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Romain Cogitore nous embarque vers « L’autre continent »

« Le cinéma vous envoie dans le monde », confie le cinéaste originaire d’Alsace, qui a tourné une poétique histoire d’amour avec Déborah François et Paul Hamy.

« C’est une histoire d’amour, mais on s’interroge sur la limite de l’amour », confie l’actrice Déborah François.
« C’est une histoire d’amour, mais on s’interroge sur la limite de l’amour », confie l’actrice Déborah François.

C’était presque en voisin, depuis la Vallée de Munster et son Alsace natale, que Romain Cogitore était venu aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer présenter son film « L’autre continent » (sortie le 5 juin). S’il avait tourné dans les Vosges son premier long-métrage, « Nos résistances », c’est à la fois à Taïwan et Strasbourg qu’il a filmé celui-ci. Un film « parfois torride, parfois glacé et glaçant », dit-il, inspiré d’une histoire que lui a raconté une jeune femme.

Déborah François incarne ainsi Maria, trentenaire qui s’expatrie à Taïwan, où elle est guide pour touristes ; elle y rencontre un autre guide, Olivier, joué par Paul Hamy, mec un peu bizarre et encore plus polyglotte qu’elle. Ils tombent amoureux, elle tombe enceinte, il tombe malade. Rapatrié en France, Olivier est hospitalisé à Strasbourg, frôle la mort et survit par miracles. Mais c’est désormais le désordre dans son cerveau jusqu’alors si bien rangé, il n’est plus le même homme aimé de Maria.

« J’ai pleuré plusieurs fois en lisant le scénario », confie Déborah François, qui avait accompagné Romain Cogitore à Gérardmer. « C’est une histoire d’amour, mais on s’interroge sur la limite de l’amour, jusqu’où on peut accepter ou pas, l’amour n’est jamais inconditionnel. Je pense que oui, il y a des limites à l’amour, il y a un côté tellement destructeur », ajoute l’actrice, lumineuse fille du Nord dans la lumière chaude de Taïwan. « Elle a une beauté qui n’est pas celle d’un mannequin aseptisé, et elle a une énergie particulière, c’est une combattante », dit le réalisateur, « Et Paul a ce côté lunaire, enfantin par moments, c’est un enfant de huit ans dans un corps de géant ».

Avec ce joli film qu’il a imaginé comme un kaléidoscope, Romain Cogitore nous embarque vers un « Autre continent », un monde imaginaire et poétique, esthétique et onirique. Un récit bouleversant sur la fragilité des êtres et des sentiments. « Pour moi, l’histoire est réelle à 90%, et les personnages sont de la fiction à 80% », dit-il. Interview.

« Pour moi, c’est important de pouvoir tourner en région »

Le personnage féminin de votre film écrit un roman, cette histoire a-t-elle été réellement racontée dans un livre ?

Romain Cogitore : En fait, ça fait partie de la fiction, ça me permettait d’inscrire une trajectoire, de donner un début, un milieu, une fin, parce que la réalité nous saute dessus, avec un enchaînement souvent illogique. C’est quelque chose de propre au mélo aussi, le personnage doit se débattre contre quelque chose qui est plus grand que lui, qui le dépasse. Pour moi, le roman permettait de donner des jalons, et rattacher des événements à ce qu’elle arrive à faire ou pas, ça permet aussi de mesurer la façon dont elle grandit en tant que personnage, et finalement, ce qu’elle se dit à la fin : c’est plus important de vivre quelque chose de fort et éventuellement l’écrire, plutôt que de chercher à écrire à tout prix et de passer à côté de sa vie.

Romain Cogitore : « On est six garçons, et on a grandi sur une montagne des Vosges, dans une ancienne ferme, on partait dans la forêt, on avait nos cabanes, nos histoires… ».
Romain Cogitore : « On est six garçons, et on a grandi sur une montagne des Vosges, dans une ancienne ferme, on partait dans la forêt, on avait nos cabanes, nos histoires… ».

On sent dans votre film une recherche de mise en images, et d’une forme esthétique, avec de la bizarrerie, des séquences fragmentées…

La photo c’était ma première passion, et là c’était une façon de pouvoir être dans la photographie et en même temps de continuer à faire du cinéma. L’absence de récit, ou les possibilités de récit en photographie étant limitées, c’est quelque chose qui me manquerait, et le cinéma m’attire au final beaucoup plus, parce qu’il y a le récit, les personnages, le mouvement, et la musique. C’est aussi une excuse pour découvrir le monde, j’aurai tendance comme le personnage de Maria au début à être beaucoup devant mon ordinateur, et à se demander quelle histoire il faut écrire, et au bout d’un moment le cinéma vous envoie dans le monde, soudain il y a une bouffée de vie, d’inspiration, de rencontres. Il y a quelque chose qui peut être frustrant au cinéma, il y a l’aventure du tournage, où il se passe énormément de choses, des rencontres, des émotions, qui ne sont pas dans le film, on les vit réellement, elles sont quelque part un peu dans les rushes, et au moment du montage, on réduit souvent le film à ce qu’était son projet de scénario, et tout le reste disparait.

Il y a un véritable ancrage régional dans votre cinéma, c’est par choix délibéré ou pour obtenir l’aide de la Région Grand-Est ?

Mon premier film, Nos Résistances, était très ancré avec ce que j’avais vécu, des forêts que je connaissais, cela avait un sens de tourner dans ma région, il a été tourné dans les Vosges en 2009. La Région, Alsace et ensuite Grand Est, m’a soutenu très tôt, depuis 2005-2006 ; j’avais fait mes premiers courts-métrages en autodidacte et en autofinancement, et très vite ils m’ont soutenu tout au long de mes projets. Sur des films comme ça qui sont des films d’auteur modestes, le fait d’avoir ses proches, sa famille, des soutiens locaux, ça permet quand même d’avoir plus d’aide dans des moments difficiles, ça facilite les choses, et pour moi c’est important de pouvoir tourner en région.

« On a passé notre enfance à s’inventer des histoires »

Est-ce que vous collaborez avec votre frère Clément, qui est également réalisateur (« Ni le ciel ni la terre ») et artiste contemporain, ou menez-vous chacun vos projets de votre côté ?

On collabore quand on peut, j’ai collaboré sur une de ses créations, « L’intervalle de résonance », lui a collaboré sur le scénario de mon prochain film qui s’appelle « Une zone à défendre ». Lui est très occupé, il fait beaucoup de choses en même temps, cinéma, opéra, moi je suis très occupé aussi, on a des recherches qui ne se croisent pas toujours , dès qu’on peut on collabore, je pense qu’on fera encore beaucoup de choses ensemble, les occasions ne se présentent pas si souvent.

Quel est le sujet de votre film « Une zone à défendre » ?

C’est inspiré d’histoires vraies qui se sont passées en Angleterre, où des policiers infiltraient le milieu écolo-militant, leur mission finie ils allaient au Kenya et on n’entendait plus parler d’eux. Là c’est l’histoire d’un flic qui vient sur une zone, comme Notre-Dame-des-Landes, qui a une mission à accomplir, qui part et se rend compte deux ans plus tard qu’une jeune militante a eu un enfant de lui. Il se met à apprécier de plus en plus ce petit et cette femme, et il faut qu’il donne à sa hiérarchie des raisons de rester sur la zone, c’est lui qui se met à manigancer les choses pour qu’il y ait une présence policière nécessaire. Il se retrouve pris dans un étau, entre le désir et le devoir, c’est quelque chose de romanesque, un peu mélodramatique. On est en train de finir le scénario avec Catherine Paillé et Thomas Bidegain.

Comment expliquez-vous que dans la famille Cogitore, vous soyez plusieurs à être artistes, réalisateur, créateur, photographe… ?

On est six garçons, Clément est l’aîné, je suis le deuxième, et on a grandi sur une montagne des Vosges, dans une ancienne ferme, on jouait toujours à trois ou quatre, on partait dans la forêt, on avait nos cabanes, nos histoires… C’est une vraie forêt, avec des marécages, des rochers, le ruisseau, ça ouvre la porte à beaucoup d’histoires et à l’imagination, on a passé notre enfance à s’inventer des histoires les uns avec les autres. Quand on grandi aux milieux des feux de sorcière, des entrées de terrier, on se demandait vraiment où il pourrait y avoir un lutin, on était dans un imaginaire très ancré dans la nature, qui est quelque chose qui me travaille. J’avais une passion de la photo, mais c’est vraiment une continuation du jeu d’enfants, de se dire qu’on va faire des films, du théâtre, de la photo, de la musique, ça permettait de se relier au monde. Mon troisième frère Baptiste est auteur et journaliste, il fait de la photo aussi, et mon cinquième frère est rédacteur en publicité et fait aussi de la photo.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« L’autre continent », un film de Romain Cogitore, avec Déborah François et Paul Hamy (sortie le 5 juin).

C’est à Taïwan que se rencontrent Olivier et Maria (joués par Paul Hamy et Déborah François) : ils tombent amoureux, elle tombe enceinte, il tombe malade.
C’est à Taïwan que se rencontrent Olivier et Maria (joués par Paul Hamy et Déborah François) : ils tombent amoureux, elle tombe enceinte, il tombe malade.
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