L’écrivain, qui vient de mourir, avait fait l’acteur dans « Les Saveurs du Palais »
« Un homme, au soir de sa vie, se demande s’il a vraiment écrit le chef d’œuvre qu’il portait en lui. Ne s’est-il pas éparpillé ? Et maintenant qu’il s’en rend compte, n’est-il pas trop tard ». Le journaliste Laurent Delahousse résumait ainsi récemment, dans le JDD, le film qu’il a tourné avec l’écrivain Jean d’Ormesson, qui vient de mourir. Ce projet, encore en cours de montage, sera donc la dernière apparition au cinéma de l’écrivain, chroniqueur, et journaliste, qui fut rare au grand écran.
S’il est dans son propre rôle chez Jean-Luc Godard, dans « Eloge de l’amour » (2001), Jean d’Ormesson, disparu à 92 ans, avait fait ses débuts d’acteur à 87 ans dans « Les Saveurs du Palais », où il avait Catherine Frot pour partenaire. Un film de Christian Vincent (sorti le 19 septembre 2012), inspiré de l’histoire de Danièle Mazet-Delpeuch, cuisinière privée du président François Mitterrand, qu’il incarnait alors.
« Sur le plateau, il était comme un jeune homme »
Le rôle aurait dû être tenu par l’acteur Claude Rich, qui avait déclaré forfait pour raisons de santé. « Ils ont cherché des comédiens et n’en ont pas trouvé, ils sont descendus aux hommes politiques, qui n’ont pas voulu se compromettre, ils sont descendus encore plus bas, et mon nom est sorti », s‘amusait l’académicien, lors d’un délicieux déjeuner au Park Hyatt Vendôme (où a séjourné Barack Obama le weekend dernier), organisé avec l’équipe du film.
L’aristocrate de droite s’était alors glissé avec plaisir dans le costume d’un président socialiste. « C’était une expérience très agréable et très amusante, ça m’a amusé à la folie », disait le malicieux vieil homme, « J’ai souvent rêvé d’être acteur, j’ai adoré le cinéma, l’idée de devenir acteur m’enchantait. J’aurais beaucoup aimé être metteur en scène, beaucoup de mes amis ont mis leur livre en scène, mais je ne sais pas bien faire ça, je passe pour mondain mais je suis plutôt solitaire, je ne peux pas travailler en équipe ».
« A cause de sa vie, de ce qu’il est, Jean avait en lui la possibilité poétique d’être président. Sur le plateau, il était comme un jeune homme », confiait Catherine Frot, qui jouait la cuisinière présidentielle. « Ma vraie inquiétude, c’était de ne pas être ridicule », confiait Jean d’Ormesson. Il ne l’était point, et ne craignait point non plus de faire des jaloux : « C’est fait, ils trouvent que les médias sont trop indulgents avec moi ». Ce qui se confirme depuis l’annonce de sa mort, les médias louant son humour, son autodérision, sa délicatesse, et bien sûr son talent d’écrivain. La célébrité ne le gênait point : « Je vais vous dire, je m’en arrange », souriait-il avec malice, citant Cioran, qu’il aimait beaucoup : « J’ai connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès ! ».
« Le mot croire est trop fort, mais j’espère »
« Ma femme m’a dit : Je crois que tu es en train de devenir cabot. Je n’ai pas attendu d’être acteur ! », s’amusait d’Ormesson, qui avait eu l’occasion de déguster les mets préparés par Danièle Mazet-Delpeuch, lors de déjeuners à L’Elysée. « J’avais fait la campagne de Giscard, il m’a invité une fois à L’Elysée. J’avais attaqué beaucoup Mitterrand, et il m’a invité 26 fois en 14 ans. J’ai beaucoup aimé François Mitterrand et je crois qu’il m’aimait bien », racontait l’écrivain.
Jean d’Ormesson fut même le dernier invité de Mitterrand avant qu’il ne quitte le palais présidentiel. « François Mitterrand était un adversaire politique, j’avais écrit un article ridicule dans Le Figaro, titré : Je convoque François Mitterrand au tribunal de l’histoire. Mitterrand m’avait eu par la vanité, dans un discours il avait dit quel dommage qu’un si bon écrivain soit si stupide politiquement, j’étais enchanté ! », s’enthousiasmait l’écrivain, « On parlait un peu de politique, il flinguait les gens de droite, il flinguait les gens de gauche, la conversation avec Mitterrand était irrésistible ».
Une conversation qui portait surtout sur la littérature, la philosophie, et le questionnement sur « l’après », l’existence ou non de dieu… « Je suis comme vous, lui disais-je, je ne sais pas. Le mot croire est trop fort, mais j’espère, il était enchanté », disait Jean d’Ormesson.
Patrick TARDIT
L’écrivain et académicien à l’esprit facétieux s’est éteint à l’âge de 92 ans en laissant derrière lui une œuvre littéraire immense.
On le croyait immortel tant on avait pris l’habitude de le voir vieillir sur les plateaux de télévision. Jean d’Ormesson est parti discrètement dans la nuit du 4 au 5 décembre 2017. C’était un amoureux de la langue française. Il nous laisse ses livres, son style raffiné, ses bons mots et son goût immodéré pour la vie.
Jean d’Ormesson était fils d’ambassadeur. Mais plutôt que la haute-fonction publique il préférera la littérature.
Agrégé de philosophie, auteur de très nombreux romans, Jean d’Ormesson a obtenu neuf prix littéraires dont le Grand prix du roman de l’Académie française pour « la Gloire de l’Empire » (1971). Il fut aussi le plus jeune académicien, à l’âge de 48 ans, en 1973.
« Le meilleur de l’esprit français »
Directeur du Figaro entre 1974 et 1977, Jean d’Ormesson était un habitué des plateaux de télévision et des émissions de radio où l’homme de culture à l’esprit vif et enjoué qu’il était faisait le bonheur des animateurs et des auditeurs.
Comme un clin d’œil au destin, le dernier livre publié par Jean d’Ormesson s’intitule « Je dirais malgré tout que cette vie fut belle ». Et le livre qui sortira prochainement est un pied de nez à la mort : « Et moi, je vis toujours ».
Dès que la nouvelle de sa mort fut connue, le Président de la République a salué l’écrivain qui était « le meilleur de l’esprit français… Un mélange unique d’intelligence, d’élégance et de malice, un prince des lettres sachant ne jamais se prendre au sérieux. L’œil, le sourire, les mots de Jean d’Ormesson nous manquent déjà. »
E.L