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Thionville : deux ponts inutiles à 75 millions d’euros

Livrés depuis plus d’un an, les ouvrages d’art du projet Citézen porté par le SMiTU restent inutilisés. Entre dépassements budgétaires et malfaçons, le scandale éclabousse les élus à trois mois des municipales.

Deux ponts à Thionville, très chers et mal conçus (DR)
Deux ponts à Thionville, très chers et mal conçus (DR)

À Thionville, deux ponts flambant neufs incarnent aujourd’hui un échec retentissant. Le pont Konrad-Adenauer, qui franchit la Moselle, et le pont Alcide-de-Gasperi, qui enjambe les voies ferrées de la gare, devaient révolutionner les transports urbains du nord mosellan. Un an après leur livraison, aucun bus n’y circule. Coût de l’opération : 75 millions d’euros.

Un projet hors de contrôle

De quoi s’agit-il ? Citézen est un projet de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) porté par le Syndicat mixte des Transports Urbains Thionville-Fensch (SMiTU) visant à faciliter les déplacements, le développement économique et améliorer le cadre de vie des communes du périmètre du SMiTU. Dans son principe, les deux lignes principales devaient couvrir 32 kilomètres et drainer une partie du trafic autour de Thionville et de la vallée de la Fensch (55 communes du nord mosellan) grâce à des bus électriques circulant en partie sur un réseau dédié. Le projet promettait de transporter 20 000 voyageurs par jour début 2026.
Lorsque le projet a été conçu, en 2010, la facture était estimée à 65 millions d’euros, avec une mise en service prévue pour 2018. Quinze ans plus tard, le budget global du projet a explosé pour atteindre près de 300 millions d’euros, et aucune date d’inauguration crédible n’est annoncée.

Des alertes ignorées

Dès 2021, la Chambre régionale des comptes a tiré la sonnette d’alarme. Elle dénonçait une gouvernance inadaptée, une explosion des coûts, des financements mal évalués et un contrôle quasi inexistant. L’association d’usagers Usag’ThiFensch que président Vincent Schweitzer alertait également sur l’incohérence d’investissements massifs alors que le réseau de bus existant se dégradait. Sans succès.
Pendant ce temps, la fréquentation des transports en commun s’effondrait : de 8,4 millions de voyages en 2014, elle est passée à 3,4 millions en 2024.

Un audit accablant

Arrivé fin 2023 à la tête de TeMo (Territoires et Mobilités Moselle Nord), la structure qui a remplacé le SMiTU en janvier 2025, Rémy Dick, maire de Florange, commande un audit indépendant. Le rapport de 235 pages est sans appel.
Les auteurs mettent en cause le manque de vigilance du délégataire Egis Conseil, notamment dans la préparation des ouvrages d’art, avec des surcoûts non anticipés et des choix techniques contestables. L’audit recense des anomalies en série : marchés attribués sans mise en concurrence, méthodes de notation biaisées, indemnisations injustifiées.
Détail révélateur de l’amateurisme des élus et de leurs mandataires : sur le pont de Gasperi, deux bus ne peuvent pas se croiser, même à faible vitesse.

La justice saisie

Face à la gravité des faits, le rapport a été transmis au procureur de la République. La ville d’Hayange a déposé en octobre 2025 une plainte avec constitution de partie civile, après qu’une première plainte est restée lettre morte. L’association Usag’ThiFensch a également saisi un avocat (voir ci-dessous la conférence du président Schweitzer qui présente l’association).
Parmi les irrégularités relevées : la décision de construire deux nouveaux ponts au lieu d’élargir les existants, prise en décembre 2016 en violation de la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique, créant un détour de 960 mètres. Ou encore l’utilisation détournée de fonds d’investissement pour le fonctionnement ordinaire, qui a entraîné une restriction brutale du service. Des infractions susceptibles de recevoir une qualification pénale.

Une campagne électorale sous tension

À trois mois des élections municipales des 15 et 22 mars 2026, l’affaire promet d’alimenter les débats. « Le projet n’était ni financé ni finançable », résume Rémy Dick, qui a hérité de ce dossier explosif.
Conçu pour incarner l’avenir des mobilités, Citézen est devenu le symbole d’une décennie de promesses non tenues et de gaspillage de fonds publics. L’heure est désormais aux comptes, devant la justice comme devant les électeurs.

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