauté samaritaine, de son côté, l’adore sur le mont Garizim. Le rapport à Jérusalem est donc religieux, mais aussi politique et identitaire. Toutefois, l’idéal centralisateur se retrouve dans le livre du Deutéronome, dans les livres des Rois et dans ceux des Chroniques en particulier, comme un signe qu’un jour tous les Juifs seront réunis sous le gouvernement de Dieu.
Après la révolte des Maccabées en 168 av. J.-C., la nouvelle famille régnante s’efforce d’unifier son royaume autour de Jérusalem. Certaines populations, comme les Iduméens, sont converties de force au judaïsme, et les sanctuaires concurrents sont détruits. En parallèle, ils s’efforcent de développer des liens avec la diaspora, notamment en inventant la fête de Hanoukka et un impôt, le demi-sicle, dont l’objectif est plus que fiscal : pour tout Juif diasporique, le payer revient à reconnaître qu’il reste juif et qu’il tient à garder un lien avec Jérusalem ; pour les souverains, c’est une reconnaissance tacite de leur politique.
Le cœur d’une espérance
Hérode, en 40 av. J.-C., devient roi mais ne peut prétendre à devenir grand prêtre, puisqu’il est descendant des Iduméens convertis de force et n’est donc, selon ses ennemis, qu’un « demi-Juif ». Il installe des hommes de paille sur le temple, et les Romains, quand ils annexent la région, héritent de cette situation. Peu à peu, l’idée fait son chemin que les élites religieuses, en les servant, se détournent de Dieu. Si la révolte de 66 a plusieurs causes, l’essentiel reste l’atteinte contre le sanctuaire.
Les monnaies frappées par les rebelles sont d’ailleurs intéressantes : on lit dessus « Jérusalem la sainte », et les bronzes de l’an 4, peut-être frappés par un parti plus extrême, portent l’inscription « pour la rédemption de Sion ». La rédemption renvoie à la fin des temps. La ville est donc l’un des coeurs de l’identité juive et de son espérance.
Le temple est détruit en 70, mais pour les Juifs cela ne change pas grand-chose : le premier temple avait été reconstruit ; le deuxième, pense-t-on alors, le sera à son tour. Jérusalem reste le lieu choisi par Dieu et c’est de « sa montagne » qu’il enverra son messie.
Toutefois, la deuxième révolte, entre 132 et 135, ne parvient pas à libérer la ville et le temple n’est donc pas reconstruit. Bar Kokhba, sur ses monnaies de l’an 3, frappe le slogan « pour la liberté de Jérusalem ». En cet instant, il s’agit du slogan le plus susceptible de réunir toutes les forces derrière sa bannière. Car Jérusalem est le seul lieu, dit-on, où les fidèles peuvent adorer Dieu (Deutéronome 12.11). Privés de Jérusalem, les Juifs sont privés du culte, c’est-à-dire de leur identité de Juifs.
Jérusalem depuis 135
À l’issue de la révolte, la Judée est abolie et devient la Syrie-Palestine. Jérusalem, refondée en colonie romaine peu avant, devient Aelia Capitolina, interdite de séjour aux Juifs, et les ruines du temple servent de fondation pour un temple à Jupiter. Dans de nombreux éléments de la vie juive, une trace d’incomplétude est entretenue, afin que chacun se souvienne de l’absence du temple : on brise un verre lors d’un mariage ; on laisse un coin de mur sans décoration dans les maisons ou un coin de jardin inculte, etc. On continue à lire le Psaume 137 (« Si je t’oublie, Jérusalem… ») et chaque année, lors de la Pâque, est prononcée la célèbre formule « l’an prochain à Jérusalem ». Jérusalem reste le lieu de la promesse, et il existe encore aujourd’hui des mouvements espérant la refondation du temple.
Ce conflit autour de Jérusalem est donc politique, certes, mais il touche aussi au cœur de l’identité juive (et osons inclure les chrétiens, pour qui la refondation du temple est un signe de la fin des temps). Jérusalem n’est pas qu’une ville, c’est avant tout un symbole et une identité. Le problème reste que Jérusalem est aussi une ville sainte pour l’islam, et que cet aspect mériterait un article entier. Il ne s’agit pas ici de nourrir les argumentaires d’un parti ou d’un autre, mais de comprendre que ce qui est en jeu, aujourd’hui, est un conflit ancien et profond.
Michaël Girardin, Docteur en histoire ancienne, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.