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De la punition à la protestation : une histoire du tatouage

Sarah Wood, University of York

tatouage
la technique du tatoutage (Photo credit: TattooArteBTU via Visualhunt / CC BY)

À travers le monde, des millions de gens de cultures, d’origines et de classes sociales différentes ornent leur corps de tatouages. Au-delà de son intérêt esthétique, l’histoire de cette forme d’expression graphique révèle les multiples fonctions du tatouage, tour à tour instrument de discrimination, de distinction et d’anticonformisme. La France est à ce titre un cas d’école qui permet d’observer combien le tatouage a évolué au fil du temps.

Dès le XVIe siècle, les explorateurs français partent à la rencontre de peuples aux pratiques corporelles très différentes, du Pacifique Sud au continent américain. Ces derniers sont à leurs yeux des peuples « primitifs », hors de la « civilisation » ; leurs tatouages renforcent ce point de vue. Mais les marins y puisent l’inspiration et commencent à se faire tatouer. À la fin du XIXe siècle, la pratique se répand dans toute l’Europe.

La fleur-de lys : une marque d’infamie.
James Stencilowsky/Flickr, CC BY

Dès 1832, les autorités françaises commencent à utiliser le tatouage pour marquer la peau des criminels d’un code d’identification. Avant cette date, on les marquait d’une fleur de lys au fer rouge.

Le tatouage (au fer rouge ou à l’aiguille) marque visiblement la soumission des hors-la-loi à l’autorité. Mais il s’agit aussi d’une violation de leur intégrité physique. Dans la religion catholique, les marques corporelles sont condamnées, car vues comme une forme de paganisme, comme que le souligne Jane Caplan. Quand l’aiguille pénètre la chair du criminel, elle laisse symboliquement s’échapper ce qui reste de sain et d’inviolable en lui. La marque au fer rouge punit le corps, tandis que l’aiguille punit l’âme.

Le tatouage comme rébellion

Cependant, quand les criminels ont commencé à se tatouer entre eux, ils se sont approprié la pratique et en ont modifié la signification. La réputation sulfureuse du tatouage, déjà associé à la déviance, s’est encore renforcée avec les hommes des colonies pénitentiaires et des prisons militaires, qui l’appréciaient particulièrement.

Mauvais garçons : Portraits de tatoués (1890-1930) par Pierrat et Guillon.

Dans leur livre de photos, Jérôme Pierrat et Éric Guillon montrent comment le tatouage s’est érigé en instrument de rébellion contre les « gens respectables » par le biais des « mauvais garçons » des milieux interlopes, à la fin du XIXe siècle.

Certains d’entre eux, séduisants en diable, rencontrent un grand succès populaire – en témoignent le succès du légionnaire tatoué de la chanson d’Edith Piaf ou de l’autobiographie fantaisiste que « Papillon », ancien bagnard, de son vrai nom Henri Charrière, publia en 1969. Le surnom du protagoniste (« papillon ») lui venait évidemment du lépidoptère tatoué sur sa poitrine, emblème d’espoir et de liberté pour ce prisonnier qui rêvait d’évasion.

Depuis lors, les individus et les communautés ont continué à utiliser encre et aiguilles comme des moyens de provoquer le scandale tout en exprimant leur sensibilité artistique.

Tatouage et solidarité

Les tatouages servent autant à proclamer son individualité qu’à montrer son appartenance à un groupe. Des bikers aux régiments militaires, toutes sortes de communautés en font usage pour renforcer leurs liens.

Mais le tatouage dit aussi quelque chose de la frontière entre soi et le reste du monde. D’aucuns y voient même le symbole du mystère de l’intériorité porté à la surface du corps, comme Juliet Fleming, pour qui il est « ce démon intime à la fois expulsé et tenu prisonnier dans les limites du sujet. »

Une interprétation qui prend tout son sens à la lumière du projet « Point-Virgule » (Projet Semicolon) dans les pays anglo-saxons, où un tatouage représentant ce signe de ponctuation est devenu le symbole de la solidarité envers tous ceux qui souffrent de dépression et de pensées suicidaires.

Ses détracteurs qualifient cette campagne de mode passagère, popularisée par les réseaux sociaux, qui n’aiderait en rien ceux qu’elle prétend soutenir ; d’autres y voient une forme de prosélytisme catholique.

Certes, le projet « Point-Virgule » est devenu un phénomène viral sur Twitter, mais il n’a rien de superficiel pour autant. Comme les tatoués d’antan, ceux qui se lancent aujourd’hui le font parce qu’ils se sentent mis au ban de la société – dans ce cas précis, à cause de la maladie mentale. De cette particularité, ils ont fait un symbole d’intégration, de communication et de créativité. Le point-virgule devient pour eux une « marque » choisie, une arme de communication, et une déclaration d’espoir commune.

Comme on le voit en convoquant le passé, le tatouage s’inscrit profondément dans la chaire de l’histoire moderne. Aujourd’hui, il questionne notre vision de la beauté et notre sens de l’appartenance. Mais peut-être faut-il le voir avant tout comme un effort tangible et visible pour résister à toutes ces tentatives de discipline et de contrôle dont le corps fait l’objet.

The Conversation

Sarah Wood, Lecturer in Imperial and Postcolonial History, University of York

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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