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Jésus Christ est-il de droite ou de gauche ?

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Jésus, comédie musicale de Pascal Obispo (2017) : entre histoire et bons sentiments.

Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine

La comédie musicale Jésus de Pascal Obispo, qui connaît un certain succès depuis octobre 2017, diffuse une image très consensuelle et pacifiste du personnage du Christ.

La dimension politique et offensive de Jésus dans son contexte historique y est négligée. En fait, la figure du Christ a été interprétée de manières très diverses depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.

Les contradictions des Évangiles

Ces diverses interprétations proviennent des Évangiles eux-mêmes, qui attribuent au Christ des propos contradictoires, parfois au sein du même évangile. Ainsi, dans l’évangile selon Luc, Jésus s’exclame :

« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À qui te frappe sur une joue, présente encore l’autre » (Luc 6, 27-29).

Le message est on ne peut plus pacifiste. Pourtant, un peu plus loin, Jésus tient des propos totalement inverses :

« C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Luc 12, 49)

ou encore

« Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division » (Luc 12, 51).

Il n’est alors plus question de tendre l’autre joue aux agresseurs :

« Quant à mes ennemis, ces gens qui ne voulaient pas que je règne sur eux, amenez-les ici, et égorgez-les devant moi » (Luc 19, 27).

Du pacifisme extrême, on passe à l’expression d’une violence tout aussi extrême. À partir de l’évangile selon Luc, il est donc possible de justifier aussi bien la guerre que la paix.

Le roi Roger II de Sicile couronné par le Christ. Mosaïque de l’Église de la Martorana, Palerme.
Wikipédia

Des empereurs couronnés par le Christ

Après presque trois siècles de persécutions au sein de l’Empire romain, la liberté de culte est accordée aux chrétiens par l’empereur Constantin, en 313.

La figure de Jésus va désormais servir à justifier le pouvoir impérial, le Christ prenant la place laissée par Jupiter. Le christianisme va offrir aux détenteurs du pouvoir les mêmes armes de légitimation et de domination politique que les religions antérieures : « sacré sous Jupiter, l’Empire l’était resté sous Jésus », écrit Lucien Jerphagnon.

L’empereur trouve aussi dans le monothéisme un excellent argument pour justifier son autorité absolue sur l’ensemble de l’Empire suivant l’équivalence : un seul dieu, un seul chef.

Au Moyen Âge, les souverains chrétiens continuent d’exploiter politiquement la figure du Christ dont ils se présentent comme les lieutenants sur terre. À Palerme, sur une mosaïque de l’église de la Martorana, le roi normand Roger II est couronné par un Jésus en lévitation, spécialement descendu du ciel pour prendre part au sacre royal.

Jésus conservateur

Cette exploitation de la figure du Christ à des fins politiques n’a pas cessé à l’époque contemporaine. En 1925, le pape Pie XI proclame, dans son encyclique Quas primas, que la foi doit avoir des conséquences concrètes.

La fête dite du Christ-Roi, instituée la même année, est censée rappeler cette obligation aux chrétiens. Le pape condamne, au nom du Christ, véritable roi de ce monde, toute forme de sécularisation ; il dénonce la laïcité, « peste de notre époque ». Face aux défis du moment, les catholiques doivent clairement prendre parti et soutenir les mouvements politiques dont le discours cadre le mieux avec le message du Christ. Autrement dit : la droite conservatrice. Pie XI s’oppose alors aux mouvements révolutionnaires, mais aussi au libéralisme.

Les États-Unis, dont les institutions mêlent démocratie et théocratie, comme l’écrit Jean‑François Colosimo, offrent un autre exemple d’exploitation politique de la religion dans un sens conservateur.

Cette tendance s’est renforcée au XXe siècle : en 1956, Eisenhower fait inscrire sur les billets en dollars la devise : In God we trust (« Nous croyons en Dieu »). Dès lors, l’Amérique se trouve officiellement placée sous la protection d’un grand dieu qui soutient ses prétentions impériales. God comme instrument de la lutte contre l’ennemi, d’autant plus efficace que l’ennemi en question ne peut compter sur aucune divinité pour se défendre, car l’URSS des années 1950 se veut athée. C’est un point faible que le président américain s’est fait fort d’exploiter.

Jésus progressiste

Mais ni le Vatican, ni la présidence des États-Unis ne détiennent le monopole de la religion politique. Au Christ-Roi conservateur de Pie XI s’oppose un tout autre Jésus, non moins politique, mais champion des opprimés.

Cette figure révolutionnaire a été promue par la « théologie de la libération » dans les années 1970. Selon son chef de file, le théologien péruvien Gustavo Gutierrez, la foi chrétienne ne peut rester enfermée dans la sphère privée : elle doit se traduire par une participation à la vie publique.

Jusque-là, pas de désaccord avec Pie XI. Sauf que l’engagement politique souhaité par Gutierrez diverge radicalement du conservatisme prôné par l’encyclique papale de 1925. Selon Gutierrez, Jésus était progressiste ; du coup, « l’évangile non seulement n’est pas opposé à la révolution, mais il l’exige bien plutôt ». Les chrétiens doivent soutenir les luttes d’émancipation en faveur de « ceux d’en bas » et combattre les injustices de ce monde.

Oscar Romero, archevêque de San Salvador, incarne cette tendance sociale du christianisme. Alors qu’une junte militaire faisait régner la terreur dans son pays, il dénonce les exactions de la dictature. Rejoignant les théories de Gutierrez, il affirme que la foi en Jésus se concrétise par un engagement en faveur des victimes. Il meurt, en mars 1980, abattu d’une balle en pleine poitrine. En mai 2015, le pape François soutient sa béatification. Chantre d’une église des pauvres, François s’inscrit lui aussi dans cette filiation du christianisme social.

Du Christ au Che

Parmi les figures emblématiques des révolutionnaires contemporains, Ernesto Che Guevara, mort prématurément en Bolivie en 1967, a vite fait de se transformer en véritable icône christique. Les points communs sont nombreux : un beau visage aux cheveux longs qui rappelle l’imagerie de Jésus ; un message social et une cruelle exécution qui paraît rejouer la Passion du Christ dans les Andes.

Le Che se mue en figure mythique, sacralisée : une sorte de nouveau Christ pour tous les révolutionnaires du monde.

Ugo Chavez, bouillant président vénézuélien, représente la synthèse du Christ social et du Che, à travers son courant politique dit « bolivarien », car Simon Bolivar, héros de la libération de l’Amérique du Sud, en est la figure centrale. Mais, dans l’imagerie du parti, la figure de Jésus n’est jamais bien loin.

Au Venezuela, l’image du Christ côtoie celle de Simon Bolivar et de Hugo Chavez.
Daily Mail

Dans les quartiers pauvres et les campagnes, des peintures de propagande affichent une étonnante trinité politico-religieuse : Jésus, Bolivar, Chavez. Trois figures, trois époques, mais un seul et même combat politique.

En Espagne, Pablo Iglesias, chef du parti Podemos créé en 2014, entretient sciemment une étroite ressemblance physique avec Jésus : des cheveux longs et une petite barbe. Il proclame dans la presse : « Jésus Christ aurait fait partie de Podemos ».

Pablo Iglesias.
La demeure du Chaos/Flickr, CC BY

Ainsi, depuis 2 000 ans, Jésus est une figure aux multiples visages, très contradictoires, aujourd’hui « de droite » comme « de gauche ». Il a servi à justifier l’autorité comme à la contester ; et les leaders des pays chrétiens ont souvent exploité à leur avantage l’image du Christ qui leur semblait la plus utile politiquement.


The ConversationChristian-Georges Schwentzel publie Les Quatre Saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine, aux éditions Vendémiaire.

Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

The Conversation

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