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Mathieu Sapin : « Rien n’est acquis en politique »

Premier film du dessinateur, « Le Poulain » est une comédie sur fond de campagne électorale, avec Alexandra Lamy et Finnegan Oldfield.

Finnegan Oldfield, Mathieu Sapin, et Alexandra Lamy, lors de l'avant-première du "Poulain" à Nancy.
Finnegan Oldfield, Mathieu Sapin, et Alexandra Lamy, lors de l’avant-première du « Poulain » à Nancy.

Ils sont nombreux désormais les dessinateurs de bédé qui passent au ciné. Après notamment Riad Sattouf (« Les beaux gosses »), Joann Sfar (« Gainsbourg »), Marjane Satrapi (« Persepolis »)… c’est le tour de Mathieu Sapin, qui a réalisé « Le Poulain », son premier long-métrage (sortie le 19 septembre). Le dessinateur a été sollicité pour porter à l’écran ce qu’il avait si bien croqué lors de ses reportages en bédé, dans les lieux de la politique et du pouvoir, « Campagne présidentielle » pour lequel il était « embarqué » avec l’équipe de François Hollande, puis « Le Château », celui de l’Elysée où il avait ensuite ses entrées.

« J’adore écrire des fictions et j’ai la chance d’avoir été un témoin privilégié », confiait Mathieu Sapin, lors de l’avant-première de son film à Nancy, à l’UGC et au Caméo, pendant l’opération Ciné-Cool. Le réalisateur-dessinateur y était accompagné de ses deux acteurs principaux, Alexandra Lamy et Finnegan Oldfield. L’actrice incarne une expérimentée « femme de pouvoir », directrice de la communication, et le jeune comédien joue son nouvel assistant, qui ne connaît rien à la politique mais va très vite apprendre.

« Une femme qui évolue dans un milieu d’hommes »

« Forcément, il y a de l’image, de la communication, c’est une femme qui évolue dans un milieu d’hommes, elle est aussi un peu dans la séduction, elle fait attention à elle, ce sont ses armes, il faut qu’elle avance, en tant que femme c’est difficile », dit Alexandra Lamy, ravie d’interpréter « une méchante ». « Oui, j’étais très heureuse que Mathieu me propose un rôle comme celui-là, dont je n’ai effectivement pas l’habitude, ça m’a énormément amusée de travailler ce personnage, mais je ne voulais pas de quelqu’un complètement antipathique, ce serait trop », assure l’actrice, qui suit la politique « comme tout le monde », ni plus ni moins. « Je trouve que ce n’est pas mon rôle d’en parler, ce n’est pas mon métier, je n’ai pas envie de rentrer là-dedans », estime Alexandra Lamy.

Certes, dans « Le Poulain », c’est une présidente de la République qui occupe l’Elysée, ce qui reste une fiction. Mais tout le reste est proche de la réalité, l’agitation hystérique d’une campagne, le côté théâtral de la politique, toujours en représentation, ses mensonges, manipulations, traîtrises… Récit d’apprentissage, c’est aussi « une comédie » de Mathieu Sapin, et effectivement c’est un film distrayant, même si la politique n’en sort pas grandie. Mais c’est bien la faute à la politique elle-même et pas au cinéma.

Patrick TARDIT

Mathieu Sapin : « L’instabilité fait partie de ce milieu »

Le néophyte joué par Finnegan Oldfield va tout apprendre en compagnie de la pro expérimentée, incarnée par Alexandra Lamy.
Le néophyte joué par Finnegan Oldfield va tout apprendre en compagnie de la pro expérimentée, incarnée par Alexandra Lamy.

C’est votre immersion dans l’équipe de campagne de François Hollande, puis à l’Elysée, qui vous a donné la matière première de ce film ?

Mathieu Sapin : Bien sûr, et pendant la préparation et l’écriture, je suis retourné sur les lieux du crime, à savoir sur la campagne 2017. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer ce qu’on ne voit pas dans la télé, tous les gens qui sont un peu en retrait. Avec Noé Debré, le co-scénariste, on voulait montrer que les gens dans ce milieu essaient de montrer qu’ils savent très bien ce qu’ils font, et qu’en réalité ils naviguent à vue, comme tout le monde. Ce qu’on ressent vraiment dans ce milieu, c’est que rien n’est acquis, les choses sont en perpétuel mouvement, il y a des retournements de situations, l’instabilité fait partie de ce milieu, et du coup survivent ceux qui ont une capacité d’adaptation. Pour arriver en haut de la pyramide, il faut faire des compromis.

Il y a un peu de votre vécu dans le personnage que joue Finnegan Oldfield ?

Oui, c’est sûr, plein de choses, mais ça reste romancé. J’étais entré dans ce milieu par le biais d’une campagne, c’est vrai qu’une campagne présidentielle c’est le moment où tout se catalyse, je trouvais que c’était un contexte idéal pour raconter une histoire avec des actions, des tensions, des enjeux. Il y a les enjeux du candidat qui veut être élu, mais à l’intérieur de son équipe, il y a tous les enjeux personnels de ceux qui veulent se placer, devenir ministres… C’était très important pour moi que le film soit rythmé, l’équipe d’un candidat n’a jamais le temps de se poser, de réfléchir, c’est un mouvement permanent.

Vous n’avez pas craint que votre scénario ne soit dépassé par la réalité, pendant cette campagne 2017 qui a bouleversé les choses ?

On s’en sort pas trop mal, on savait que cette campagne serait incertaine, j’ai suivi de près la campagne de 2017, je suis allé voir des meetings, pour éventuellement influencer le scénario, pour non pas être proche de la réalité mais pour construire un récit en parallèle, qui puisse résonner avec l’actualité. Bien sûr j’avais peur d’être dépassé, mais je voulais vraiment que ce soit une histoire indépendante, il fallait un récit à la fois crédible et faire gaffe à ne pas être trop proche de la réalité. Quand j’avais suivi la campagne de 2012, twitter était beaucoup moins présent, les chaînes d’info n’étaient pas aussi importantes que maintenant, en cinq ans le traitement n’était pas le même.

Mathieu Sapin : "j'ai la chance d'avoir été un témoin privilégié".
Mathieu Sapin : « j’ai la chance d’avoir été un témoin privilégié ».

Gilles Cohen, qui joue un candidat à la présidentielle, a une certaine ressemblance avec François Hollande…

Oui, c’est un rôle très difficile, de jouer un candidat comme ça, il faut qu’on y croit vraiment, et en même temps ce n’est pas le premier rôle, l’histoire n’est pas centrée sur lui. D’ailleurs, il a rencontré François Hollande pour préparer le rôle, pendant un déjeuner de travail, il lui a posé plein de questions sur l’état d’esprit, des questions techniques. Un peu comme Hollande, le personnage joué par Gilles, ce n’est pas lui qui devait forcément se retrouver candidat, c’est quelqu’un qui a des faiblesses et qui est poussé par son équipe, et à un moment donné ça craque.

Pourquoi avoir choisi Gaspard Gantzer, ancien responsable de communication de l’Elysée sous François Hollande, pour jouer un conseiller politique ?

J’ai fait un casting et les comédiens que je voyais je n’arrivais pas à y croire, je cherchais un conseiller politique qui soit très pro, avec une personnalité, pas la caricature du croque-mort impitoyable. En réfléchissant, je me disais qu’il fallait une espèce de Gaspard Gantzer, et à un moment donné je lui ai proposé. Il a lu le scénario et il a tout de suite dit OK ; ensuite, il a fait les choses très sérieusement, il a fait des essais, il a travaillé avec une coach, sur le plateau il a tout de suite compris comment ça fonctionne, il est très intelligent, et ça l’a beaucoup amusé.

« Le Poulain » a en commun avec « Quai d’Orsay », tiré d’une bédé et adapté au cinéma par Bertrand Tavernier, de parler de politique sur le ton de la comédie…

D’autant que la bédé est dessinée par Christophe Blain, qui est un de mes meilleurs potes, on travaille dans le même atelier. « Quai d’Orsay » est une œuvre que j’ai vu se faire, puisqu’on travaille l’un en face de l’autre, ça a ouvert une voie et ça a démontré qu’en France on peut parler politique de manière marrante, et en même temps fine et intelligente.

Pour votre livre « Gérard », vous avez aussi été en immersion avec Depardieu, maintenant que vous faites du cinéma, ça vous plairait de le diriger ?

Oui, bien sûr, j’adorerais, après il faut trouver un projet suffisamment original pour qu’il ait envie de le faire.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Le Poulain », un film de Mathieu Sapin, avec Alexandra Lamy et Finnegan Oldfield (sortie le 19 septembre).

Extrait des carnets de dessin de Mathieu Sapin : un croquis réalisé lors de l'interview, le journaliste de infodujour.fr est à droite.
Extrait des carnets de dessin de Mathieu Sapin : un croquis réalisé lors de l’interview, le journaliste d’infodujour.fr est à droite.
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