Le film de Walid Mattar raconte deux destins d’ouvriers, emportés par la tempête de la mondialisation.
Deux histoires croisées et universelles, une histoire d’amour, une histoire père-fils. « Une des contraintes était de faire un seul film avec deux histoires, c’est une chronique de deux histoires humaines », précise Walid Mattar, à propos de son premier long-métrage, « Vent du Nord » (sortie le 28 mars).
Il y a d’abord l’histoire d’Hervé (joué par Philippe Rebbot), ouvrier dans le Nord, qui a le droit à un « traitement de faveur » après 32 ans de boîte, avant que l’usine ne ferme, et les machines expédiées en Tunisie, là où se déroule l’autre histoire du film, avec Foued (Mohamed Amine Hamzaoui) nouvel embauché dans l’usine relocalisée.
Leur premier point commun c’est le paysage, le Nord de la France et la banlieue ouvrière de Tunis, où a grandi Walid Mattar. « Quand je suis arrivé dans le Nord, j’ai été frappé par cette ressemblance, le rapport à la mer, le café du coin, des enfants avec leur mère… », dit le réalisateur. Ensuite, ce sont des destins d’ouvriers, prolos du monde entier, emportés par la tempête du libéralisme.
« La violence d’état est du côté du capitalisme »
« Les délocalisations ne sont qu’une petite partie de la mondialisation », estime le cinéaste, « La violence d’état est du côté du capitalisme. C’est un système qui vient du nord, et le vent du nord tape fort, c’est un vent contre lequel on ne peut rien faire. Dans les deux cas, ils n’ont pas de place, c’est le système économique qui met Hervé au chômage et qui va soi-disant offrir un emploi à Foued ». Leur grande différence : « Hervé a réussi à avoir une famille alors que Foued non ». Dans son projet de se reconvertir pêcheur, Hervé est soutenu par son épouse (Corinne Masiero) et son fils (Kacey Mottet Klein), alors que Foued échoue à séduire sa belle, subissant la frustration, l’étouffement, de la jeunesse tunisienne.
« En Tunisie, il y a une liberté pour se débrouiller, mais pas pour l’épanouissement », constate Walid Mattar, « Par rapport à mes personnages, je pense que je reste optimiste, il y a un potentiel, une jeunesse magnifique, qui a une conscience politique, il y a une espèce de révolution féministe. Le seul problème est qu’on a une classe politique qui est encore dans l’idéologie des années 70, ils sont vraiment à l’ouest, mais on a les acquis de la révolution ».
Son « Vent du Nord » est un film social, certes, mais qui n’est jamais misérabiliste, il souffle fort et transporte un léger espoir, celui du salut individuel, pour essayer de s’inventer un avenir malgré tout.
Patrick TARDIT
« Vent du Nord », un film de Walid Mattar (sortie le 28 mars).
Philippe Rebbot : « Je n’étais pas prévu pour faire ça »
Grand acteur de petits rôles, le comédien a eu « la chance de trouver le cinéma ».
Veste rouge, casquette de basket et cravate, Philippe Rebbot s’est fait un look en hommage à Harry Dean Stanton, l’acteur (disparu en septembre) de « Paris, Texas », le film de Wim Wenders. Avec sa dégaine et ses personnages lunaires, le comédien français est effectivement notre Harry Dean Stanton à nous. Un grand gars, plutôt maigre, habitué à jouer « les bons mecs » : « C’est pas pour me vanter, mais je crois vraiment que je suis un mec sympa, que j’aime les gens. Après, mon ex-femme dit que vraiment je pourrais jouer un rôle de méchant, je suis comme tout le monde. Peut-être qu’un jour on me proposera un rôle de salaud », dit-il.
Les prolos, ça aussi, il les joue souvent. C’est le cas dans « Vent du Nord », avec Hervé, chômeur qui s’achète un bateau avec sa prime de licenciement, pour devenir pêcheur. « Ce qui est très beau, c’est cet amour familial, malgré les événements on sent bien que ça ne va pas exploser la famille, ils s’aiment profondément, j’aimais bien notre famille », assure Philippe Rebbot.
« Je crois que je suis bien à ma place »
Avec sa « gueule de ciné », il a tenu de grands seconds rôles dans une filmographie fournie ; outre Hervé, il est aussi un fan de basket dans « La Finale », était récemment journaliste dans « Aurore », téléfilm de Laetitia Masson, diffusé sur Arte. « Je reste très peu de temps sur un film en général, j’ai rarement des rôles où je m’installe », dit-il, « C’est le drame des petits rôles, comme je bosse beaucoup à faire des petits rôles, j’ai une filmographie importante en neuf ans, à coups de cinq minutes par film, parfois c’est bonjour, au revoir, merci ».
Il prétend avoir tellement peur que ça l’arrange. « Plus ça va vite, mieux je me porte. Le paradoxe, c’est que sur des petits rôles ça fout beaucoup de pression, un premier rôle c’est plus cool, tu es installé dans la durée, tu as moins peur de rater une séquence. Quand tu as un petit rôle, on ne t’attend pas, il faut y aller, dire ton texte, et après on s’en va. Mais bon, j’ai appris à dompter cette peur », raconte l’acteur, qui ne va quand même pas jusqu’à refuser les premiers rôles pour être peinard. « Non, au contraire, on ne m’en propose pas tant que ça, quand je suis à un endroit c’est assez juste. Je fais des longs rôles dans les courts-métrages, des courts rôles dans des longs, je crois que je suis bien à ma place ».
« Je n’étais pas prévu pour faire ça », s’excuse-t-il. Pour faire quoi alors ? « Ben, je ne sais pas. En gros, j’étais prévu pour rien, j’ai eu la chance de trouver le cinéma », estime Philippe Rebbot. D’abord régisseur pendant une quinzaine d’années, il a fait acteur « par hasard » : « Ce n’est pas une vocation pour moi, c’est un truc qui m’est tombé dessus il y a huit-neuf ans ».
« Je suis fragile et ça se voit »
A force, il a compris pourquoi les réalisateurs le réclament : « Je crois que je suis fragile et ça se voit, on ne peut pas aller contre sa nature, je dégage un truc qui est une vibration à la fois marrante et fragile. Je suis dans la vie et en même temps la vie me fait peur, ça doit se voir, je suis ce type-là, à la fois solide et fragile. Je ne suis pas à l’abri qu’on me propose un banquier, mais je serais un banquier fragile, je pense. On me retrouve tout le temps sur des rôles de mecs pas tout à fait sûrs d’eux, parce que c’est moi. Les gens qui viennent me chercher en général ne se trompent pas, et quand je les rencontre il y a une intimité immédiate. Avec Walid Mattar, c’était pareil », dit-il. Ce que confirme le réalisateur de « Vent du Nord » : « Philippe joue beaucoup avec ses émotions ».
« Je pense que je suis vraiment un pauvre type », s’auto-dénigre Philippe Rebbot, « Mais ce n’est pas ce qu’on l’air de voir les gens, c’est étonnant, même mes enfants me rassurent là-dessus, j’ai l’impression qu’ils m’aiment », ajoute l’acteur, père de deux enfants eus avec Romane Bohringer.
Il fait partie de ces acteurs qui ne voient jamais leurs films : « Je ne supporte pas ça, si je le fais j’arrête. C’est indépassable, ma psychanalyse n’est pas assez avancée pour que je puisse dépasser ce truc-là ». Il voit donc les films des autres : « Je regarde tout le temps les mêmes, je regarde tout Patrick Dewaere, Macadam Cowboy, le cinéma des années 70…». Avec Dewaere, il a en commun la moustache et la fragilité, encore : « Je me reconnais, je crois que je suis amoureux du gars, il me fait un effet, il me touche techniquement comme acteur, mais il y a aussi dans son œil quelque chose qui m’émeut, une vibration. J’aime aussi John Lennon pour les mêmes raisons, c’est le côté insolent alors que ce sont des mecs hyper-fragiles », dit Rebbot, avant d’ajouter : « Tous les acteurs que j’aime, ils ont l’insolence, moi je ne l’ai pas ».
Patrick TARDIT