Point-de-vue. « Nous autres, civilisations, savons que nous sommes mortelles ». Paul Valery.
Bien sûr, ce postulat serait juste dans la mesure où l’on considèrerait une discontinuité entre les civilisations égyptienne, grecque, romaine et occidentale dans l’acception Européenne.
Je nuancerai cette assertion, car en fait, plus que de civilisations successives, il s’agit d’effondrements d’empires politiques connaissant des phases d’ascension, d’apogée et d’écroulement.
Les acquis se transmettent et rien ne se perd vraiment en passant d’une hégémonie à une autre. Ce qui fait une civilisation tient à un socle de valeurs célébrées par une société à un moment donné de l’histoire et dans une région donnée.
L’émancipation de l’Homme
A l’évidence existent plusieurs civilisations qui se côtoient, coopèrent parfois, s’affrontent trop souvent. Quels sont les socles de valeurs de la civilisation européenne, notre civilisation dont nul ne conteste qu’elle soit menacée ?
Produit du judéo-christianisme, puis de la raison, des Lumières, du républicanisme et des apports des doctrines socialistes, elle célébra l’émancipation de l’homme, la liberté de pensée et de mode de vie, l’individu et ses choix, l’homonomie par opposition à l’hétéronomie ou, plus simplement énoncé, le fait que la loi vient des hommes et non des dieux.
Ces évidences échappent à nombre de contemporains qui ignorent qu’il n’en a pas toujours été ainsi et que tous les peuples n’ont pas la chance de vivre selon ces principes. Ce n’est ni toujours, ni partout que la raison prévaut sur l’obscurantisme, l’humain sur les mythes, la liberté sur la soumission, l’individu sur le dogme.
Comment défendre ces valeurs ?
Non pas en vénérant le passé, en mettant nos principes fondamentaux dans un musée où chacun serait invité à s’incliner devant les œuvres parachevées, mais en dépassant, en amplifiant, en enrichissant, en subvertissant les acquis de notre civilisation.
Aux Droits de l’Homme, à la démocratie, à la liberté individuelle de mode de vie, aux acquis sociaux, nous devons ajouter sans cesse, élargir le cercle de l’empathie, élever le degré de conscience et non régresser, capituler, relativiser et adopter des attitudes de pénitents.
Ne regrettons rien
Peut-être, me dira-t-on, tout se vaut et notre civilisation ne méritait pas mieux que d’autres ? Je répondrai qu’à défaut d’être meilleure, la civilisation européenne, fille du christianisme mais aussi de Rousseau, Voltaire, Diderot, Marc, Feuerbach, Bakounine, Darwin et Kropotkine, fut la nôtre et que personnellement je n’en connais pas d’autres dans lesquelles je préférerais vivre.
Ne boudons pas nos acquis. Ne regrettons rien car qui aurait honnêtement envie de vivre en un autre temps et sous d’autres cieux ?
Va-t-on regretter l’Inquisition, la peste noire, les guerres et les pillages de la soldatesques, la peur des dieux et des brigands, les famines et les épidémies, la lapidation de la femme adultère et la mise à mort des homosexuels, le culte imposé et la criminalisation de l’apostasie, l’égorgement de l’infidèle et le fouet pour les blasphémateurs ?
Ceux qui prônent le relativisme civilisationnel souffrent-ils d’ignorance ou de fanatisme masochiste de la repentance ?
Défendre notre civilisation implique de la féconder en reconnaissant avec les droits humains, ceux des animaux et de la nature et la prévalence de la vie et de la liberté sur le profit et l’économisme avilissant.
Deux périls menacent notre civilisation.
Un retour du religieux dans le politique et l’exploitation forcenée par le libéralisme économique. Aussi, je parle de la civilisation européenne déjà au passé. Elle s’effondre puisque l’argent s’est substitué à l’humanisme, que la seule liberté effective est celle de spéculer, que les Etats sont au service des lobbies, que tous les nobles principes moraux affichés masquent un système corrompu, putride, violent, décadent.
Non pas que la religion pose en elle-même un problème.
Il est légitime que l’humain confronté à sa finitude trouve une consolation à son angoisse existentielle. Mais, le fait religieux doit demeurer une éthique purement individuelle et ne pas accéder au champ politique. La religion peut régir la vie d’un adepte pas la société car les autres individus n’ont rien à faire des dogmes.
C’est ce qui sépare irrémédiablement notre civilisation de la civilisation islamique soumise à la charia.
La loi d’airain
L’intégrisme religieux conduit au totalitarisme liberticide car le croyant fanatisé ne se contente pas de croire. Il veut imposer à tous les injonctions de sa doctrine. Il est prêt à se battre non pas pour préserver sa propre liberté, ce qui serait légitime, mais pour priver autrui de la liberté de vivre autrement.
Quant au libéralisme économique, il soumet l’humain et l’ensemble de la nature à la loi d’airain du profit provoquant une dégradation morale de l’homme et un massacre définitif et total de la biosphère.
Inculquant une addiction à la cupidité, le libéralisme économique génère cette détérioration éthique par un égoïsme absolu. Illustrons notre propos par un exemple édifiant :
Un journal télévisé interroge une passante sur sa vision de la grève des cheminots. Sans mesurer l’abjection de sa réponse, l’interlocutrice s’étonne : « Pourquoi protestent-ils contre la suppression de leur statut, puisqu’ils ne sont pas personnellement affectés et que seuls les nouveaux salariés recrutés seront précarisés » ?
Traduction : comment peut-on se préoccuper du sort d’autrui et d’autres intérêts que des siens ?
Voilà la culture du temps : « devenez milliardaires et ne vous occupez surtout pas du reste ». Alors, la civilisation des droits humains, de la raison et de la liberté va-t-elle s’effondrer ?
Va-t-elle surmonter ces deux périls et effectuant une mutation féconde accéder au biocentrisme c’est-à-dire à la sacralisation du vivant ?
Rappelons que le sacré est ce qui mérite sacrifice et que pour nous deux valeurs sont dignes de sacralisation : la vie et la liberté de pensée, d’expression et de mode de vie.
Pendant longtemps, une option s’offrait entre changer ou conserver le monde.
Aujourd’hui, l’impératif est de le sauver en le changeant.
Le sauver pour la beauté de la nature, l’amour de la biodiversité, pour le bonheur d’être, le génie de la langue, le raffinement des mœurs, le respect de toute vulnérabilité.
Proclamons la civilisation en danger.
Gérard CHAROLLOIS
CONVENTION VIE ET NATURE
Une force pour le vivant