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Création d’entreprise le grand malentendu français

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Pourquoi ne pas aider les porteurs de projets qui n’envisagent pas forcément de créer leur entreprise ?
Université de Lorraine, Author provided

Christophe Schmitt, Université de Lorraine

Lorsqu’il parle d’entrepreneuriat, le politique a les yeux rivés sur un indicateur seulement : le nombre de créations d’entreprise. Le projet de loi Pacte en est une énième illustration, avec un texte qui commence par cinq mesures pour simplifier les formalités pour lancer une activité.

Certes, nous pouvons nous réjouir de cette volonté politique. Mais nous pouvons aussi nous poser la question : ne sommes-nous pas comme l’aveugle qui cherche ses clefs sous le lampadaire, car c’est le seul endroit éclairé dans la ruelle sombre ? En agissant de la sorte, nous ne faisons qu’aider les personnes qui souhaitent effectivement créer une entreprise. Cette façon de procéder exclut de facto tout porteur de projet pour lequel la création d’entreprise ne serait pas une finalité. Ne pourrions-nous pas les aider eux aussi ?

En fait, nous pouvons nous réjouir de l’engouement actuel au sein de notre société pour tout ce qui touche l’entrepreneuriat, tout en constant que cela n’accroît pas significativement les chiffres de la création d’entreprise comme nous avons pu le montrer (La fabrique de l’entrepreneuriat, Dunod, 2017). Plus encore, nous pouvons avancer que la création d’entreprise n’est pas un objectif en tant que tel pour ceux qui se lancent dans l’entrepreneuriat. Dit autrement, nous sommes face à un paradoxe qu’il convient de comprendre : les futurs entrepreneurs ne sont pas nécessairement intéressés par la création d’entreprise !

Un état de fait : le désamour de la création d’entreprise en France

Maintes fois l’expérience a été menée en France : les activités en lien avec l’entrepreneuriat attirent du monde, certes, mais principalement des gens qui ont globalement l’envie de créer. On entend même les acteurs de l’accompagnement se plaindre de retrouver souvent les mêmes personnes. À notre niveau, au sein de l’Université de Lorraine, le constat est similaire lorsqu’on se borne à parler de création d’entreprise en tant que telle.

Prenez un amphi de 150 places, invitez les étudiants à venir participer s’ils le souhaitent à une activité sur la création d’entreprise (témoignages, présentation des structures, financements, etc.) et vous constaterez que l’amphi reste quasiment vide. Comment expliquer ce constat ? Tout simplement par le fait que la création d’entreprise n’est généralement pas une finalité en elle-même. Cela vaut aussi pour les activités mises en place par les structures d’accompagnement. Ceux qui y sont présents sont ceux qui souhaitent créer une entreprise. Au bilan : on ne connaît que ceux qui veulent créer une entreprise. Les autres n’apparaissent pas dans le radar. Finalement, rien de nouveau sous le soleil…

En agissant de cette façon, l’entrepreneuriat se résume à la démarche de création d’entreprise uniquement, à ce qu’il convient de qualifier la phase de cristallisation de l’entrepreneuriat. Dans cette phase sont concentrés des moyens humains, techniques et financiers pour créer une entreprise. Le business plan en est la figure de proue. Cela peut engendrer des situations ubuesques où on amène, à force de persuasion, des personnes à créer une entreprise sans que cela corresponde à leurs aspirations. On trouve, toujours dans cette phase de cristallisation, pléthore d’acteurs qui rendent parfois illisibles l’action des uns et des autres auprès des entrepreneurs. Même sous certains aspects, la France apparaît comme ayant un écosystème relativement complet mais avec un niveau d’entrepreneuriat en deçà du potentiel d’accompagnement. C’est-à-dire que l’on sait bien aider des créateurs d’entreprise qui ont décidé de créer ; a contrario, amener les autres à entreprendre reste encore chose à faire.

Alors que peut-on faire ? Cette question renvoie plus largement au développement de la culture entrepreneuriale sur le territoire, c’est-à-dire à la phase gazeuse de l’entrepreneuriat. Beaucoup de choses se passent très amont de la création d’entreprise. À y regarder de plus près, on s’aperçoit même que, contrairement à la phase de cristallisation, il existe peu de dispositifs d’aide ou d’accompagnement dans cette phase gazeuse.




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Cela peut se comprendre notamment par un manque de prise de conscience au niveau national de l’importance de tout ce qui se passe en amont des projets entrepreneuriaux par rapport à la phase de cristallisation où la majorité des ressources sont engagées.

Plus que la création d’entreprise, aider à la conception d’un projet

Ce détour par la phase gazeuse permet de comprendre le paradoxe évoqué précédemment autour du manque d’intérêt pour la création d’entreprise en France. En effet, lorsque nous travaillons avec des personnes qui viennent nous voir avec une idée, un projet, nous faisons le constat que, régulièrement, les personnes ne sont pas intéressées par la création d’entreprise. Leur motivation première réside dans leur posture au monde, c’est-à-dire dans le désir de développer un projet qui leur permettra de participer à la société à leur façon.

Ce projet est en fait la traduction de leur vision du monde et de leurs valeurs. Deux constats importants sont ici à faire : le premier renvoie aux échanges spontanés avec la personne. L’idée de création d’entreprise est rarement présente dans leur discours. Second constat : quand on interroge ces personnes sur la place de la création d’entreprise, on se rend bien souvent compte qu’elles n’avaient pas intégré cette éventualité dans leur projet.

De ces deux constats, il est possible de considérer que la création d’entreprise est plus la résultante d’un parcours qu’un objectif en tant quel. Pourtant, les actions des politiques comme celles des structures d’accompagnement relèvent toujours de la même finalité : la création d’entreprise. Or, il serait opportun dans une société qui s’ouvre largement à la notion de startups d’axer les moyens sur l’émergence du projet entrepreneurial.

Il s’agit donc de changer le niveau de la réflexion et de mieux considérer la phase gazeuse. Actuellement, c’est là que l’on peut trouver les futures pépites. Si nous voulons les voir éclore, il est donc nécessaire d’y mettre des moyens. Nous pouvons envisager trois types de besoin à ce niveau :

  • Des besoins relatifs aux porteurs de projet. Nous faisons régulièrement le constat que les besoins des porteurs de projet se situent essentiellement dans les aspects suivants : la confiance en soi et l’estime de soi ;
  • Des besoins relatifs au projet entrepreneurial. Les besoins des porteurs de projet se situent dans la cohérence du projet développé avec la connaissance des valeurs défendues par le porteur de projet ;
  • Des besoins relatifs aux acteurs de l’écosystème. Les porteurs de projet ont besoin, non seulement d’identifier les acteurs de l’écosystème qu’ils pourraient rencontrer, mais aussi d’amener les acteurs de l’écosystème à s’engager dans leur projet entrepreneurial.



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Si on est d’accord avec ces besoins, il convient de s’intéresser ensuite aux manières de transformer l’idée d’origine en création d’entreprise. Autrement dit, le passage de la phase gazeuse à la phase de cristallisation.

Nécessaire évolution culturelle

En ce qui concerne la phase gazeuse, les acteurs ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux de la phase de cristallisation. En effet, si les besoins ne sont pas les mêmes, cela signifie que les compétences requises pour aborder la phase gazeuse ne sont pas forcément celles en lien avec les phases de cristallisation. Dans cette perspective, à travers le programme PEPITE qui donne accès au statut national d’étudiant-entrepreneur, les universités françaises se sont largement positionnées comme des acteurs territoriaux de la phase gazeuse.

Récemment, un réseau a vu le jour au niveau national de la CPU (Conférence des Présidents d’Universités) à l’initiative de l’Université de Lorraine et de l’Université Lyon 3, autour d’une ambition à développer : une université entrepreneuriale. D’autres acteurs ont emboîté le pas pour développer la culture entrepreneuriale auprès des plus jeunes encore, lycéens et collégiens.

Revenons pour conclure sur le paradoxe énoncé au début de cet article. La création d’entreprise n’est que la face visible de l’iceberg. Le développement de la culture entrepreneuriale en est la partie immergée. Soyons provocateurs en écrivant que les porteurs de projet ne veulent pas créer d’entreprise a priori, mais souhaitent avant tout développer un projet qui portent leurs valeurs et dont la création d’entreprise en serait éventuellement la conséquence.

À l’heure où des inspecteurs de l’IGAENR (Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche) sont chargés de faire des recommandations au ministère de l’enseignement supérieur sur le programme PEPITE, il semble important que le regard porté sur l’entrepreneuriat évolue notablement. Ce regard doit intégrer la manière dont nous pouvons aider les personnes à porter leur projet, et pas simplement les façons de les intéresser à la création d’entreprise. C’est bien là l’enjeu d’une nécessaire évolution culturelle en France.The Conversation

Christophe Schmitt, Vice-Président en charge de l’Entrepreneuriat et de l’Incubation et Professeur des Universités en entrepreneuriat, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

The Conversation

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