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« Le chant du loup » et l’oreille d’or

« C’est une tragédie grecque dans un sous-marin nucléaire », confie le réalisateur Antonin Baudry, qui embarque les spectateurs dans un thriller géopolitique, avec un casting quatre étoiles. Rencontre avec l’équipe du film.

Avec ce film spectaculaire, Antonin Baudry plonge le public dans le huis-clos d’un sous-marin nucléaire, où l’analyste « oreille d’or » est chargé d’écouter la mer.
Avec ce film spectaculaire, Antonin Baudry plonge le public dans le huis-clos d’un sous-marin nucléaire, où l’analyste « oreille d’or » est chargé d’écouter la mer.

« Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui sont en mer ». C’est carrément avec une citation d’Aristote que débute le film d’Antonin Baudry, « Le chant du loup » (sortie le 20 février). Cette citation précède une formidable séquence d’ouverture, dans laquelle un sous-marin militaire français doit récupérer un commando de nageurs de combat, près des côtes syriennes. Mission accomplie.

Mission accomplie également pour Antonin Baudry, qui crée et maintient le suspense dès les premières minutes de son premier film en tant que réalisateur. Ancien diplomate et ancien conseiller de Dominique de Villepin, il avait raconté son expérience politique dans « Quai d’Orsay », une bédé dessinée par Christophe Blain, formidablement adaptée ensuite au cinéma par Bertrand Tavernier.

Ce sont « ceux qui sont en mer » les personnages du « Chant du loup », expression des sous-mariniers pour un danger potentiel repéré par sonar. Dans ce film, sans pareil dans le cinéma français, Omar Sy, Reda Kateb, Mathieu Kassovitz, sont capitaine, commandant, amiral de la Marine nationale ; et François Civil est une « oreille d’or », un analyste, surdoué du son, qui écoute la mer, casque sur les oreilles, et identifie tout ce qui peut bien bouger autour du sous-marin.

« J’étais vraiment intéressé par ce personnage qui essaie de percevoir l’imperceptible, d’entendre l’inaudible, c’était une dimension qui m’intéressait », précise Antonin Baudry, « L’autre dimension, c’est la question de la décision, notamment le commandant, l’amiral, qui se retrouvent à plusieurs moments du film dans une situation de solitude devant une décision, et de conflits entre l’intuition et le savoir, le devoir et l’amitié, la confiance et l’obéissance à une mission ou une hiérarchie ».

Car, pris dans un « engrenage fatal », deux sous-marins français, « L’Effroyable » et « Le Titane », vont se menacer l’un l’autre. Après une alerte majeure menaçant la France, le sous-marin nucléaire a pour mission de se « diluer », disparaître dans l’océan, puis de lancer une frappe stratégique, expédier un missile vers la Russie. L’ordre donné par le président, plus personne ne peut l’annuler, même s’il s’agit d’une fausse alerte ; les marins devront se sacrifier ou s’entre-tuer.

Antonin Baudry embarque les spectateurs dans un thriller géopolitique, un film spectaculaire, captivant, avec un casting quatre étoiles, des acteurs à l’efficacité militaire, et un suspens stressant. Certes, c’est aussi un film oppressant, à déconseiller aux claustrophobes ; bien plus qu’un film de sous-marin, c’est un drame en huis-clos inquiétant, que ne rassure pas la devise des sous-marins nucléaires : « Invisible et silencieux, je porte la mort ».

Rencontre avec une partie de l’équipe du film, au Shangri-La à Paris.

Antonin Baudry : « Quand le président a donné l’ordre de tir, il n’y a pas de retour possible »

« Ce qui est le plus frappant dans un sous-marin, c’est la promiscuité, vous êtes enfermé avec 70 personnes dans une boîte, forcément ça crée une sorte de pression », confie le réalisateur Antonin Baudry.
« Ce qui est le plus frappant dans un sous-marin, c’est la promiscuité, vous êtes enfermé avec 70 personnes dans une boîte, forcément ça crée une sorte de pression », confie le réalisateur Antonin Baudry.

Vous avez plongé à plusieurs reprises pour la préparation du « Chant du loup » ?

Antonin Baudry : Pour écrire le film, j’ai passé une dizaine de jours sous l’eau, ce qui est le plus frappant, c’est la promiscuité, vous êtes enfermé avec 70 personnes dans une boîte, forcément ça crée une sorte de pression, de cocotte-minute. En même temps, ça crée aussi beaucoup d’intimité, et ce phénomène qu’on vit aussi un peu sur un plateau de tournage, à partir du moment où est tous les uns avec les autres tout le temps, et en plus avec une situation de danger en l’occurrence.

D’où vient cette expression, « Le chant du loup » ?

Le chant du loup, c’est à la fois comme une sirène et comme un appel. J’avais embarqué dans un sous-marin, à la fois exercice et mission, une sirène lointaine a retenti, j’ai vu que tout le monde se crispait un peu en entendant ça, et j’ai entendu quelqu’un qui disait c’est le chant du loup, ça m’a tout de suite plu cette expression. Effectivement, c’est le nom qu’on donne souvent à des sonars ennemis, il y a la notion de danger.

Lorsque vous avez imaginé ce sujet, est-ce que vous étiez déjà informé des procédures dans les sous-marins nucléaires ?

J’ai voulu être au plus proche du réel, ce sont des sujets graves sur lesquels on ne peut pas tricher, j’ai voulu aller au bout de ma conviction, que ce que je racontais pouvait arriver demain, ou pouvait être arrivé hier sans qu’on s’en soit rendu compte. C’est une fiction, je ne prétends pas que c’est arrivé, mais je pense que les mécanismes sont réels, c’est aussi pour ça que j’ai voulu garder le langage particulier que parlent les sous-mariniers entre eux, je n’ai pas du tout voulu édulcorer, traduire, changer. J’ai voulu vraiment qu’on soit avec eux, que le spectateur vive cette chose très étonnante que j’ai vécue la première fois que j’ai été dans un sous-marin, qui est à la fois de ne rien comprendre et de tout comprendre.

Lorsque vous étiez diplomate, aviez-vous entendu parler de ce type d’incident, plutôt inquiétant ?

En fait, on vous explique toujours comment marche un système sans faille, et je suis toujours en train de me demander où est la faille. Les systèmes sans faille, ça n’existe pas. Au fur et à mesure, je commençais à écrire une histoire où il y avait une faille du dispositif qui se faisait voir ; j’ai écrit, poussé par l’intuition, mais ça rejoint mes convictions aussi, dans ce monde de procédures, de protocoles, de machines, qui peut nous entrainer dans des catastrophes, c’est finalement l’humain, la confiance, l’amour, l’innocence, les liens de confiance qu’il y a entre plusieurs personnes, qui peuvent sauver les choses. On vit dans un monde où l’arme nucléaire existe, ce serait vraiment un mensonge de dire qu’il y a des systèmes sans failles, personne ne dit ça.

Une fois que l’ordre présidentiel a été donné, il n’y a vraiment pas de contrordre possible ?

Et bien non. La doctrine de la dissuasion, c’est de faire en sorte qu’aucun ennemi ne puisse attaquer le pays, en l’occurrence la France, sans se prendre des dommages inacceptables en retour. L’idée, c’est que quand le président de la République a donné l’ordre de tir, il n’y a pas de retour possible, ça n’existe tout simplement pas.

Donc, une crise nucléaire grave est potentiellement possible ?

Pour moi, le film est une tragédie grecque dans un sous-marin nucléaire, avec cet enjeu aujourd’hui de la destruction de l’humanité par elle-même ou pas, est-ce que la dissuasion nucléaire amène la paix ou pas ? Un commandant de sous-marin m’a dit un jour un truc assez fort : dans un monde dessiné par nos enfants, nous n’avons évidemment pas notre place, mais dans un monde hérité de nos parents, il est préférable que nous soyons là. C’est comme ça qu’ils envisagent leur mission, ça parle de cette possibilité de l’homme de se détruire, de ce système qui paradoxalement amène la paix, ou en tout cas l’a amenée pendant 70 ans, nul ne peut pas prévoir l’avenir. Toutes les conditions sont réunies pour avoir la tragédie humaine par excellence, ce conflit entre l’humain et le devoir.

Comment avez-vous composé votre casting ?

Il fallait de très grands comédiens pour pouvoir incarner les émotions de personnes qui sont tout le temps dans la retenue et la sobriété. Les gens qu’on dépeignait, ce sont des héros de l’ombre, des héros inconnus, qui se sacrifient sans même que leurs familles ne soient au courant, ce ne sont pas des gens qui vont s’épancher ni montrer leurs sentiments. D’autre part, il fallait aussi composer un équipage, j’avais envie d’avoir des comédiens avec leur propre parfum, très divers, tout en s’assemblant les uns avec les autres.

François Civil : « C’est sur l’intuition humaine qu’on prend les décisions les plus cruciales »

« C’est un personnage qui a un don, une hyper-sensibilité auditive
François Civil : « C’est un personnage qui a un don, une hyper-sensibilité auditive ».

Pour incarner son personnage, François Civil a rencontré de véritables « oreilles d’or », qui lui ont parlé de leur drôle de métier : « Je voulais savoir ce que ça faisait dans leur vie, ils n’appréhendent pas le monde et l’environnement comme nous, quand ils sont en mission évidemment, mais aussi dans leur vie quotidienne », confie l’acteur, « C’est un personnage qui a un don, une hyper-sensibilité auditive, ça en fait le meilleur dans son métier, mais ça isole, ça marginalise, ça le rend plus fragile, plus proche de ses émotions et de ses sens que les autres membres de l’équipage ».

« On est dans un monde de plus en plus technologique, et dans un sous-marin a fortiori, et pourtant les décisions les plus cruciales c’est sur l’intuition humaine qu’on les prend », dit François Civil, « Il y a un vernis autour de ce film, un côté film d’action, film d’aventure, mais l’ambition première d’Antonin c’est de faire un film sur une bande d’hommes et sur leur relation, et il n’a jamais perdu ce cap-là de tout le tournage ».

Reda Kateb : « Dans un sous-marin, tout le monde est soi-même »

Reda Kateb : « Antonin Baudry tenait à ce que dans nos préparations on puisse tous plonger dans un vrai sous-marin ».
Reda Kateb : « Antonin Baudry tenait à ce que dans nos préparations on puisse tous plonger dans un vrai sous-marin ».

« Au sens propre comme au figuré, on s’est tous immergés », dit Reda Kateb, « Antonin Baudry tenait à ce que dans nos préparations on puisse tous plonger dans un vrai sous-marin, avant même qu’on se rencontre les uns les autres, et on a eu cette chance. J’ai pu plonger dans un SMLE, un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, celui qui porte les missiles nucléaires, qui est beaucoup plus grand et qui a une toute autre ambiance que le sous-marin d’attaque, qui est plus petit et dans lequel il y a une atmosphère de bateau-pirate », ajoute l’acteur, qui joue un commandant courageux.

« J’ai ressenti le passage de confiance de la part des sous-mariniers, leurs propres familles ne savent pas réellement concrètement comment ils vivent quand ils partent en mission, pour eux c’était très important qu’un film comme le nôtre puisse montrer leur métier très peu raconté. Ils nous ont accueillis avec à la fois bienveillance, confiance, beaucoup de générosité dans toutes les questions qu’on pouvait poser, c’était la première étape de la préparation », raconte Reda Kateb, « Ensuite on a eu des cours sur la détection, et pour comprendre un peu mieux la langue étrangère dans laquelle on parle dans le film. De jouer dans cette langue très technique, ça a aidé à soutenir une posture qui est celle des gens qu’on a rencontrés, qui vivent vraiment dévoués à leur mission. Dans un sous-marin, tout le monde est soi-même, personne ne porte un masque en vivant les uns sur les autres pendant des mois ».

Mathieu Kassovitz : « Il y a énormément d’humanité chez les militaires »

« Bien sûr que j’ai changé d’avis sur le métier de militaire », assure Mathieu Kassovitz, qui avait collaboré avec le GIGN lorsqu’il avait réalisé « L’ordre et la morale » (film sur l’assaut meurtrier de la Grotte d’Ouvéa), joue un espion dans « Le bureau des légendes », et incarne carrément un amiral dans « Le chant du loup » ! « Je suis devenu malgré moi un spécialiste de l’armée, j’en suis très content, très fier, parce que j’ai découvert en travaillant sur ces sujets-là que, à l’inverse de ce qu’on imagine quand on est comme moi un pacifiste, anarchiste, fumeur de joints, il y a énormément d’humanité chez les militaires », dit l’acteur, « Il y a un sentiment de groupe humain et de capacité à se protéger, à faire attention à l’autre, à se donner confiance, à être capable de mettre sa vie dans les mains d’un autre, un groupe qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Les sous-mariniers ne sont pas des militaires comme on les imagine, aux ordres absolus, ce sont des philosophes, ils peuvent perdre leur vie, on leur demande une confiance totale et aveugle en des systèmes qui ne sont pas 100% fiables, il y a une sensation métaphysique ».

« La réalité, c’est qu’on est dans une menace permanente », estime Mathieu Kassovitz, « Quand on voit le travail que font les gens de la sécurité, de la DGSE, quand il n’y a pas d’attentat à Paris, ce n’est pas qu’il ne s’est rien passé autour, au contraire, c’est que les gens ont travaillé pour s’assurer que tout se passe bien. La dissuasion nucléaire, cela fait 70 ans qu’elle assure au quotidien qu’il n’y ait pas de guerre, et les sous-marins sont la pièce maîtresse de cette dissuasion, car c’est la seule arme qui n’est pas localisable ».

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Le chant du loup », un film de Antonin Baudry, avec François Civil, Omar Sy, Mathieu Kassovitz, et Reda Kateb (sortie le 20 février).

« Les sous-marins sont la pièce maîtresse de la dissuasion nucléaire, car c’est la seule arme qui n’est pas localisable », dit Mathieu Kassovitz (ici avec Omar Sy), qui incarne un amiral.
« Les sous-marins sont la pièce maîtresse de la dissuasion nucléaire, car c’est la seule arme qui n’est pas localisable », dit Mathieu Kassovitz (ici avec Omar Sy), qui incarne un amiral.
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