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Il est inutile de vouloir réformer le système éducatif en France, il faut en changer

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Rentrée des classes.
Petit Louis/Flickr, CC BY

Bernard Hugonnier, Collège des Bernardins

Cinquième puissance économique du monde, la France voit son système éducatif classé 27e dans le classement des Bernardins, qui mesure la qualité des systèmes éducatifs des pays de l’OCDE, tandis que selon PISA l’école française est l’une des plus inéquitables. Notre système est à bout de souffle et irréformable. Il faut en changer pour revenir dans les toutes premières places mondiales d’ici 10 ans. Comment faire ?

Un exemple : la Finlande

En 1950, un pays européen avait un double système éducatif : l’un, destiné principalement à la population rurale, qui durait seulement six ans, et l’autre réservé à ceux vivant dans les villes et les grandes municipalités, qui leur donnait accès à une éducation secondaire de deux à trois ans pour se diriger ensuite soit vers des études professionnelles, soit vers des grammar schools (cinq ans) ouvrant la porte de l’université.

Le système éducatif était donc inégalitaire, et fortement ségrégé suivant l’origine sociale des jeunes. La situation devint encore insoutenable avec la montée de la mondialisation et de l’urbanisation.

La décision fut prise d’envisager la création d’un système éducatif unique. Dans la tradition de ce pays, de longues consultations prirent place, des commissions furent créées, des études de cas (plusieurs centaines) furent lancées, cela pendant 18 ans. C’est en effet seulement en 1968 qu’enfin la loi créant l’école unique et obligatoire de 7 à 16 ans fut votée. Et encore, faudra-t-il encore attendre neuf ans, jusqu’en 1977, pour qu’elle soit complètement mise en œuvre : elle entra, en effet, en vigueur en 1972 et fut d’abord expérimentée dans le nord du pays, la partie la moins peuplée, avant de progressivement être appliquée dans le reste du pays et dans les grandes villes situées dans le sud. En l’an 2000, les premiers résultats de PISA paraissaient et ce pays arrivait à la première place du classement. C’était la Finlande.

L’état de la France

Quelles leçons peut-on en tirer pour la France ? Dans notre pays, comme autrefois en Finlande, il existe deux systèmes éducatifs : l’un qui fonctionne assez bien pour les classes supérieures et moyennes, et l’autre qui donne de mauvais résultats pour les autres classes ; il y a évidemment des exceptions selon son lieu de résidence et en conséquence l’établissement scolaire auquel on a accès.

Mais les études internationales, comme PISA, montrent que, si l’on est d’origine modeste, on a beaucoup moins de chances que dans les autres pays de l’OCDE de réussir à l’école et beaucoup plus de décrocher du système scolaire avant la fin de sa scolarité obligatoire. L’explication qui est donnée est qu’en France l’impact du milieu social sur les performances des élèves d’origine modeste (le fameux déterminisme social) est moins bien compensé par l’école que dans les autres pays.

En d’autres mots, l’école ne corrige pas les inégalités sociales, elle les perpétue (quand elle ne les aggrave pas). La République, qui doit œuvrer également pour tous, manque donc à ses devoirs et l’école républicaine, qui doit assurer l’égalité des chances, est un mythe.

Un nouveau système pour la France

En conséquence de quoi, comme l’a fait la Finlande, plutôt que de tenter de réparer les dysfonctionnements du système actuel – ce que l’on a fait sans grand succès depuis 35 ans (les premières mesures d’éducation prioritaire ont été prises en 1981) – il convient plutôt de créer un nouveau système.

De même, en s’inspirant de la Finlande, on veillera d’organiser la gouvernance générale de ce projet en respectant les cinq règles suivantes :

  • Établir des objectifs clairs avec une date butoir précise ;
  • Mettre au point une série de mesures précisant le rôle des différents acteurs de l’éducation et fixant un calendrier de mise en œuvre pour chacune ;
  • Mobiliser tous les moyens nécessaires (financiers, physiques, administratifs, juridiques, humains) ;
  • Faire participer tous les acteurs de l’éducation dès le début à l’élaboration du projet afin de garantir leur appropriation et partant leur soutien au projet ;
  • Tester la mise en place du projet dans une ou deux régions afin qu’il soit évalué puis éventuellement généralisé dans l’ensemble du pays.

Le projet similaire à celle de la Finlande qu’il faut donc mener consiste à créer un système éducatif unique permettant à tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale, d’être en situation de réussir en classe (étant entendu que le système ne pouvant pas compenser l’inégalité de talents, il y aura toujours parmi les élèves des résultats inégaux). Toutes les mesures formant la réforme doivent avoir pour objectif de réduire les inégalités sociales qui handicapent l’apprentissage des élèves et de réduire les inégalités scolaires.

Quelles mesures mettre en place ?

En s’inspirant des systèmes éducatifs qui sont les plus équitables et qui permettent aux élèves d’avoir les meilleurs résultats, le nouveau système devrait prendre forme grâce aux mesures suivantes (Ce projet est expliqué en détail dans l’ouvrage Réconcilier la République et son école) :

  • Une décentralisation vers les régions de l’ensemble de la politique de l’éducation (la formation des enseignants et les programmes restant nationaux) ;
  • Une plus grande autonomie de l’ensemble des établissements (les écoles acquérant le statut d’établissements publics), et un leadership partagé ;
  • La mise en place d’une gestion générale par objectifs tant au niveau national, que régional, que des établissements ;
  • La suppression du corps des enseignants, la révision de leurs statuts, la suppression des concours de recrutement ;
  • Un fort renforcement de la formation professionnelle initiale et continue des enseignants mettant l’accent sur l’acquisition de l’ensemble des méthodes pédagogiques, des formations concernant la pédopsychologie, la psychologie sociale, les neurosciences, la gestion de classes difficiles, les compétences génériques et notamment l’innovation, l’interdisciplinarité, le travail en équipe, le tutorat et le coaching, l’usage du numérique, et le goût pour les enseignants pour la recherche.
  • Des programmes moins encyclopédiques, plus interdisciplinaires, laissant leur place aux compétences y compris les compétences génériques et sociales, recourant à des pédagogies plus inductives et plus différenciées, sans oublier le numérique pour développer l’apprentissage personnalisé, l’auto-apprentissage, la recherche documentaire, le travail en groupe.
  • Un plan Marshall pour lutter contre les inégalités, l’échec et l’abandon scolaires, recourant là aussi au numérique.
  • Le développement de relations plus coopératives et constructives entre l’école et les parents.

La France est le pays du Siècle des lumières qui a fait savoir que l’homme ne devait plus vivre sous tutelle, quelle qu’elle soit, mais décider de lui même à partir de son propre jugement. Le fort centralisme et le système hiérarchique pyramidale, qui caractérisent notre système éducatif, étouffent les initiatives et incitent à l’individualisation alors qu’il faudrait davantage de travail collectif, de coopération, d’entraide et d’innovations.


The ConversationBernard Hugonnier, co-directeur du séminaire Ecole et République du Collège des Bernardins, a co-dirigé avec Gemma Serrano un ouvrage issus des réflexions du séminaire, « Réconcilier la République et son école » (Editions du Cerf, Paris, septembre 2017).

Bernard Hugonnier, Professeur en sciences de l’éducation, Institut Catholique de Paris, Co-directeur du séminaire de recherche Ecole et république, Collège des Bernardins

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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