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Les capteurs de demain seront-il tatoués ?

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Un tatouage électronique, ça vous tente ?
Angello Lopez / Unsplash, CC BY-SA

Cécile Floer, Université de Lorraine; Omar Elmazria, Université de Lorraine et Sami Hage-Ali, Université de Lorraine

Dans nos sociétés modernes, la connaissance en continu des paramètres du corps humain pourrait devenir un besoin. Qu’il s’agisse d’une utilisation dans le domaine biomédical ou dans celui du sport ou du bien-être, les objets connectés qui surveillent les paramètres corporels font partie d’un marché en pleine croissance estimé à plusieurs milliards de dollars. Cependant, la présence de fils, de bracelets et/ou de connectiques est inconfortable et empêche les utilisateurs de porter en permanence ces objets connectés.

Ainsi, un nouveau champ a émergé : celui de l’électronique sur peau, à savoir une nouvelle classe de dispositifs électroniques qui sont « tatoués » sur la peau de manière transparente (c’est-à-dire adaptés mécaniquement), et qui peuvent s’étirer, se plier, se tordre ou se conformer à n’importe quelle forme.

L’électronique épidermique souffre cependant encore de quelques limitations. En effet, elle nécessite généralement l’utilisation d’électrodes et d’interconnexions peu commodes pour la mesure des différents paramètres (température, déformation, humidité, activité électrique du cerveau ou des muscles). Par ailleurs, la mise en œuvre de batteries et de systèmes de radiocommunications émetteurs-récepteurs dans des formats miniatures est extrêmement difficile.

Un nouveau dispositif miniature

Dans ce contexte, les dispositifs à base d’ondes élastiques de surface, aussi appelés dispositifs SAW (capteurs à ondes acoustiques de surface), sont particulièrement pertinents. Ils sont constitués d’un matériau piézoélectrique (substrat) surmonté d’électrodes métalliques. Par définition de la piézoélectricité, l’application d’un champ électrique au niveau des électrodes permet de déformer le matériau (et réciproquement). La propagation de cette déformation en surface du matériau piézoélectrique est ainsi à l’origine de l’onde élastique de surface.

Nous connaissons généralement les dispositifs SAW pour leur utilisation en tant que filtres dans les systèmes électroniques pour les communications mobiles ou les radars, mais leur champ d’application est bien plus vaste. En effet, leur sensibilité à certaines perturbations extérieures offre des perspectives intéressantes quant à leur utilisation en tant que capteur. Par conséquent, les dispositifs SAW sont de plus en plus utilisés comme capteurs pour une grande variété de paramètres : le gaz, la pression, le champ magnétique, la température, la déformation, les radiations… Les capteurs à base de SAW présentent l’avantage d’être entièrement passifs (sans batterie) et peuvent être interrogés à distance (sans fil).

L’avenir de ces dispositifs dans le domaine des capteurs communicants est donc prometteur. Seule la présence du boîtier (« packaging »), qui permet la protection mécanique et chimique des électrodes reste une limitation. En effet, il pose un réel problème d’encombrement (plusieurs millimètres d’épaisseur), limite la souplesse mécanique du dispositif et éloigne le capteur de sa cible, ici la peau.

Mesurer la température à 0,1℃ près

Ce constat nous amène à envisager un type d’hétérostructures acoustiques encore peu connu : les structures de type waveguiding layer acoustic waves (WLAW), qu’il est possible de traduire par « structures à ondes guidées ». Constituées d’un empilement de trois matériaux, elles sont obtenues en ajoutant deux couches supplémentaires sur le substrat piézoélectrique du dispositif SAW. Le matériau central est caractérisé par une vitesse acoustique significativement plus faible que celles des matériaux périphériques. Ainsi, l’onde élastique, générée par les électrodes au contact du matériau piézoélectrique, est majoritairement confinée au sein du matériau central. Ce fonctionnement s’apparente à celui de la fibre optique où l’association de matériaux aux propriétés optiques différentes (indice de réfraction) permet de piéger la lumière en son sein. Une onde de type WLAW n’est pas impactée par les phénomènes de surface, mais reste sensible aux perturbations se propageant dans le volume, par exemple la température.

Représentation d’un capteur SAW sans fil et ultrasouple placé sur la peau.
Cécile Floer, Author provided

Les structures WLAW permettent donc de lever le verrou technologique constitué par les boîtiers de protection en autorisant la miniaturisation à l’extrême et permettent ainsi d’étendre significativement l’utilisation des capteurs à ondes élastiques sans fil. En effet, le capteur peut ainsi être placé au plus près du point de mesure envisagée. À titre d’exemple, la structure tri-couches composée de nitrure d’aluminium (AlN), d’oxyde de zinc (ZnO) et de niobate de lithium (LiNbO3) a permis de démontrer le confinement de l’onde en son sein (sous réserve de certaines conditions sur les épaisseurs des matériaux) ainsi que sa sensibilité en température, et par conséquent son intérêt en tant que capteur de température. La détection d’une variation de fréquence de 10kHz pourrait donner une mesure en température avec une sensibilité de 0,1 °C.

Plus encore, dans l’environnement du corps humain, concevoir et réaliser des capteurs sans fil à haute fréquence implique de prendre en compte une importante quantité de pertes. Le corps humain, constitué à plus de 70 % d’eau, provoque des pertes de propagation élevées pour les ondes radioélectriques. Il est alors essentiel de réaliser des antennes compactes avec une intensité de rayonnement élevée afin d’alimenter convenablement le capteur. Elles sont obtenues à l’aide de la technique de « transfer printing » qui permet de reporter des métallisations épaisses sur un support souple tel un élastomère. Plus précisément, ce procédé consiste à réaliser le motif des antennes (métallisation de cuivre ou d’or) sur un support rigide, à le décoller à l’aide d’un ruban adhésif soluble puis à le replacer sur un élastomère aux propriétés élastiques similaires à celles de la peau. Le motif peut ainsi accommoder jusqu’à 25 % de déformation.

La connexion de ces deux éléments essentiels, à savoir la structure WLAW autoprotégée capable de détecter une variation de température et l’antenne étirable sur élastomère, permet d’obtenir un capteur de température sans fil « tatoué » sur la peau puisque son épaisseur est seulement de quelques centaines de micromètres.

Le capteur de température ultrafin n’est que la première étape d’un projet plus vaste qui vise la réalisation de capteurs multifonctionnels. En effet, la donnée en température servira de référence pour d’autres grandeurs mesurables. A terme une industrialisation pourra être envisagée afin de produire ces petits objets connectés sans fil et étirables à grande échelle.The Conversation

Cécile Floer, Doctorante, Université de Lorraine; Omar Elmazria, Professeur à l’Université de Lorraine, Université de Lorraine et Sami Hage-Ali, Enseignant chercheur, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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