À ceux qui, reclus sur une île sans radio web ou télévision, sans boîte aux lettres dégoulinante de prospectus, n’auraient pas connaissance de l’actualité commerciale de la semaine, il faut le crier haut et fort : aujourd’hui c’est le Black Friday ! Étrange nom de code d’une contre-attaque de l’empire marketing dans une période de l’année atone entre la rentrée scolaire qui n’est plus et Noël à venir. Que cache cette étrange expression dont la couleur sombre inquiéterait plus au premier abord qu’elle ne réjouirait ? Qu’en est-il au juste de la pratique du Black Friday en France ? Quels sont les pour et les contre ? Autant de questions qui amènent à se pencher sur un phénomène tout droit venu des États-Unis.
Les origines du Black Friday
Le Black Friday trouve ses origines au XIXe siècle, date à laquelle la grande dépression américaine faisait des ravages et incitait les magasins à trouver des parades aux ventes en berne. Il est réellement apparu comme un phénomène commercial dans les années 70 aux États-Unis, prenant la forme d’une grande braderie, aux promotions agressives et aux prix vraiment cassés (au moins 50 % de réduction), qu’organisent les grandes chaînes de distribution sur une durée très courte.
Son nom tient d’une part au jour consacré à cette opération, le vendredi qui suit la fête de Thanksgiving (traditionnellement organisée le dernier jeudi de novembre), d’autre part à la couleur noire, couleur de l’encre qu’utilisaient les comptables dans les magasins pour marquer les bénéfices réalisés. Sur ce dernier point, l’interprétation du terme « black » est sujette à d’autres interprétations comme celle d’un terme utilisé par la police de Philadelphie dès les années 50 pour évoquer les foules dans les rues et les bouchons de circulation créés par l’opération commerciale.
Un dispositif performant
L’actuelle mise en œuvre du Black Friday s’étend sur une période de 3 à 4 jours plus que sur la seule journée du vendredi 24 novembre. L’opération a un retentissement conséquent sur les achats pour Noël, et les annonceurs prolongent l’événement pour surfer sur le Cyber Monday programmé le 27 novembre. Dans cette période élargie, des records de vente semblent être battus chaque année avec des chiffres dépassant les 7 milliards de dollars aux USA et 5 milliards d’euros en Europe, dont 850 millions pour la France sur le seul canal du e-commerce. Les chiffres existants restent toutefois à considérer avec prudence, tant les périmètres de mesure (période et circuits de distribution concernés) peuvent créer une confusion dans l’interprétation des données disponibles.
Dans l’hexagone, le Black Friday est récent, initialement introduit par Amazon en 2014 et repris par mimétisme tant par les sociétés de e-commerce que par les grandes chaînes de distribution en mal de dispositifs massifs de promotion. Le marché répond avec dynamisme à cette nouvelle sollicitation commerciale et semble privilégier l’approche connectée.
Selon l’entreprise Kwanko spécialiste de la publicité digitale à la performance (contribuant à plus de 400 000 commandes en ligne et 30 millions d’euros de ventes), 47 % des transactions sont effectuées depuis un ordinateur, 24 % depuis une tablette et 29 % par un téléphone mobile, ce dernier outil semblant prendre une part croissante au fil des ans.
Le point de vue de la recherche en marketing
L’intérêt des consommateurs, notamment Américains exposés depuis des dizaines d’années à cette opération, semble relever du rituel de consommation, une activité symbolique traduite par un comportement à échéance fixe et appelé à être répété dans le temps. Le rituel devient alors l’objet déclencheur de l’acte d’achat. Il inclut une dimension personnelle ou collective notamment au travers d’attachements familiaux ou amicaux à cette journée.
Le Black Friday implique également une véritable stratégie de planification en phase pré-achat, marquant l’implication et le degré d’expérience attendu. Il s’entend comme un acte émotionnel fort et peut développer l’esprit de compétition pour bénéficier de l’aubaine. Les consommateurs attendent alors de cette expérience la joie d’une consommation favorisée par l’esprit de fête (Thanksgiving et Noël). Ils attendent également un bénéfice plus rationnel qu’est celui de l’achat à prix raisonné.
En France, la recherche dans ce domaine est peu développée. On peut toutefois supposer que le bénéfice rationnel prend le dessus sur celui du plaisir de consommation, généralement moins présent dans la culture individuelle. La croissance actuelle des ventes s’explique par l’hyperexposition aux sollicitations médiatiques et publicitaires. La question est posée de l’intérêt dans la durée pour un événement par trop calqué sur un contexte culturel différent du nôtre.
Les mouvements de protestation
Si le black Friday est générateur de ventes, il cristallise également les critiques. Certaines chaînes de distribution aux USA comme REI (spécialisé dans l’outdoor) ont par exemple décidé de stopper leur participation à l’événement pour témoigner de l’impact négatif de la consommation excessive sur l’environnement. Les reproches sont également formulés par les mouvements consuméristes contre les excès de consommation en tous genres qui exacerbent les inégalités sociales. Reviennent souvent également les aspects néfastes de l’esprit de compétition entre les consommateurs évoqués précédemment et les comportements induits : comportements violents, destructeurs et anti-sociaux.
Même les spécialistes du marketing s’interrogent sur la pertinence du dispositif dans un contexte où les offres se multiplient (ventes privées, anniversaires, etc.) et où les possibilités de bonnes affaires sont permanentes pour le consommateur. Pour les chaines de distribution physiques, le Black Friday maintient la guerre des prix à un moment où l’enjeu consiste plutôt à essayer de renouveler l’expérience client et d’innover dans ce domaine. L’impact stratégique peut donc être discuté.
La confusion des genres
Au-delà de l’intérêt propre de l’opération, la multiplication de ces événements présente le risque de leur banalisation : Single Day (en Chine), Black Friday et Cyber Monday pourraient par exemple voir leur influence diminuer dans le temps. Et l’adaptation des concepts ne facilite pas la tâche.
Cette année, le Black Friday est devenu ainsi la Black Week ou la Black Friday Week. Demain verra-t-on le mois Black Friday ? Autant de questions qui se posent tandis que l’opération reste un succès commercial réel et annonciateur de fortes ventes pour Noël.
Benoit Aubert, Directeur ICD Paris, Propedia
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.