« C’est le portrait d’une adolescente et de cette génération », confie le réalisateur Stéphane Demoustier, qui a tourné un film captivant avec une jeune débutante formidable, Mélissa Guers, et sa sœur Anaïs en ambitieuse avocate générale.
Une famille sur la plage, tranquille, jusqu’à l’arrivée de gendarmes qui arrêtent Lise, la fille aînée. C’est la scène d’ouverture de « La fille au bracelet » (sortie le 12 février), un film de Stéphane Demoustier (qui avait réalisé « Terre battue » et « Allons enfants »). On retrouve Lise deux ans plus tard, avec un bracelet électronique à la cheville ; outre qu’il la gêne pour jouer au foot avec son petit frère, ce bracelet lui rappelle qu’elle est en liberté surveillée, accusée du meurtre d’une autre jeune fille, Flora ; elles étaient les meilleures amies.
Vient le temps du procès de Lise, 17 ans au moment des faits, « une fille ordinaire », petite nana qui reste enfermée dans son silence, sans émotions, froide, silencieuse, cible de l’avocate générale jouée par l’actrice Anaïs Demoustier (sœur du réalisateur), et qui laisse désemparés ses parents incarnés par Roschdy Zem et Chiara Mastroianni. « Je trouvais qu’ils allaient bien ensemble », précise Stéphane Demoustier, « Dans la catégorie des acteurs de son âge, Roschdy sort du lot, il dégage une épaisseur, une maturité, il ne fait pas jeune qui a vieilli, il fait vraiment homme mature. Avec Chiara Mastroianni le couple marchait bien, je trouve que c’est une actrice qui a des failles et j’aime bien ces failles, j’avais envie de les voir ensemble ».
Bien construit, très bien interprété, notamment par la jeune actrice Mélissa Guers qui interprète Lise, « La fille au bracelet » est un film captivant. Placés dans la position des jurés, les spectateurs sont accrochés et suivent le déroulement du procès, les témoignages, les faits, les analyses, qui font pencher alternativement la balance de la justice dans un sens ou un autre. Habilement, Stéphane Demoustier en sauvegarde l’ambiguïté jusqu’à la fin.
Rencontre avec Stéphane Demoustier, lors de l’avant-première de « La fille au bracelet », au Caméo à Nancy.
Stéphane Demoustier : « Les adolescents sont un continent inconnu »
Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce sujet, cette histoire ?
Stéphane Demoustier : La thématique de la famille m’intéresse, avec la grande question : est-ce qu’on connait ou pas ses propres enfants, jusqu’où on est prêt à les aimer ? Un procès permet de formaliser toutes ces questions qui sont exacerbées ; c’est un moyen de raconter la famille, la manière dont une génération a du mal à comprendre la génération d’après, les adolescents sont un continent inconnu, mystérieux. Après j’aime bien les films de procès, il y a la dramaturgie des audiences, de l’issue du procès, ça structure le film, on peut y mettre la matière qui nous intéresse.
C’est aussi un film sur l’adolescence, avec ce que dit l’avocate de la jeune fille : que savons-nous des ados de 16-17 ans ?
Le film est le portrait d’une adolescente, je ne voulais pas faire un film à charge sur la génération des adultes qui ne comprendraient pas les autres, sur la génération des adolescents qui seraient dépravés. Je voulais simplement montrer que parfois c’est deux continents qui ont du mal à se parler ou à se comprendre, je ne pense pas qu’il y ait une génération qui a raison et l’autre qui a tort. Je ne pense pas non plus que les adolescents soient différents de nous, ce sont les mêmes ressorts humains, à chaque génération c’est la même chose. Par contre, ce qu’on n’avait pas c’est qu’ils ont les réseaux sociaux, ça appartient à cette jeunesse-là et peut affecter leur manière de vivre, leur adolescence, leur sociabilité naissante, et ça peut décupler la violence. C’est un film de procès mais je ne voulais juger personne, ça m’intéressait de faire un portrait en creux de cette génération.
« La fille au bracelet » est en partie un film de prétoire, qui est un genre cinématographique, vous aviez de grands exemples en tête ?
Oui, j’avais de grands exemples inaccessibles, mais il faut regarder vers le haut. J’aime beaucoup « Le procès de Jeanne d’Arc » de Bresson, c’est une référence esthétique, avec la grâce que peut avoir le personnage, une forme de sobriété, une frontalité parfois dans la manière de scruter les visages. Il y a aussi « Le procès de Viviane Amsalem » de Ronit Elkabetz, dans ce film on ne sort jamais du tribunal et pourtant on ne s’ennuie jamais, ça me confortait dans l’idée que si le procès est bien relaté, on s’y intéresse et on tient le spectateur en haleine, c’est un film qui m’avait conforté dans ma confiance dans le projet. Il y avait aussi tout ce que je ne voulais pas faire, nous spectateurs on est prisonniers de plein de représentations, on en a vu tellement, c’est pour ça que j’ai voulu une salle de tribunal contemporaine, je voulais sortir de l’imagerie des boiseries. Je voulais que ce soit un film contemporain dans un décor contemporain, et faire un petit pas de côté par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir dans les films de procès.
« J’ai vraiment vu Mélissa devenir actrice »
Et vous avez donc tourné au Palais de Justice de Nantes, conçu par Jean Nouvel, avec son architecture remarquable…
Oui, il est très beau, impressionnant, il a un côté très massif et en même temps très graphique, on pourrait croire que c’est un musée d’art contemporain. Et à l’intérieur, il est très épuré, il y a ces murs rouges, cette couleur omniprésente qui crée une atmosphère. Le fait de jouer dans un vrai tribunal, ça galvanisait les acteurs, et même ça les impressionnait, ça agissait sur tous, le film se jouait là.
Comment avez-vous trouvé Mélissa Guers, qui incarne le personnage principal, et qui est formidable dans son tout premier rôle ?
Elle est super, quand on préparait le film on se disait qu’il serait réussi si l’actrice est bien, mais après il fallait la trouver, un rôle comme celui-là était l’occasion d’aller chercher quelqu’un, le plaisir de découvrir un visage. J’ai eu de la chance, je l’ai trouvée assez vite, elle a répondu à une annonce. Elle n’avait jamais joué, jamais tourné, mais elle est d’une génération qui a l’habitude de se filmer. Elle avait quelque chose d’intuitif, et sur le tournage je l’ai vraiment vue devenir actrice. Au début, de jouer un truc aussi pesant, ça la minait, ça la consumait, elle s’identifiait parfaitement à son personnage ; on a tourné en deux fois au tribunal, et quand on est revenu, j’ai vu qu’elle avait compris, elle avait toujours la même vérité pendant les prises, mais entre les prises elle arrivait à sortir de son personnage, à s’en détacher. Elle est bien dans tous les rushes, elle est tout le temps juste, elle a une intensité que les autres n’avaient pas, c’était la seule qui supportait les silences dans le casting, il fallait que son mutisme crée du mystère et pas seulement l’opacité, elle a vraiment ça, elle a des silences habités, une intensité.
Lors du procès, son personnage est effectivement une jeune fille fermée, silencieuse, sans émotions, ce qui laisse planer le mystère sur sa culpabilité ou non…
C’est une fille qui ne se conforme jamais à l’attitude qu’on attend d’une accusée, elle devrait avoir l’air contrite ou révoltée, que sais-je, elle n’est pas du tout là-dedans, elle est dans un mutisme qui peut être déroutant. C’est vraiment un film sur l’interprétation, donc on peut interpréter son silence de plein de manières. C’est un film sur la croyance et le doute, à un procès en Cour d’assises où il n’y a pas de preuve, on n’aura jamais accès à la vérité primaire donc la vérité judiciaire n’empêche pas le doute, et après il y a la vérité intime de chacun, le film joue là-dessus, j’ai tout écrit volontairement en entretenant les deux, la croyance et le doute. Mélissa m’a demandé si son personnage est coupable ou innocente, pour savoir ce qu’elle devait jouer, je lui ai dit à toi de choisir, mais tu ne me le dis pas, ça ne lui appartient qu’à elle.
« Avoir ma sœur sur le plateau, c’était très réconfortant »
Et vous, quelle est votre intime conviction ?
J’ai envie qu’elle soit innocente. Tous les juristes disent que le doute doit bénéficier à l’accusé et il y a trop d’éléments de doute pour qu’elle soit condamnée. La justice adapte souvent son verdict en fonction du ressort que quelqu’un a ou non pour s’en sortir dans la vie, je pense qu’elle a du ressort cette fille, donc je n’ai pas envie qu’elle soit incarcérée, je veux croire qu’elle est innocente et j’ai envie qu’elle soit libre.
Dès l’écriture, vous aviez prévu de ne pas révéler le fin mot de l’affaire ?
Souvent dans les films de procès, on accède à la preuve suprême, mais là c’est vraiment l’expérience d’un procès d’assises où il n’y a pas de preuve irréfutable, je voulais respecter ça. Si les jurés n’ont pas accès à des éléments tangibles qui permettent d’affirmer si elle est coupable ou innocente, nous spectateurs, qui sommes quasiment dans la position d’un juré, on n’y aura pas accès non plus. Je voulais aussi qu’il y ait un autre enjeu pour le père, savoir qui est sa fille et accepter qui elle est, je voulais que le film de procès se double d’une autre épaisseur.
Vous avez donné le rôle de l’avocate générale à votre sœur Anaïs, dans un personnage un peu garce…
Complètement. Je ne l’avais pas écrit pour elle, mais pour un homme beaucoup plus vieux qui aurait me disais-je la prestance de la fonction, et en allant au tribunal de Bobigny j’ai vu que c’était souvent des jeunes substituts de trente ans à peine qui avaient cette fonction, parce qu’il y a une crise de la profession. C’était intéressant le contraste entre cette jeunesse et l’enjeu, parce qu’elle est là pour porter la voix de la société et porter la charge. Anaïs a souvent joué des rôles un peu solaires, lumineux, des personnages bienveillants, ça m’intéressait de lui proposer un rôle d’une fille ambitieuse, jusqu’au-boutiste, parfois un peu de mauvaise foi pour influencer les jurés, ça m’amusait et ça l’amusait aussi de jouer ça. Le fait d’avoir ma sœur sur le plateau, c’était très réconfortant, et bien que ce soit ma sœur et que je la connais par cœur, elle m’a impressionnée comme actrice. Je l’admire presque comme un fan mais là je voyais le stradivarius, la précision, l’acuité, l’intelligence qu’elle a dans sa compréhension du rôle, c’était un bonheur. J’adorerais refaire des trucs avec elle, et elle aussi, j’espère qu’on va le faire, on filme bien ceux qu’on aime.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« La fille au bracelet », un film de Stéphane Demoustier, avec Mélissa Guers, Roschdy Zem, Anaïs Demoustier et Chiara Mastroianni (sortie le 12 février).