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Ces économistes qui valident le sentiment d’iniquité des « gilets jaunes »

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La colère autour de la fiscalité ne débouche pas seulement sur une demande aveugle de baisse des impôts.
Serge Goujon / Shutterstock

Maxime Bonneau, Burgundy School of Business

Si le point de départ du mouvement des « gilets jaunes » a été l’introduction d’une hausse des taxes sur le carburant, on peut déceler dans l’hétérogénéité de leurs revendications actuelles une demande générale pour plus d’équité. Selon eux, l’impôt actuel et les réformes récentes, aux travers de leurs objectifs ambitieux d’égalité, en manquerait cruellement. Et de nombreux travaux d’économistes semblent converger avec cette perception.

Ils revendiquent notamment un impôt davantage progressif, ce qui rejoint en cela les analyses de Thomas Piketty, voir le graphique suivant. Dans le même ordre d’idée, il s’agit pour eux de « faire payer les gros », autre nom pour les multinationales type Amazon, Facebook, Starbucks, Carrefour. Des revendications additionnelles et non contradictoires font état d’un retour de l’ISF, et mentionne la fraude fiscale annuelle des plus ménages les plus fortunés du pays, équivalent à l’impôt sur le revenu (entre 60 et 80 milliards d’euros par an).

Dégressivité de l’impôt, site revolutionfiscale.fr.
Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, « Pour une révolution fiscale », publié le 20 janvier 2011, Le Seuil/République des idées

Plus que l’égalité, la notion d’équité

En octobre dernier, l’institut des Politiques Publiques a publié une présentation faite à Paris School of Economics sur l’impact des réformes en cours ou à venir. Il s’agissait d’évaluer les effets redistributifs et incitatifs de ces réformes, à l’aune du pouvoir d’achat notamment. Concernant les effets redistributifs, les réformes annoncées ou en cours conduisent à des pertes nettes pour les bas revenus, à cause de la sous-valorisation des prestations sociales, de la réforme des allocations logement notamment. De l’autre côté de la distribution des revenus, on enregistre des gains pour les 1 % des plus riches (1 % des plus hauts revenus), après mise en place du prélèvement forfaitaire unique. De plus, les retraités subissent une perte nette (sous indexation des pensions, hausse de la CSG) alors que les gains sont très élevés pour les 1 % (suppression d’une partie de l’ISF) des plus aisés.

Gain et perte de revenu disponible par centile de la population française, suite aux réformes en cours et à venir du gouvernement d’Edouard Philippe.
Source TAXIPP 1.0, sur données FELIN, ERFS, Budget des familles, Fideli

Si l’on rajoute la fraude fiscale, qui est surtout un phénomène concernant les particuliers les plus fortunés (voir le verrou de Bercy dans le livre de Pinçon-Charlot, « Tentative d’Evasion Fiscale ») comme pour les multinationales, la colère autour de la notion de la fiscalité ne débouche pas seulement sur une demande aveugle de baisse des impôts, mais également sur un partage de l’effort relatif pour les réduire.

Une analyse critique passe dès lors par un examen en profondeur des mécanismes adossés aux revendications actuelles, ainsi que des réponses du gouvernement. Et de ce fait, de nouvelles questions surviennent : par quel biais les inégalités sont réduites en France ? Souhaite-t-on seulement les réduire ? Quel est le lien entre l’égalité et l’équité ?

La psychologie et l’économie comportementale pour expliquer les comportements liés à l’iniquité

Un pan entier de la littérature académique moderne, baptisée Behavioral Economics (« économie comportementale »), tente de répondre à cette dernière question, notamment par le biais du marché du travail. Plusieurs chercheurs de l’Université de Bonn en Allemagne ont réalisé une expérience en 2006, montrant que proposer un même salaire à des travailleurs effectuant des efforts différents conduisaient à une réduction de l’effort moyen. Autrement dit, les travailleurs se comparaient entre eux. Ceux qui travaillaient beaucoup ont baissé leur effort, après avoir été rémunéré le même montant que leurs collègues qui avaient fourni moins d’efforts.

Cette expérience s’appuyait sur des notions en psychologie et en sociologie montrant que les individus tendent à se comparer entre eux. Dans plusieurs articles, Georges Akerlof (Prix « Nobel » d’économie 2001) et Janet Yellen (ex-directrice de la Federal Reserve), en 1988 et 1990, ont trouvé que les travailleurs pouvaient se comparer par rapport à un groupe de référence. Daniel Kahneman (Prix « Nobel » d’économie 2002) montrait quant à lui en 1986 que les individus comparaient leur situation par rapport à une transaction de référence. Autrement dit, ils se fondent sur une référence historique pour déterminer si leur sort actuel est juste ou non. Enfin, d’autres articles ont montré que ce qui importait beaucoup dans une relation employeur-employé, était la raison pour laquelle l’employeur baissait ou augmentait les salaires. Dès qu’il n’est pas justifié économiquement, ou plus généralement que la justification ne provient pas d’un évènement extérieur quasiment incontrôlable, les salariés ont du mal à accepter la baisse de salaire.

Ces résultats peuvent nous aider à éclairer la situation actuelle en France. Si l’on se base sur Akerlof et Yellen (et leurs successeurs), il se peut que le groupe de référence pris par le collectif des « gilets jaunes » pour comparer leur situation (riche/pauvre) se soient trop éloignés économiquement. Dès lors, le consentement à l’effort collectif demandé devient caduc. Si l’on se base sur Kahneman, on considère au contraire que c’est la transaction de référence qui détermine la base de l’équité, et donc l’effort consenti in fine. Partant de ce principe, il se peut que les réformes du président Emmanuel Macron ait été perçues comme trop injustes et dénuées d’équité par rapport à la situation précédente, ce qui pourrait expliquer l’insurrection.

Modifier l’objet d’analyse

C’est donc en modifiant l’objet étudié que l’on peut réhabiliter une analyse par courants économiques. Ceci afin d’analyser les revendications, si hétérogènes soient-elles, ainsi que les réponses du gouvernement. Or, il faut admettre qu’à l’heure où le prix « Nobel » d’économie Jean Tirole a peur que la diversité des points de vue amène au « relativisme des connaissances, antichambre de l’obscurantisme », le combat n’est pas gagné d’avance pour, au moins, avoir des éclairages différents sur un même fait social.

Dans le « qui gagne, qui perd ? » actuel, les modèles macroéconomiques portant sur les réformes du gouvernement actuel, mais bien plus encore le ressenti de la population française, convergent et signalent que les efforts sont unilatéraux. Cela viole le principe d’équité cher au modèle républicain. S’il est vrai qu’une réduction de l’impôt ne réduit pas les inégalités, une meilleure progressivité permettraient à celles-ci d’être mieux vécues, toutes choses étant égales par ailleurs, par les plus défavorisés de notre pays. Bien choisir les phénomènes à débattre et permettre à chaque courant économique d’avoir sa place dans le débat permettra de développer une analyse critique pertinente, dans les salles de classe comme sur les réseaux sociaux.The Conversation

Maxime Bonneau, Phd Student at Middlesex University, Burgundy School of Business

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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