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Surenchère de la Fnac sur Darty : un coup risqué ?

Isabelle Chaboud, Grenoble École de Management (GEM)

Capture DartyLa bataille entre Conforama et la Fnac pour reprendre Darty se poursuit. La Fnac a relevé son offre lundi 25 avril de 170 pence ce qui valoriserait Darty à un peu plus de 1 milliard d’euros.
Il s’agit là de la troisième et dernière offre de la Fnac. Malgré des synergies potentielles évaluées à près de 130 millions d’euros selon une étude réalisée par EY, le pari nous apparaît très risqué. Trois points nous semblent tout particulièrement à prendre en considération.

Une transaction en livre sterling dont le coût final peut évoluer

Le cas est particulièrement intéressant car même s’il s’agit de deux enseignes chères aux Français, la transaction aura lieu en livres sterling. En effet, Darty, après avoir été rachetée par le groupe Kingfisher en 1993, fût intégrée à sa filiale Kingfisher Electricals et de ce fait cotée à la bourse de Londres, la London Stock Exchange (LSE) dès 1994. En juillet 2012, Kesa Electricals change de nom pour Darty Plc, mais Darty Plc reste toujours coté à la Bourse de Londres. Ceci explique que les offres de la Fnac et de Conforama doivent être réalisées en livres sterling.

Il en résulte deux conséquences : la première est que les acheteurs devront respecter les règles de la London Stock Exchange (et pas celle de la bourse de Paris), mais surtout et plus problématique, la seconde est que le coût final de la transaction pourrait encore évoluer. Le 25 avril, la livre sterling s’échangeait à 1,285 euros. La question sera donc de savoir si l’acheteur devra couvrir le risque de change pour cette transaction ? Et si oui, à quel taux ? Ou de ne pas se couvrir en anticipant par exemple un possible Brexit après le vote du 23 juin qui conduirait peut-être à une baisse de la livre sterling. Mais là encore, les spéculations battent leur plein.

Une valorisation de Darty Plc qui dépasserait celle de la Fnac

Avec la troisième et dernière offre de la Fnac du lundi 25 avril 2016, Darty est désormais valorisé à 914 millions de livres sterling soit 1,17 milliard d’euros au cours du 25 avril et plus que la Fnac valorisée à 911 millions d’euros au 22 avril 2016.

La Fnac peut-elle se permettre d’acheter une société plus grosse qu’elle ? Certes l’acquisition permettrait au nouvel ensemble de devenir le n°5 en Europe (sur les 10 plus gros distributeurs de bien d’électronique grand public) en termes de chiffre d’affaires selon Metro Retail Compendium 2015/2016 et d’offrir un service client de grande qualité, notamment un service après-vente unique avec Darty. Le nouvel ensemble renforcerait sa stratégie multi canal avec les ventes en ligne de Mistergooddeal.com repris par Darty et vise à s’internationaliser davantage. En effet, en dehors de l’hexagone, Darty a une présence forte en Belgique et aux Pays-Bas, mais dans le contexte actuel très concurrentiel et difficile, ce coût est-il supportable ?

Même si Vivendi est entré au capital de la Fnac (15 %) en souscrivant à l’augmentation de capital réservée de 159 millions d’euros et apporte son soutien à l’opération, cela ne suffira pas à financer l’acquisition. Bien que la Fnac propose également d’échanger une partie des actions de Darty Plc contre de nouvelles actions Fnac (25 actions Darty pour 1 nouvelle action Fnac), les actionnaires privilégieront sans doute l’apport en liquidités.

La structure financière de la Fnac est certes très saine à présent avec une trésorerie nette positive (endettement déduit) de 544 millions d’euros et des capitaux propres à hauteur de 564 millions d’euros (selon la présentation des résultats annuels le 18 février 2016), mais cette acquisition risque de remettre en cause les débuts prometteurs de la Fnac, présidée par Alexandre Bompard depuis 2011 et cotée depuis le 20 juin 2013 sur l’Euronext, Paris.

La santé financière de Darty Plc reste fragile

Alors que la Fnac affiche des résultats financiers en progression : un résultat net de 47,8 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 3,8 milliards d’euros pour son dernier exercice clos le 31 décembre 2015 et une structure financière sans aucun endettement financier, le groupe Darty est loin de présenter le même tableau. Lorsque l’on regarde les derniers comptes publiés par le groupe Darty Plc, clos le 30 avril 2015, on remarque rapidement que la situation financière du groupe reste fragile.

Avec 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le résultat net n’est que de 13,8 millions d’euros. Sur l’exercice précédent, clos le 30 avril 2014, le groupe affichait un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros et une perte de 6,6 millions d’euros. Plus inquiétant, les capitaux propres du groupe sont négatifs à hauteur de 323,9 millions d’euros au 30 avril 2015 et ils le sont depuis plusieurs années : capitaux propres négatifs de 252,9 millions en 2013 puis encore négatifs de 316,9 millions en 2014. Une situation qui ne serait pas acceptée en France.

Enfin, le groupe présente un endettement financier net (dettes financières moins trésorerie active) qui s’élève à 223,8 millions d’euros. Les comptes 2015/2016 ne sont pas encore publiés alors que l’offre de la Fnac a été relevée, mais il y a peu de chances que les capitaux propres redeviennent positifs par magie ! Aucune surprise donc que les actionnaires de référence de Darty Plc détenant 22,11 % aient apporté leur soutien à cette dernière offre de la Fnac.

La Fnac ne s’est-elle pas laissée entraînée dans une course dangereuse ? Si Darty était une affaire prometteuse, pourquoi les deux actionnaires principaux de Darty : Steinhoff Finance holding Gmbh et Knight Vinke Asset Management LLC qui détiennent respectivement 20,4 % et 20,19 % du capital de Darty Plc n’ont-ils pas voulu recapitaliser Darty Plc ? Au vu des incertitudes portant sur le coût final de la transaction libellée en livres sterling, de la situation financière actuelle de Darty avec ses capitaux propres très négatifs qui risque de peser fortement sur les capitaux propres du nouveau groupe et d’entraîner un endettement massif du nouvel ensemble, le relèvement de l’offre nous semble vraiment risqué.

The Conversation

Isabelle Chaboud, Professeur d’analyse financière, d’audit et de risk management, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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