« Espèces Menacées », un film de Gilles Bourdos
Une nuit de noces au Negresco, d’abord joyeuse puis pathétique, un long coup de téléphone d’une fille à son père, le film de Gilles Bourdos, « Espèces Menacées » (sortie le 27 septembre), entremêle dès le début plusieurs histoires, plusieurs récits. Rapidement, on pense à « Short Cuts », ce film de Robert Altman, d’après des nouvelles de Raymond Carver. Le schéma est le même, ce sont des nouvelles de l’écrivain américain Richard Bausch (ami de Carver) que Bourdos et son co-scénariste Michel Spinosa ont adapté.
Le titre lui-même est celui d’un recueil de ses nouvelles. « Il y avait une résonance par rapport à l’ensemble de la construction du film. Une espèce menacée est une espèce dont les conditions de filiation sont remises en cause, et le film interroge sur la problématique de la filiation. Quand il y a rupture de la filiation dans la famille, il y a mise en danger », confiait Gilles Bourdos, lors de la présentation de son film à Nancy, à l’occasion de Ciné-Cool.
Des pères inquiets pour leur fille
Ce film est tel un jeu des trois familles. Un tout jeune couple, bien trop jeune ; un autre qui se sépare, alors que leur fille a choisi son destin ; un grand fils qui prend en charge sa mère paumée, « une femme qui se reconstruit quand elle retrouve son rôle de mère ». Les pères y sont inquiets pour le sort de leur fille, dont ils ne veulent que le bonheur, quitte à « subir leurs choix amoureux ».
« Les familles sont les lieux de tous les tragiques mais aussi de tous les refuges. La famille étant la cellule la plus primitive dans toutes les sociétés, c’est là où ont lieu les premières relations humaines, tout un chacun peut évoquer une situation plus ou moins vécue », dit Gilles Bourdos, « Renoir, mon précédent film, est aussi une question de filiation ».
Sélectionné au Festival de Venise, « Espèces Menacées » est « un objet à multiple facettes », à la construction éclatée, en puzzle. « Ce n’est pas déstructuré, c’est un autre type de structure, une autre composition, une structure alternative, différente de la structure classique de narration, avec début, milieu, fin, et un héros principal. Aujourd’hui, le public est de plus en plus intelligent, il y a une compréhension de l’image extraordinaire, plus que jamais on est dans un monde mosaïque, et le spectateur comprend très vite les choses », estime le réalisateur.
Les pâleurs de la Côte d’Azur
Pour composer son casting, Gilles Bourdos a « composé des familles » : « C’est amusant de faire juxtaposer des choses, des univers, des énergies, des couleurs ». Il y a ainsi les pères, Grégory Gadebois et Eric Elmosnino, la douce Alice Isaaz violentée par le nerveux Vincent Rottiers, Alice de Lencquesaing encore enceinte (comme dans « Otez-moi d’un doute » de Carine Tardieu), le fiston (Damien Chapelle) dévoué à sa mère à l’ouest (Brigitte Catillon)…
C’est dans sa ville, Nice et son « empilement architectural bigarré », que Bourdos a filmé les lumières et pâleurs de la Côte d’Azur hivernale. « Je revendique beaucoup le fait d’être un cinéaste de province, c’est une volonté, le cinéma français a une carence en terme de couleurs », précise le réalisateur, qui évoque un autre cinéaste provincial, Raymond Depardon, et son film « Les Habitants ». « Il s’imaginait tomber sur beaucoup de sujets de société, or ce qui est apparu dans les conversations des gens, ce sont les problèmes familiaux et la violence faite aux femmes ; ce sont des sujets présents dans la société, dont les politiques ne s’emparent pas ». Ses « Espèces Menacées » évoque ainsi la complexité des familles, les confrontations, les drames, les solitudes, et les limites de la « courtoisie familiale ».
Patrick TARDIT
« Espèces Menacées », un film Gilles Bourdos (sortie le 27 septembre).