« J’ai une vision assez positive de la nature humaine », confie Jean-Paul Rouve, réalisateur d’une attachante chronique familiale, qu’il joue avec Ludivine Sagnier et José Garcia.
Lorsqu’on lui demande de citer un défaut, Lola répond : « J’ai deux frères ». Finalement, elle les range aussi au rayon qualité, cette Lola jouée par Ludivine Sagnier, dans le film de Jean-Paul Rouve, « Lola et ses frères » (sortie le 28 novembre), les deux frangins en question étant incarnés par Rouve et José Garcia.
Après avoir adapté un roman de David Foenkinos, « Les souvenirs », Jean-Paul Rouve collabore à nouveau avec le romancier pour ce scénario qu’ils ont co-écrit ensemble. Ils signent ainsi une attachante chronique familiale, avec ce trio de frères et sœur, chacun empêtrés dans leur vie : l’un se marie pour la troisième fois et va avoir un enfant, l’autre perd son boulot et s’efforce d’être un bon père, la dernière rencontre un nouvel amoureux (joué par Ramzy Bedia) mais ne pourra pas être mère.
Le tout est un mélange de grave et de léger, de moments de vie, de douleur et de douceur, de fragilité et d’amour fraternel inconditionnel. Rencontre avec les « frères », lors de l’avant-première à l’UGC Ciné-Cité de Ludres.
Jean-Paul Rouve : « On n’ose pas se dire les choses »
Est-ce qu’une des difficultés du film était de composer cette fratrie, d’autant que vous avez choisi d’en faire partie ?
Jean-Paul Rouve : Ce n’est pas une difficulté, il fallait que ce soit cohérent, d’abord ça a été José, ensuite Ludivine, ensuite je ne devais pas le jouer, c’était un autre comédien, je ne voulais pas jouer dedans parce que c’est compliqué de jouer et réaliser, c’est beaucoup de contraintes. J’ai très vite retiré de mon esprit qu’il y ait un lien physique entre les acteurs, je trouvais ça presque plus intéressant, je voulais qu’il y ait un lien psychologique, une façon d’être, de penser, une forme d’humour, de rythme de vie, de façon de parler, et de personnalité d’acteur, ce que dégage l’homme ou la femme.
Pourquoi avoir choisi Ludivine Sagnier dans le rôle de la petite sœur ?
C’est un personnage complexe parce qu’à la fois elle est touchée par ses frères, elle est fragile, il faut qu’elle soit tendre et douce, mais en même temps forte, parce que c’est un peu leur mère aussi, il me fallait une comédienne qui allie les deux, qui puisse passer de l’un à l’autre. J’ai vu beaucoup d’actrices, mais Ludivine avait ça, c’est indicible, c’était une évidence.
Est-ce qu’en faisant ce film, vous aviez en tête l’idée d’un certain cinéma français, à la Claude Sautet ?
Claude Sautet revient beaucoup, c’est une grande référence, j’ai l’impression qu’il est souvent cité par les metteurs en scène acteurs. Claude Sautet est le meilleur réalisateur pour filmer les acteurs, je pense que quand on est comédien on aime Claude Sautet aussi pour ça, il fait la part belle aux acteurs, il leur fait confiance, il leur donne un matériau et ensuite les acteurs peuvent en faire un peu ce qu’ils veulent, il y a une grande liberté dans le jeu. Je ne me compare surtout pas à Claude Sautet, c’est une référence.
A plusieurs reprises, vous utilisez des chansons, William Sheller, Jean-Jacques Goldman, Michel Fugain…, pour faire monter l’émotion, pourquoi ce choix ?
C’est très important pour moi, je n’aime pas dans les films quand il y a des chansons qui ne servent qu’à illustrer, comme des clips, ça m’ennuie, souvent ce sont des chansons en anglais dont les paroles n’ont aucun rapport avec ce qui se passe. Je prends soin de choisir les chansons par rapport au texte, par rapport à ce qui se passe, je voulais des chansons que les personnages puissent écouter, ce qui se dit dans les chansons est très important. J’ai même demandé que pour l’étranger les chansons soient sous-titrées, parce que ça raconte quelque chose, c’est très parlant.
Régulièrement, Lola et ses frères se retrouvent devant la tombe de leurs parents, pourquoi là ?
Chacun pense avoir pris le rôle des parents, mais finalement c’est la petite qui l’a pris. Ils vont au cimetière comme s’ils allaient déjeuner chez leurs parents le dimanche. On n’ose pas se dire les choses, donc on les dit à la tombe, ça nous plaisait avec David Foenkinos de parler de ça, les non-dits, la pudeur, de ne pas oser se parler.
On sent que ce sont des personnages que vous aimez bien…
J’ai une vision assez positive et parfois idéaliste de la nature humaine, et une vision assez optimiste de ce que les hommes font de leur nature, je trouve qu’ils on un matériau dément avec eux, et qu’ils ont bon fond en fait. Quelquefois, ils l’utilisent mal, je ne les juge pas, j’en fais partie, on fait plein d’erreurs, on fait bien, on fait mal, mais finalement je me dis qu’on fait ce qu’on peut avec ce qu’on doit gérer, la vie, les enfants, le travail, le temps qui passe, la mort, on se débat avec tout ça.
José Garcia : « Ce personnage est un bloc, ça m’a plu »
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce rôle ?
José Garcia : C’est un très beau cadeau que m’a fait Jean-Paul. Le cinéma d’auteur français est placé sur l’intime, et moi il me faut de la matière, j’aime bien me raconter, et le rôle que m’a offert Jean-Paul me permettait de me raconter plus facilement à travers ce personnage. Souvent, dans ce qu’on me propose, on est plus proche d’une sensibilité qui a à voir avec l’intimité, et là je ne suis pas bon, il y a des gens qui font ça dix fois mieux que moi. Le cinéma espagnol ou italien sont plus proches de ma nature latine, chez Jean-Paul c’est un film d’auteur qui n’oublie pas le public, il parle d’humanité avec une vraie sincérité, il ne projette pas sa manière de voir les gens normaux, de tous les jours, dans un univers psychologique qui serait un peu erroné. Nous qui venons d’un monde pas forcément très riche, on connaît cet espoir qui fait vivre les petites gens de tous les jours, c’est ça qui m’a touché. Je pouvais plus me raconter dans ce rôle-là que dans d’autres choses, ce type qui est tout en résistance, la solitude, c’est un truc qui m’a happé, qui m’a bouffé pendant le film, parce que ça a parlé à un moment très précis de ma vie, c’est sorti, je ne m’en suis même pas rendu compte.
Contrairement au bavard que vous êtes, ce personnage est plutôt un taiseux, qui intériorise, et cache des choses à ses frère et sœur…
Oui, c’est très agréable, on se met dans un rythme, c’est très agréable de ne pas être obligé de faire ce qu’on est en train de dire. Une fois qu’on a dit ce qu’on avait à dire dans la scène, il y a tout un espace qui est presque écrit avec de l’encre sympathique, qui permet de lire tout un travail, on peut y mettre beaucoup, c’est très rare. C’est un personnage qui est un bloc, ça m’a plu, c’est vraiment du granit, on a l’impression qu’il ne va jamais se déboulonner et en fait il craquelle, c’est très agréable à jouer.
Un mot sur Philippe Gildas, qui vient de nous quitter, et que vous avez bien connu sur le plateau de Nulle Part Ailleurs, à la grande époque de Canal+…
Chaque siècle a perdu des gens, on a l’impression qu’à chaque fois on perd un peu d’élégance, de raffinement, de professionnalisme, de bienveillance, on perd des gens qui vous rassurent d’une certaine manière, parce qu’on a l’impression qu’ils sont encore garants d’un certain savoir-vivre. J’adore une phrase de John Malkovich, qui disait que l’élégance c’est la manière dont on se comporte avec les gens tout au long de sa vie. Et s’il y a une phrase qui peut définir très bien Philippe Gildas, c’est ça, c’était un homme bienveillant et très professionnel.
Vous qui avez fait beaucoup de télé, est-ce que vous accepteriez de jouer une série ?
Oui, tout me plaît, tout m’intéresse ; surtout avec la qualité maintenant des séries, ça permet de raconter plein de choses qu’on ne peut pas raconter au cinéma. Au cinéma, il y a des gens qui ont été très fainéants sur le scénario, surtout en comédie, on se disait que les acteurs allaient suppléer au scénario. On se démène dans tous les sens, mais si le travail n’a pas été fait sur le scénario, il ne sera pas non plus fait sur le plateau, c’est un manque évident de travail. Je suis très heureux de ce qui est en train d’arriver avec les plateformes, car maintenant pour que les gens sortent de chez eux et aillent au cinéma, il va falloir leur raconter vraiment des histoires qui coûtent dix €uros.
Vous attachez de plus en plus d’importance aux histoires ?
L’investissement premier, c’est d’abord une histoire, un propos, un sujet. J’ai besoin à chaque fois de trouver des sujets différents de ce que j’ai joué, en comédie c’est de plus en plus complexe. Avant, pour deux films d’auteur, je faisais une comédie, j’ai été super gâté, avec Philippe Harel, Salvadori, Costa Gavras, Jean-Jacques Annaud… Maintenant, j’essaie d’attendre pour trouver des histoires dans lesquelles je peux m’exprimer ; avec le savoir-faire, je pourrais m’installer et faire deux ou trois blagues, ça je refuse.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Lola et ses frères », un film de Jean-Paul Rouve, avec Ludivine Sagnier et José Garcia (sortie le 28 novembre).