La valse des étiquettes.
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Franck Celhay, Montpellier Business School – UGEI
Le packaging est souvent considéré par les professionnels du marketing comme « le premier media du produit ». Il communique, notamment au travers de son aspect visuel, des messages explicites et implicites au consommateur.
Dans la filière vin, l’importance de cet outil de communication est d’autant plus grande que les metteurs en marché n’ont souvent que peu recours aux autres médias tels que la télévision, la radio ou l’affiche publicitaire. Soit du fait de contraintes légales soit du fait d’un manque de budget. Ainsi, c’est principalement au travers du design de leurs étiquettes que les marques de vin vont pouvoir signifier leurs différences et raconter une histoire (réelle ou fictive) à propos de leur produit.
Le sémioticien François Bobrie a réalisé 5 années durant, une analyse portant sur le top 100 du Wine Spectator. Il identifie 2 grandes catégories d’étiquettes narrant 2 types d’histoires différentes. La première catégorie est celle des étiquettes dites « égo-centrées jupiteriennes ». Elles développent des histoires relatives au vin en lui-même, à sa grandeur, son histoire, son savoir-faire. La seconde catégorie est celle des étiquettes dites « conso-orientées bachiques ». Cette dernière regroupe des étiquettes qui ne parlent plus seulement du vin en lui-même mais évoquent également le consommateur qui le boit et les bénéfices que ce dernier pourra tirer de sa consommation.
L’étiquette Château les Chevaliers ci-dessous rentre par exemple dans la catégorie des égo-centrées jupitériennes. Au travers de l’utilisation de lettres majuscules, de dorures, d’une gravure de château et d’un visuel de blason, cette étiquette cherche à nous raconter l’histoire d’un grand vin prestigieux, ancien, et aristocrate. L’étiquette Château Clerc Millon reprend globalement les mêmes codes en termes de typographie et de couleurs, mais au travers de la représentation de danseurs elle évoque également le thème de la fête et donc certains des bénéfices associés à ce moment de consommation tels que la joie ou l’ébriété.
Quatre storytellings égo-centrés
Récemment une étude réalisée sur 166 étiquettes de la Barossa Valley complète cette typologie en identifiant 4 sous-types d’étiquettes égo-centrées. L’étude permet de vérifier que les étiquettes australiennes se différencient au travers de 4 grands thèmes d’illustration qui s’opposent. Une partie des étiquettes fait le choix de représenter le site de production tandis qu’une autre catégorie met en avant le vigneron ou le créateur du vin. Par ailleurs, certaines étiquettes utilisent des codes visuels évoquant le thème de la culture, tandis que d’autres cherchent à évoquer le thème de la nature. À l’intersection de ces 2 oppositions émergent quatre storytellings de marque :
- Producteur/culture : storytelling du « vin œuvre d’art ». Le vin est présenté comme une œuvre d’art dont les qualités intrinsèques proviennent du savoir-faire et de l’inspiration d’un vigneron artiste.
- Producteur/nature : storytelling du « vin paysan ». Le vin est présenté comme un produit rustique dont les qualités intrinsèques proviennent du travail artisanal d’un vigneron paysan disposant d’une connaissance et d’une connexion privilégiée avec la nature.
- Lieu de production/culture : storytelling du « vin de chateau ». Le vin est présenté comme un produit culturel dont les qualités intrinsèques proviennent d’un savoir-faire traditionnel localisé dans un château/domaine prestigieux et historique.
- Lieu de production/nature : storytelling du « vin don de la nature ». Le vin est présenté comme un produit naturel dont les qualités intrinsèques proviennent des caractéristiques exceptionnelles d’un environnement naturel spécifique.
La typologie proposée semble pertinente quelle que soit la région analysée. Ainsi, il est très facile d’identifier, hors de la Barossa Valley, des étiquettes utilisant ces storytellings. Opus One (Napa Valley, États Unis) reprend par exemple le storytelling du vin comme œuvre d’art. L’étiquette représente les portraits en buste des 2 « créateurs » du vin sous la forme d’une esquisse rapide. Elle nous montre également leurs deux signatures suggérant ainsi que le vin est une œuvre originale signée par les deux artistes qui l’ont créé.
Le vin Ben Marco malbec (Mendoza, Argentine) raconte l’histoire du vin paysan. L’étiquette nous montre une photographie en noir et blanc des mains d’un vigneron tenant un sécateur et une grappe de raisin.
Château Libertas (Western Cape, Afrique du Sud) reprend quant à lui le storytelling du vin de château. L’étiquette utilise une police de caractères gothiques imitant la calligraphie des moines copistes du Moyen-âge ainsi qu’un papier jauni pour suggérer l’ancienneté et le caractère historique du château.
Enfin, Parinacota (Maule Valley, Chili) nous raconte l’histoire du vin comme don de la nature. Ici ce n’est plus le vigneron ou le château qui est mis en scène mais l’environnement naturel du vin (volcans).
Quatre storytellings conso-orientés
Toujours en étudiant les codes visuels utilisés par les étiquettes de vin, il est possible d’identifier quatre sous-types d’étiquettes relevant de la catégorie des « conso-orientées ». Ainsi, certaines étiquettes choisissent de mettre en scène un plaisir partagé, tandis que d’autres mettent en scène un plaisir individuel. Par ailleurs, certaines évoquent un plaisir débridé et d’autres un plaisir maîtrisé. À l’intersection de ces deux oppositions émergent quatre nouveaux storytellings :
- Plaisir individuel/maîtrisé : storytelling du « vin de la relaxation ». Le vin est présenté comme un produit qui peut se déguster seul pour le plaisir de la dégustation et pour se relaxer. Il est associé à des thèmes tels que la relaxation, la détente, les vacances, le « slow-life ».
- Plaisir individuel/débridé : storytelling du « vin libérateur » : Le vin est présenté comme un produit permettant de s’échapper en libérant votre esprit et votre imagination. Il est associé à des thématiques telles que la liberté, l’imagination, l’évasion, l’art et l’inspiration.
- Plaisir partagé/maîtrisé : storytelling du « vin de la séduction ». Le vin est présenté comme un produit à partager avec l’être aimé. Il est associé à des thématiques telles que la romance, la séduction, l’amour, la tentation ou la sexualité.
- Plaisir partagé/débridé : storytelling du « vin festif ». Le vin est présenté comme un produit destiné à être partagé avec vos amis pour s’amuser et faire la fête. Il est associé à des thématiques telles que la fête, la danse, l’ébriété, la folie.
Ici encore, la typologie semble pertinente quelle que soit la région considérée. Vista Mar Brisa (Central Valley, Chili) reprend le storytelling du vin de la relaxation. L’étiquette nous représente un individu faisant une sieste dans un hamac et associe ainsi le vin aux thématiques de la détente ou des vacances.
Le vin Auspicion (Californie, États-Unis) raconte l’histoire du vin libérateur. L’étiquette nous montre une femme emportée par une nuée d’oiseaux et associe ainsi le vin avec les thématiques de l’élévation et de l’évasion.
Besame Mucho (Yecla, Espagne) reprend de façon assez évidente le storytelling du vin de la séduction. Ici, un jeu sur la typographie fait écho au nom de la marque pour suggérer des lèvres et donc un baiser. Ce baiser peut évoquer aussi bien un baiser échangé à l’issue d’un dîner romantique comme, de façon plus métaphorique, la rencontre entre les lèvres du consommateur et le vin. Il s’agit alors de rapprocher l’expérience de dégustation d’un plaisir d’ordre sexuel.
Enfin, le vin Francis Coppola (Alexander Valley, États Unis) nous raconte l’histoire du vin festif. L’étiquette nous montre un diablotin dansant sur un ballon et suggère ainsi les thèmes de la fête débridée, des danses endiablées et de l’ébriété. Bien sûr, le format de l’étiquette ainsi que la décomposition du mouvement font aussi écho au cinéma et à la profession du propriétaire.
Ces différents storytellings correspondent sans doute à ce que Roland Barthes aurait qualifié de « mythologies » du vin. Bien sûr, ces mythes ont une vocation commerciale, puisqu’ils servent à différencier les marques pour mieux les valoriser. Ils peuvent par ailleurs correspondre à une forme de réalité du produit (dans le cas d’un château véritable) comme à une histoire totalement fantasmée (dans le cas d’une marque de distributeur/négoce/coopérative reprenant les codes d’un vin de château). Pour autant, le consommateur n’est pas forcément dupe et ces histoires, quelles soient réelles ou fictives, peuvent sans doute contribuer à sa satisfaction tant que le vin est bon. Car, comme le disait Alfred de Musset, « qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ».
Franck Celhay, Associate professor, Montpellier Business School – UGEI
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.