Lylette Lacôte-Gabrysiak, Université de Lorraine
Qu’est-ce qu’un best-seller ? Pour faire simple, si l’on s’en tient au dictionnaire Larousse, un best-seller est un « Livre à forte vente ; grand succès de librairie » ou un « Gros succès commercial ». Si l’on retient cette définition qui se limite à dire que c’est l’importance des ventes qui fait le best-seller, quels sont alors les gros succès de librairie de ces 30 dernières années ?
Notons rapidement que si les best-sellers existent depuis très longtemps, la production éditoriale générale a beaucoup évoluée de 1985 à 2015-2016. Au cours de cette période, pour les éditions en grand format, il y a beaucoup plus de titres produits (+267 %), un peu plus d’exemplaires produit (+46 %) mais moins d’exemplaires par titres (-59,6 %). Dans l’ensemble de la production éditoriale en 2015-2016, les livres de poche représentent environ 20 % de la production en titres comme en nombre d’exemplaires produits.
Les best-sellers ne sont pas tous des romans
Pour beaucoup, plus ou moins implicitement, un best-seller est un roman adulte. Pourtant, parmi les plus grosses ventes on trouve beaucoup de bande-dessinées, notamment à destination des enfants, par exemple Titeuf qui accumule les succès. On peut y ajouter d’autres séries qui visent un public plus large comme Largo Winch ou Blake et Mortimer. Et, bien sûr, le champion toutes catégories, qui explose les chiffres de ventes dès sa sortie : Astérix. On parle alors de millions d’exemplaires vendus en quelques mois. Aucun autre livre en France ne parvient à se vendre autant en aussi peu de temps.
La littérature jeunesse compte également de jolis succès. Là encore une série se détache, un succès mondial devenu depuis une quinzaine d’années totalement incontournable : Harry Potter. Au-delà du succès des romans, il faut bien sûr compter avec l’influence des films : l’entremêlement des parutions des romans et des sorties des films entraînant une véritable spirale de succès qui s’est étendue à de nombreux produits dérivés contribuant à transformer tout ce qui touche au petit sorcier en or. La nouvelle série des Animaux fantastiques (films et livres tirés du film) continue à prouver à quel point ce phénomène est puissant. Globalement, le cinéma, notamment à destination des enfants, a une forte influence sur les ventes des livres à condition que le film soit bon et ait rencontré le succès comme cela est le cas, par exemple, avec La Reine des neiges dont Disney a tiré pas moins de 317 titres de livres.
Les essais à succès : une question de thématique
Certains essais ont également connu un succès fulgurant, pour les plus anciens, il reste le souvenir des ventes d’Adieu Volodia de Simone Signoret, de Ma médecine naturelle de Rika Zaraï ou de Cent familles de Jean‑Luc Lahaye. D’autres titres liés à la présidence de la république se sont également fort bien vendus – sans commune mesure avec les autres livres politiques aux ventes souvent confidentielles.
Les livres de régime et leurs déclinaisons en livres de recettes de la méthode Montignac à la méthode Dukan ont également été des mannes pour leurs auteurs et leurs éditeurs. Il faut encore y ajouter quelques livres de médecins – dont Michel Cymes est l’exemple le plus récent – ainsi que le succès-surprise du Charme discret de l’intestin. En termes d’essais, les Français achètent donc ce qui a trait à leur président, à leur santé et à leur poids, raccourci quelque peu saisissant de nos communes préoccupations.
En des temps anciens, avant les smartphones, dictionnaires de poche, guides et plans des routes de France, sans oublier l’incontournable Quid, constituaient année après année des best-sellers récurrents. L’accès en quelques clics à Wikipédia et au GPS ont fait basculer hors des listes de meilleures ventes les ouvrages de cette catégorie.
Les « beaux livres » se vendent assez peu en général à l’exception de La Terre vue du Ciel de Yann-Arthus Bertrand et du livre de Thomas Pesquet, il est donc visiblement judicieux de prendre de la hauteur dans cette catégorie.
Enfin, une toute petite catégorie compte des succès notables : les livres d’humour, des Ta mère d’Arthur au Journal d’une connasse.
Côté romans, des lecteurs fidèles à leurs auteurs préférés
Évidemment, les romans adultes représentent plus de la moitié des best-sellers sur l’ensemble de la période (près de 75 % pour la période 2006-2016) et, au sein de cette catégorie spécifique, les romans policiers sont, en moyenne, presque un titre sur cinq. Les plus gros vendeurs de romans en France sont bien connus. Le Da Vinci Code s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires en grand format et encore davantage en poche, mais Dan Brown ne doit pas faire oublier les autres auteurs qui, abonnés au succès, voient passer dans les meilleures ventes, titre après titre en grand format et en poche toutes leurs publications.
La plus ancienne et la plus résistante de ces auteurs demeure Mary Higgins Clark. Longtemps accompagnée par Patricia Cornwell, c’est maintenant Harlan Coben qui s’affiche à ses côtés dans les listes des meilleures ventes. À ces auteurs américains, il faut ajouter des Français comme Fred Vargas ou Frank Thilliez.
Enfin, vient la littérature générale pour les adultes et, là encore, c’est sans conteste l’auteur qui fait le best-seller puisque les mêmes noms reviennent année après année avec une régularité de métronome, en grand format et en poche, ce qui prouve l’attachement et la fidélité des lecteurs : c’est le cas pour Amélie Nothomb, Marc Levy, Guillaume Musso, Michel Bussi, Gilles Legardinier… À ces auteurs abonnés au succès qui semblent tellement synonyme de meilleures ventes qu’ils en feraient oublier les autres best-sellers, il faut ajouter tous les autres romanciers, à la parution certes moins régulière, qui ont, au fil du temps, également occupé les listes des meilleures ventes : Régine Desforges et la Bicyclette bleue, Paul-Loup Sulitzer, Alexandre Jardin, Jeanne Bourrin, Katherine Pancol, Paulo Coehlo, Anna Gavalda, Jean d’Ormesson, Michel Houellbecq, Héléna Ferrante, Anna Todd parmi tant d’autres.
Ils sont nombreux et leur diversité même prouve que les bonnes ventes d’un livre transcendent les jugements sur la qualité littéraire de celui-ci.
Enfin, récemment, il y eut Cinquante nuances de Grey ou l’entrée fracassante de l’érotisme féminin en haut des ventes qui sera suivi par d’autres Calendar Girl.
Parallèlement, au cours de la période la plus récente, les listes de meilleures ventes s’émaillent de romans « feel good ». On pourrait parler de romans qui « font du bien » ou de « romans de développement personnel » comme cela est le cas avec les livres de Laurent Gounelle, de Raphaëlle Giordano, d’Agnès Martin-Lugand ou d’Aurélie Valognes.
Des succès annoncés
Les best-sellers sont donc souvent des succès annoncés, c’est ce qui autorise les éditeurs à investir dans des campagnes publicitaires en sachant que cet argent sera bien placé. Ce qui permet d’anticiper une meilleure vente, sans prendre trop de risques, peut se résumer, comme nous l’avons vu, à la « recette » suivante : un auteur déjà connu pour écrire des best-sellers (le nouveau Musso), une suite (le dernier tome de L’Amie Prodigieuse, d’Harry Potter, du Le Seigneur des Anneaux, de Twilight, de 50 nuances), une adaptation cinématographique qui fait du bruit (Les liaisons dangereuses qui ont relancé les ventes du roman de Choderlos de Laclos, l’attribution du prix Nobel de littérature à un auteur français ou du prix Goncourt, la mort de l’auteur (Stephen Hawking récemment).
Plus rarement la clé du succès peut venir d’un scandale, d’une présence médiatique particulière de l’auteur ou d’un événement extérieur (on pensera à Soumission de Michel Houellebecq, à Stéphane Hessel ou Thomas Pesquet ou au passage dans les meilleures ventes du roman de Georges Orwell 1984 en… 1984). La prédiction voire la génération automatique de best-seller est toujours d’actualité et prend un nouvel essor avec l’émergence du big data.
Les succès-surprises
Pourtant, il arrive encore que le succès d’un livre soit une véritable surprise : le recueil de nouvelles d’Anna Gavalda Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part n’avait rien, a priori, pour devenir un best-seller : il s’agissait de la première publication d’une jeune femme (les auteurs de best-seller sont plutôt des hommes), qui publiait un recueil de nouvelles (genre quasiment absent des meilleures ventes) chez un petit éditeur (Le Dilettante). Pourtant, ce livre est resté plusieurs années dans les meilleures ventes et, ce qui peut sembler plus intéressant encore, les romans qui l’ont suivi ont également intégré les listes de best-sellers. Dans cette logique on pensera aussi à des titres comme L’élégance du Hérisson de Muriel Barbery, grand succès porté par les libraires. Très récemment, ce sont des ouvrages publiés sur des sites de fans fictions (Comme Wattpad ou Blurb) ou auto-édités qui émergent et intègrent les meilleures ventes. Citons parmi les auteurs qui publient sur ces sites E.L. James, mais aussi Anna Todd, Agnès Martin-Lugand ou Aurélie Valognes.
Nous pourrions également parler ici de l’internationalisation d’une partie des best-sellers qui, pour une part non-négligeable d’entre eux s’inscrivent de plus en plus dans une logique transmédiatique (livres, films tirés du livres, autres livres tirés du film, produits dérivés allant du mug au gel douche en passant par les voyages organisés ou les pièces de théâtre). Il s’agit particulièrement de séries touchant au public jeune et donc d’une affaire à suivre.
Enfin, signalons l’existence d’un intéressant paradoxe. Aux best-sellers, il faut ajouter les long-sellers c’est-à-dire des livres qui se vendent bien mais, surtout, qui se vendent longtemps. Quand ces ventes sur le temps long s’exercent sur un grand nombre de titres, cela finit par aboutir à des auteurs discrets, voire très discrets médiatiquement et que l’on n’associe pas forcément à l’idée de best-seller mais qui, année après année sont parmi ceux qui vendent le plus de livres en France. C’est le cas de Danielle Steel et, surtout, de Françoise Bourdin.
Parmi une offre éditoriale de plus en plus pléthorique, les best-sellers constituent une part infime des titres produits mais sont sans conteste les marqueurs d’une époque. Dans les années 80-90 c’est Paul-Loup Sulitzer et ses héros machos, aventureux et cyniques prêts à tout pour conquérir pouvoir et argent qui faisaient rêver. Aujourd’hui, on se console avec des histoires d’amour qui finissent bien et on cherche le bonheur dans des romans de développement personnel…
Lylette Lacôte-Gabrysiak, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communciation, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.