Nicola Bell, The University of Queensland
En ce moment même, vous êtes en train de lire ces mots sans avoir à y réfléchir, ni même à en être conscients. Dans un enchaînement extrêmement rapide, vos yeux se lancent de gauche à droite sur votre écran, décelant un sens dans ce qui apparaîtrait autrement comme une succession de gribouillis noirs.
Pour vous, la lecture n’est pas seulement facile, elle est automatique. Regarder un mot sans pouvoir le lire vous est quasiment impossible, étant donné que les rouages du langage écrit se mettent en marche dès qu’un lecteur qualifié aperçoit des caractères.
Et pourtant, bien qu’il est tentant de penser que la lecture nous soit inné, ne vous y trompez pas. Apprendre à lire n’est pas facile. Ce n’est même pas naturel.
Les premières traces du langage écrit dont nous disposons datent d’il y a environ 5 000 ans, ce qui représente une part infime des 60 000 années (ou plus) que les humains ont passées à utiliser le langage oral.
Cela signifie que notre espèce n’a pas eu suffisamment de temps pour développer des réseaux cérébraux à même de nous prédisposer à apprendre la lecture. Ainsi, ce n’est que grâce à des années de pratique et d’apprentissage que nous façonnons nous-mêmes ces réseaux.
Comment le cerveau apprend à lire
Le cerveau se réorganise constamment. À chaque fois que nous apprenons une nouvelle compétence, les connections neuronales qui nous permettent de la réaliser se renforcent. Cette plasticité est maximale lors de l’enfance, ce qui explique pourquoi nous avons tendance à surcharger les enfants d’apprentissage avant qu’ils ne deviennent adolescents.
Lorsqu’un enfant apprend à lire, aucun « centre de lecture » n’apparaît magiquement dans son cerveau. À la place, c’est en fait un réseau de connexions qui se développe, liant des zones qui n’étaient pas reliées auparavant.
La lecture devient alors un moyen d’accéder au langage par la vue, ce qui signifie qu’elle utilise une architecture qui est déjà utilisée pour la reconnaissance de structures visuelles ainsi que pour la compréhension du langage oral.
Lorsque les mots voyagent dans le cerveau
Lorsqu’un lecteur confirmé lit un mot imprimé, cette information voyage de ses yeux jusqu’à son lobe occipital (situé au fond du cerveau), où elle est traitée comme n’importe quel stimulus visuel.
De là, l’information se déplace vers le gyrus fusiforme gauche, aussi appelé la « boîte aux lettres » du cerveau. Dans le voyage d’un mot, cette boîte aux lettres représente une étape spéciale étant donné qu’elle ne se développe qu’à partir de l’apprentissage de la lecture.
Ainsi, elle n’existe pas chez les très jeunes enfants ou chez les adultes analphabètes ; elle est également moins sollicitée chez les personnes atteintes de dyslexie, qui disposent d’une différence biologique dans la façon dont leur cerveau traite le texte écrit.
Les mots et les lettres sont stockés dans cette boîte aux lettres et y sont mémorisés individuellement, non pas comme des formes ou des modèles, mais comme des symboles. C’est pour cette raison qu’un lecteur confirmé est en mesure de reconnaître rapidement un mot, quelque soit sa fonte, sa cAssE, ou sa police.
Afin de déterminer la signification et la prononciation du mot, l’information se déplace ensuite de la boîte aux lettres vers les lobes frontal et temporal du cerveau. Ces zones sont activées lorsque nous entendons un mot ; elles sont spécialisées dans le langage et pas seulement pour la lecture ou l’écriture.
L’ensemble de ce trajet prend moins d’une demi-seconde, l’information pouvant se déplacer très rapidement sur les autoroutes synaptiques d’un lecteur qualifié.
Mais que se passe-t-il dans le cerveau d’un enfant de cinq ans, dont les autoroutes synaptiques sont encore en construction ?
De l’apprentissage de la lecture chez les enfants
Pour les jeunes enfants, le processus qui consiste à comprendre la signification de caractères imprimés est lent et demande des efforts. Notamment parce que les lecteurs débutants n’ont pas encore mémorisé assez de mots familiers qu’ils puissent reconnaître par la vue. Ainsi, ils doivent épeler phonétiquement chaque lettre ou chaque séquence de lettres.
À chaque fois que les enfants déchiffrent des mots, ils forment de nouvelles connexions entre les zones de langage visuel et oral du cerveau, ajoutant peu à peu de nouvelles lettres et des mots à la boîte aux lettres du cerveau.
Souvenez-vous, lorsqu’un lecteur confirmé reconnaît un mot par la vue, ils traitent les lettres du mot plutôt que sa forme.
L’enseignement de la lecture peut donc être facilité pour les enfants si l’on souligne la nature symbolique des lettres ; en attirant leur attention sur les relations entre les lettres et les sons émis par la parole.
Des preuves tirées de la recherche en imagerie cérébrale et de la recherche éducative convergent pour indiquer qu’un apprentissage phonique précoce peut aider à construire un réseau neuronal de lecture efficace dans le cerveau.
Comment la lecture va-t-elle évoluer dans le futur ?
Notre définition de ce que veut dire « être alphabétisé » doit suivre l’évolution technologique. En effet, désormais les jeunes cerveaux doivent non seulement s’adapter au langage écrit, mais aussi à l’environnement médiatique numérique contemporain, dans lequel le langage écrit est aussi présent.
Le futur nous indiquera comment l’évolution technologique affecte le développement de notre cerveau, cette mystérieuse éponge située entre nos oreilles.
Nicola Bell, PhD student, The University of Queensland
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.