« C’est un film contre la fatalité », assurent Stan et Edouard Zambeaux, qui ont tourné un formidable documentaire dans un centre d’hébergement d’urgence à Paris.
« Il est bizarre, ce centre », dit Djibi. « Bizarre », effectivement ce centre d’hébergement d’urgence à Paris, où Stan et Edouard Zambeaux ont filmé « Un jour ça ira » (actuellement en salles). Un documentaire dans un lieu exceptionnel par ce qu’il est et par ce qu’il s’y passe.
Ce qu’il est : « C’est une bulle, en plein Paris », confiait Edouard Zambeaux, lors de la présentation du film au Caméo, à Nancy. « On a toujours tendance à reléguer la pauvreté un peu plus loin, surtout à Paris, vers des zones industrielles, des hangars, des gymnases, et là c’est un bâtiment très beau, classé, magnifique, dans l’un des arrondissements les plus chics de Paris », dit le journaliste (« Périphéries » sur France Inter, animateur du « Bondy blog Café »). Un bel immeuble qui fut église, couvent, hôtel de luxe, siège de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle), avec un côté « cathédrale » et une énorme bibliothèque de 6000 livres.
« La volonté d’inventer une sorte de contrat social »
Ce qu’il s’y passe, ou plutôt ce qu’il s’y est passé avant sa fermeture prévue pour travaux : 300 personnes hébergées dont 70 enfants, qui avaient accès à la fameuse bibliothèque, pouvaient « écrire dans le journal » (un atelier d’écriture avec Libération), ou enregistrer un disque (dans un atelier chansons). L’Archipel, c’était son nom, tenait du « canot de sauvetage pour les naufragés de la vie », de l’Arche de Noé ou de la Tour de Babel. « Il s’inventait un truc, c’est le sentiment qu’on avait », raconte Stan, « Il y avait la volonté d’une nouvelle façon de faire, d’inventer une sorte de contrat social, et pas uniquement faire de la mise à l’abri, il y avait un vrai souci du respect des hébergés ».
Dans ce centre « bizarre », des enfants écrivent des chansons, des histoires, jouent dans le couloir… Et les frangins documentaristes ont filmé pendant des mois les « locataires temporaires ». « Au début, les gens étaient réticents, ils ont tous conscience de la force et de la puissance de l’image, ils n’ont pas forcément envie d’être filmés dans un centre d’hébergement d’urgence, il y a un sentiment de honte, qu’on aurait tous, il fallait juste du temps pour qu’ils comprennent qu’on allait faire le film ensemble, qu’ils allaient avoir la parole, qu’on allait co-construire cette narration, et que ça allait être du long terme », précise Stan. « On filmait, on tournait, on essayait de construire la confiance en même temps, de prendre du temps, d’être avec eux, de vivre avec eux ; on allait vers les gens qui nous plaisaient, avec lesquels on a noué des liens. Au début c’était des femmes, parce que c’était la vocation du lieu, de recueillir des femmes avec enfants, puis on a glissé sur des familles, et puis des ados», ajoute le réalisateur.
Dont la jeune Ange, 13 ans, qui vit avec son père, une « Ange des rues » qui chante dans la chapelle de l’Archipel. Ou Djibi, « serial déménageur » arrivé avec sa mère un 31 décembre, qui a d’abord « bordélisé » le cours de chant de Peggy. « On recherchait un ado qui puisse tenir une partie de la narration, Djibi était entre l’âge enfant et l’âge adulte, il faisait le lien entre les deux, il fédérait les enfants mais il avait aussi le respect des adultes », dit Stan Zambeaux.
« Réhabiliter la force du rêve »
Djibi, par moments désespéré là-bas, se demande où sont ses racines. « Aujourd’hui, ça va bien », dit-il. Dans le film, il s’interdit de « rêver trop haut, ça sert à rien ». « Je rêve à moitié », confie-t-il timidement aujourd’hui, « Je veux bien faire acteur ». Rejoignant le positivisme du titre, « Un jour ça ira », puisque c’est ce qu’on leur souhaite, à Djibi, Ange, et tous les autres.
« La magie de ce lieu, de ce projet, c’était justement d’essayer de réhabiliter la force du rêve, et c’est ce dans quoi on a mis nos pas », précise Edouard Zambeaux, « On n’a pas inventé l’atelier chant, il existait, et on a vu qu’il était porteur d’un ailleurs, de quelque chose d’autre, d’une capacité à re-rêver, c’est ça qu’on a voulu raconter, la reconquête du rêve par ces ados. C’est une pédagogie par l’exemple, par la preuve, ce n’est pas un grand projet social, c’est quelque chose d’extrêmement modeste mis en œuvre par des gens généreux et par des gens réceptifs, curieux ».
« La volonté des gens qui ont ouvert et armé ce centre, comme on arme un bateau, c’était d’en faire quelque chose pour préparer l’après. Evidemment, il y a des gens qui étaient à l’Archipel il y a deux ans et qui sont toujours dans des centres d’hébergement d’urgence, parce qu’ils sont dans des situations inextricables. C’est aussi un film contre la fatalité, contre le fatalisme », assurent les frères Zambeaux.
Patrick TARDIT
« Un jour ça ira », un film de Stan et Edouard Zambeaux (actuellement en salles).