En opposant le romantisme au racisme, le beau film de Barry Jenkins est un drame qui déchire le cœur.
Bizarrement, Barry Jenkins est le premier cinéaste américain à adapter le roman de son compatriote James Baldwin, « Si Beale Street pouvait parler » (sortie le 30 janvier). Le cinéaste français Robert Guédiguian avait transposé cette histoire en France avec « A la place du cœur » ; Barry Jenkins a choisi quant à lui d’être « scrupuleusement fidèle au livre et à la vision du monde de Baldwin », son écrivain préféré.
Le réalisateur a donc reconstitué la vie dans cette rue de Harlem, dans les années 70 ; même si en fait, il s’agit d’une rue de La Nouvelle-Orleans où est née le blues : « Tous les Noirs nés en Amérique sont nés à Beale Street », écrivait James Baldwin. Publié en 1974, son livre est une œuvre emblématique pour la communauté noire américaine ; écrivain et activiste, James Baldwin a milité pour la défense des droits civiques, son combat a récemment été porté à l’écran dans l’excellent documentaire de Raoul Peck, « I’m not your negro ».
« C’est l’amour qui t’a mené jusqu’ici » est la citation du roman que préfère Barry Jenkins. Car le livre et le film sont d’abord une belle histoire d’amour, celui que se vouent depuis toujours Tish et Fonny, unis par le lien de ceux qui ont grandi ensemble et sont promis l’un à l’autre. Joués par Kiki Layne et Stephan James (qui a incarné l’athlète Jesse Owens dans « La couleur de la victoire »), Tish et Fonny sont jeunes et beaux, et veulent logiquement se marier, d’autant que la douce jeune fille est enceinte.
Une belle romance qui « réunit l’intime et le politique »
La séquence de leur toute première nuit est remarquable de sensibilité, tout comme est réjouissante la grande et belle scène de l’annonce de la grossesse aux deux familles. Mais tant de bonheur est balayé par l’irruption de malheurs : Fonny est injustement accusé de viol, par le bon vouloir et la petite vengeance d’un flic blanc, haineux et raciste. Les familles se mobilisent pour tenter de le faire sortir de prison, où il s’enfonce peu à peu ; sa belle-mère (jouée par Regina King) va même jusqu’à Porto-Rico pour tenter de faire revenir l’accusatrice à la raison.
Avec « Moonlight », mélodrame sur comment être noir et homosexuel, Barry Jenkins avait reçu l’Oscar du meilleur film ; « Si Beale Street pouvait parler » a obtenu trois nominations aux prochains Oscars, dont une pour l’actrice Regina King, qui a déjà reçu le Golden Globe du meilleur second rôle. Bien plus que la simple dénonciation d’un racisme bête et méchant, ce long-métrage est un récit habile, qui évoque bien sûr la colère et la rage, plus ou moins contenues, un superbe film qui nous enserre puis déchire le cœur. Barry Jenkins parvient ainsi à « réunir l’intime et le politique », une romance avec la violence et l’injustice, en opposant le romantisme au racisme, en racontant un drame avec esthétisme, démontrant comment le rêve américain s’évapore.
Patrick TARDIT
« Si Beale Street pouvait parler », un film de Barry Jenkins (sortie le 30 janvier).