Avec un paysan qui récite des vers dans son poulailler, le premier film de la jeune réalisatrice Mélanie Auffret est une comédie rurale tendrement naïve.
Ils sont fous, ces Bretons. Raymond, par exemple, un fermier qui parle à ses poules ; plus que leur parler, il leur fait la lecture, pour les remercier d’avoir bien travaillé, bien pondu. Que de grands textes, de grandes pièces, du Molière, de l’Edmond Rostand, il leur lit des vers, et elles l’écoutent, ou font semblant, surtout Roxane, sa préférée, évidemment prénommée comme la désirée de « Cyrano de Bergerac ».
C’est donc elle l’héroïne de « Roxane » (sortie le 12 juin), film de la jeune réalisatrice Mélanie Auffret, repérée par un producteur grâce à un court-métrage intitulé « Sois heureuse ma poule ». Logiquement, c’est du côté de Corlay, dans les Côtes d’Armor, où ses grands-parents étaient agriculteurs, qu’elle a tourné son premier long-métrage. Pas cabot, la poule accepte d’en partager l’affiche avec un acteur, Breton lui aussi, le si sympathique Guillaume de Tonquédec qui incarne donc Raymond, paysan qui aime ses bêtes et le théâtre.
Raymond se trouve fort dépourvu lorsque la coopérative qui prenait sa production décide de ne plus acheter ses œufs à bon prix, préférant ceux d’un concurrent voisin qui fait « du bio intensif ». C’est la faillite annoncée, la vente forcée de ses chers gallinacés. « On va trouver une solution », assure son épouse attentionnée (jouée par Léa Drucker), brave femme à l’optimisme à toute épreuve, employée à l’agence locale du Crédit Agricole.
Une situation dramatique évoquée avec justesse
Pour sauver sa ferme, Raymond décide de « faire le buzz ». Puisqu’il aime déclamer des vers en secret, assis sur des bottes de paille, sa Roxane posée sur son épaule, avec ses poules pondeuses élevées en plein air pour seul public, il va mettre ses cocottes sur YouTube. Il y a bien des éleveurs qui mettent de la musique à leurs vaches, pourquoi pas de la poésie à des poulettes. Aidé par Wendy (Kate Duchêne), une voisine anglaise avec qui il avait plutôt des relations « tendues » jusqu’alors, il travaille son élocution, crayon dans la bouche. Coaché par la British Castafiore, Raymond enregistre des vidéos qu’il espère virales, déclamant de grandes scènes en direct-live depuis le poulailler.
La détresse du monde paysan, le jeune cinéaste Hubert Charuel en avait fait un drame percutant, « Petit paysan », tourné en Haute-Marne. A l’autre bout de la France, l’encore plus jeune Mélanie Auffret en fait une comédie populaire, bien ancrée dans la Bretagne d’aujourd’hui, bourrée de références locales (l’En avant de Guingamp, le Festival des Vieilles Charrues…). Bien sûr, elle n’évite pas quelques clichés, les sabots s’enfoncent parfois un peu lourdement, mais elle a surtout beaucoup de tendresse pour ses personnages, et montre un monde et des gens qu’elle connait.
Aussi naïve que soit cette histoire de terroir, elle évoque avec justesse la situation actuelle de l’agriculture et de l’élevage, jusqu’à la tentative de suicide du beau-frère (joué Lionel Abelanski). Et « Roxane » montre ainsi qu’il faudrait pas prendre les ploucs (le mot est d’origine bretonne) pour des canards sauvages.
Patrick TARDIT
« Roxane », un film de Mélanie Auffret, avec Guillaume de Tonquédec et Léa Drucker (sortie le 12 juin).